Réutilisation ou recyclage des eaux usées
La réutilisation des eaux usées, ou recyclage, consiste à récupérer les eaux usées après plusieurs traitements destinés à en éliminer les impuretés, afin de stocker et d'employer cette eau à nouveau. Le recyclage remplit donc un double objectif d'économie de la ressource : il permet à la fois d'économiser les ressources en amont en les réutilisant, et de diminuer le volume des rejets pollués, mais doit aussi bien intégrer la gestion du risque microbien et de pollution. L'intérêt de ce recyclage (par rapport aux démarches de sobriété et d'optimisation des usages), reste cependant limité dans les régions où il n'y a jamais de tension quantitative sur la ressource en eau dans le secteur concerné.
En France, où cette filière de recyclage est aussi dénommée REUT (acronyme de Réutilisation des Eaux Usées Traitées ; en anglais : ReUse, un plan Eau vise 10 % de réutilisation des eaux usées traitées à horizon 2030)
Procédés
Les méthodes utilisées pour le recyclage ont d'abord recours aux traitements classiques. Des traitements complémentaires sont ensuite mis en place, en fonction de la qualité de l'eau que l'on souhaite obtenir :
- traitement par décantation ;
- un traitement biologique par filtration tout d'abord ;
- un traitement par microfiltration et ultrafiltration associé à des méthodes de désinfection par UV pour l'irrigation ou la recharge des nappes ;
- un traitement par osmose inverse ou nanofiltration associé à des méthodes de désinfection par UV pour obtenir des eaux de qualité supérieure : eau potable, industrie de haute technologie.
Applications
La réutilisation de l'eau est essentiellement utilisée pour l'irrigation (70 %), mais aussi essentiellement par des utilisations qui ne nécessitent pas de l'eau potable (usages industriels à environ 20 % et usages domestiques pour environ 10 %)[1].
Le recyclage de l'eau est d'abord pratiqué pour les eaux résiduaires internes des industries : certaines industries recyclent leur eau, qui fonctionne ainsi en circuit fermé. Les entreprises peuvent ainsi viser à réduire leur consommation de 40 % à 90 %[2].
Mais le procédé est aussi utilisé pour les eaux usées municipales secondaires : l'eau récupérée après traitement en station d'épuration reçoit un traitement supplémentaire afin d'être utilisée, essentiellement pour des usages qui ne nécessitent pas une eau potable : irrigation, réalimentation des nappes phréatiques, utilisations industrielles, etc.[3]
L'eau usée comme source de calories
Si les eaux usées peuvent être recyclées et réutilisées pour l'irrigation notamment, et qu'elles tendent également à devenir potables ; des innovations voient le jour en matière de recyclage de leurs calories, les eaux usées des logements pouvant devenir « l'or noir des énergies vertes »[4]. En effet, les eaux usées des cuisine et salle de bain sont récupérées dans le but de chauffer l'eau. Ce système est également utilisé par les collectivités locales, pour les réseaux municipaux et se développe dans les hôtels.
Innovante, une solution a permis la production par méthanisation de gaz naturel liquéfié (GNL), utilisable comme carburant pour les véhicules[5].
Réglementation
« La réglementation[6] sur les eaux usées peut généralement être améliorée pour être mieux calibrée, plus cohérente, moins complexe et davantage inscrite dans la durée[7] »[3].
La législation européenne vise à encourager le recyclage, mais a d'abord été plutôt floue : « les eaux usées traitées sont réutilisées lorsque cela se révèle approprié » (Article 12 de la directive ERU 91/271/CEE)[8]. En 2000, la directive cadre 2000/60/CE propose un cadre pour la « gestion durable » des ressources et pose que le recyclage contribue à cette gestion durable[9].
En 2007, l'OMS a émis des recommandations pour favoriser les pratiques de recyclage[10].
En France
En France, l'utilisation des eaux usées épurées pour l'irrigation est mentionnée par :
- l'article R211-23 du code de l'environnement[11] : « Les eaux usées peuvent, après épuration, être utilisées à des fins agronomiques ou agricoles, par arrosage ou par irrigation, sous réserve que leurs caractéristiques et leurs modalités d'emploi soient compatibles avec les exigences de protection de la santé publique et de l'environnement » ;
- l'arrêté du [12] (article 10) : « Dans le cas où le rejet des effluents traités dans les eaux superficielles n'est pas possible, les effluents traités peuvent être soit éliminés par infiltration dans le sol, si le sol est apte à ce mode d'élimination, soit réutilisés pour l'arrosage des espaces verts ou l'irrigation des cultures, conformément aux dispositions définies par arrêté du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de l'environnement ».
- l'arrêté du relatif à l'utilisation d'eaux issues du traitement d'épuration des eaux résiduaires urbaines pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts[13].
Et les avis suivants :
- recommandations du Conseil supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF) émises en 1991 pour une utilisation après épuration pour l'irrigation des cultures et des espaces verts[14] ;
- avis afssa 2008 : réutilisation des eaux usées traitées pour l'arrosage ou l'irrigation, Agence française de sécurité sanitaire des aliments, [15] (avis relatif à un projet d'arrêté fixant les prescriptions techniques, les modalités de mise en œuvre et de surveillance applicables à l'utilisation d'eaux issues du traitement d'épuration des eaux résiduaires des collectivités territoriales pour l'arrosage ou l'irrigation de cultures ou d'espaces verts).
- avis afssa 2010[16] (risques sur les effluents issus des établissements de transformation de sous-produits animaux. L'Anses a publié en 2012 un rapport évaluant les risques liés à l'exposition par voies respiratoire aux eaux usées traitées et donnant des préconisations[17].
Le plan Eau du pays, annoncé par le E. Macron en 2023[18] visait à soutenir 1 000 projets de réutilisation des « eaux non conventionnelles (ENC) » en 2027, pour un objectif d'au moins 10 % de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) à horizon 2030. En 2017, la France ne réutilisait que 0.2 % des eaux usées, loin de la moyenne européenne (2 %) et de l'Espagne (environ 10 %)[19]. On compte ainsi quelques installations à Narbonne[20], Clermont-Ferrand[21], Sainte-Maxime[2], Le Mont-Saint-Michel, Pornic, La Grande-Motte, etc.
Dans le passé, l'épandage d'eaux usées insuffisemment ou non-épurées a été la cause de pollutions graves et durables, par exemple en France dans la plaine de Bessancourt-Herblay-Pierrelaye utilisée comme champ d'épandage d'eaux usées [22]De nombreux retours d'expériences conduites avec prudence sont très positifs[23] (montrant notamment l'intérêt d'approches locales, concertées ; et « multibarrières » pour ce qui concerne la gestion du risque écoépidémiologique)[24]. Mais, néanmoins, des experts alertent sur un éventuel risque de maladaptation en cas de projets inadéquats (projets visant à accroitre la quantité globale d'eau consommée à la faveur de l'« effet rebond », la REUT étant présentée comme une nouvelle ressource, alors que cette eau remobilisée est localement ou plus ou moins temporairement susceptible de manquer de milieux naturels déjà en déficit[3]. Comme pour l'énergie et les sols, la protection de la ressource, la sobriété, l'optimisation des usages et le partage de la ressource restent des priorités, et « surtout, il ne faut pas oublier de prendre en compte de l'état des milieux aquatiques[3]. Par exemple, en considérant le rôle environnemental des eaux usées traitées dans le maintien des débits d'étiage pendant les périodes de sécheresse[25] », mais aussi leur potentiel de pollution des sols et des écosystèmes quand elles sont imparfaitement épurées (cf. nitrates, phosphates et potassium qui peuvent être valorisés comme nutriments agricole ou sylvicoles[26], mais aussi composés indésirables tels que microbes pathogènes[27], résidus de pesticides et métaux/métalloïdes, nanoplastiques, perturbateurs endocriniens...).
Exemples d'utilisations
L'utilisation du recyclage est de plus en plus étendue. 70 % des eaux d'égout sont recyclées, après traitement partiel : ces eaux permettent d'irriguer environ 20 000 hectares de terres, ce qui revient à plus de 16 % de l'ensemble des besoins en eau. De nombreuses villes du monde ont recours au recyclage :
- Singapour
- Sydney[28], Goulburn, Caboolture et Maroochy (Australie)
- Tucson, Clark County, Clearwater, Miami (bâtiment autonome), St. Petersburg, Castello di Amorosa (Vallée de Napa) (traitement et réutilisation des effluents viticoles), San Diego, Contra Costa County, Austin, Phoenix, Los Angeles (États-Unis)
- Berlin (Allemagne)
- Barcelone (Espagne) avec la plus grosse unité de recyclage d'eaux usées en Europe
- Oujda (Maroc)
Perspectives d'évolution
La demande de recyclage des eaux usées est en forte expansion dans le monde, avec des différences marquées de besoin, et de risques associés, selon les pays et régions.
Les grands acteurs du recyclage de l'eau estiment que le volume d'eau recyclée allait doubler entre 2005 et 2015 (passant de 19,4 Mm3/jour recyclées en 2005 à environ 55 Mm3/jour en 2015), fortement (de 40 à 60 % de croissance) dans les zones en fort stress hydrique (Espagne, Australie, Italie) ou d'urbanisation intensive (Chine), importante dans les pays industrialisés (environ 25 %).
En France, depuis 2015, le nombre de projets augmente, du fait de l'assouplissement du cadre réglementaire et du lancement d'un ambitieux appel à projets de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse (avec en 2016, le financement d'une quarantaine de dossiers). En parallèle, la Recherche sur le sujet s'intensifie, permettant d'optimiser la réutilisation et de réorienter la réglementation. Ainsi, dans le cadre de divers projets menés en France[29] et au Maghreb[30], l'INRAE étudie les risques environnementaux et sanitaires induits par la réutilisation des eaux usées, et les phénomènes de « bouchons » se créant dans le matériel d'irrigation (sédimentation, développement de biofilms, dépôts par précipitation des sels minéraux). Une plateforme expérimentale sur les impacts de la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) existe depuis 2017 à Murviel-lès-Montpellier (Hérault), qui pourrait devenir un pole agronomique expérimental de la REUT en France et en Europe[31].
L'acceptabilité sociale des consommateurs, agriculteurs et élus vis-à-vis de la réutilisation des eaux usées traitées est aussi un sujet d'étude[32],[33].
Notes et références
- ↑ « La réutilisation des eaux usées », sur u-picardie.fr (consulté le ).
- « Informations sur l'eau dans le monde: Le recyclage de l'eau », sur Informations sur l'eau dans le monde, (consulté le ).
- (en-US) Julie Mendret et Thomas Harmand, « Eaux de pluie et eaux grises : dans quelles conditions est-il autorisé de les réutiliser en France ? », sur The Conversation, (consulté le ).
- ↑ « Les eaux usées des logements deviennent le nouvel or noir de l'énergie verte en Europe », Les Échos (consulté le ).
- ↑ « A Valenton, les eaux usées deviennent du carburant », Les Échos, (consulté le ).
- ↑ (en-US) Julie Mendret et Thomas Harmand, « En France, la loi évolue pour faciliter la réutilisation des eaux usées », sur The Conversation, (consulté le ).
- ↑ Mayaux Pierre-Louis (2022), Réglementation et gouvernance de la REUT en agriculture. Une étude comparée de 6 pays: Algérie, Bolivie, Maroc, Palestine, Sénégal, Tunisie, Palestine ; Réglementation et gouvernance de la REUT en agriculture. Une étude comparée de 6 pays: Algérie, Bolivie, Maroc, Palestine, Sénégal, Tunisie, Palestine. Aix-en-Provence : Société du Canal de Provence, 72 p. Rapport d'expertise|url=https://agritrop.cirad.fr/605263/
- ↑ Guide de définition ERU : application de la directive 91/271/CEE relative aux eaux résiduaires urbaines sur eaudoc.oieau.fr
- ↑ La gestion durable en Europe, europa.eu
- ↑ Directives de l'OMS pour favoriser le recyclage, sur bvsde.paho.org [PDF].
- ↑ « Article R211-23 - Code de l'environnement », sur Légifrance (consulté le ).
- ↑ « Arrêté du 22 juin 2007 relatif à la collecte, au transport et au traitement des eaux usées des agglomérations d'assainissement ainsi qu'à la surveillance de leur fonctionnement et de leur efficacité, et aux dispositifs d'assainissement non collectif recevant une charge brute de pollution organique supérieure à 1,2 kg/j de DBO5 », sur Légifrance (consulté le ).
- ↑ Arrêté du 2 août 2010 relatif à l'utilisation d'eaux issues du traitement d'épuration des eaux résiduaires urbaines pour l'irrigation de cultures ou d'espaces verts, Légifrance (lire en ligne).
- ↑ Recommandations sanitaires relatives à l'utilisation, après épuration, des eaux résiduaires urbaines pour l'irrigation des cultures et des espaces verts Conseil supérieur d'hygiène publique de France, 1991[PDF].
- ↑ http://www.afssa.fr/Documents/EAUX-Ra-EauxUsees.pdf, sur Agence française de sécurité sanitaire des aliments[PDF].
- ↑ https://www.anses.fr/fr/system/files/EAUX2009sa0288.pdf, sur Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail [PDF].
- ↑ « Réutilisation des eaux usées traitées : l'Anses complète ses précédents travaux », sur anses.fr, (consulté le ).
- ↑ « Plan eau : 1 an après, 100% des mesures engagées », sur www.ecologie.gouv.fr (consulté le ).
- ↑ « Utiliser les eaux usées, pas l'eau potable : la France s'y met », Les Échos, (consulté le ).
- ↑ Eau recyclée de Narbonne, sante.gouv.fr [PDF].
- ↑ « Qualité de l'eau et assainissement en France (annexes) », sur Sénat, (consulté le ).
- ↑ Mandinaud V (2005) La pollution des sols des champs d'épandage d'eaux usées, contrainte et/ou ressource pour le développement durable en plaine de Bessancourt-Herblay-Pierrelaye. Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie, (Dossier 4).
- ↑ (en) « Milestones in Water Reuse: The Best Success Stories », iwaponline.com, IWA Publishing, (ISBN 978-1-78040-071-6, lire en ligne, consulté le ).
- ↑ ASTEE, « L'approche multi-barrière comme gestion alternative des risques pathogènes pour la réutilisation des eaux usées traitées », sur Astee TSM (consulté le ).
- ↑ (en-US) Taha Laaouimri et Timothée Ourbak, « Face aux sécheresses chroniques, l'idée de recycler les eaux usées fait son chemin », sur The Conversation, (consulté le ).
- ↑ Breault, Y. (2023). Eaux usées et économie circulaire ; comment optimiser le recyclage des nutriments ? Vecteur Environnement, 56(3), 54-55
- ↑ Sou Y.M (2009) Recyclage des eaux usées en irrigation : potentiel fertilisant, risques sanitaires et impacts sur la qualité des sols (Doctoral dissertation, Verlag nicht ermittelbar)
- ↑ Boerema A., « Sydney, une ville ayant choisi d'économiser l'eau », Sciences Eaux & Territoires, no 10, , p. 86-95 (lire en ligne).
- ↑ « Projet NOWMMA », sur Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, (consulté le ).
- ↑ « MADFORWATER », sur madforwater.eu, 2016-2020 (consulté le ).
- ↑ « Irriguer avec des eaux usées traitées : une plateforme expérimentale », sur Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, (consulté le ).
- ↑ Gaillagot, A., Consommateurs face à des produits issus de l'agriculture irriguée avec des Eaux Usées Traitées : quelles attitudes ? Étude de cas sur Montpellier et dans la Communauté de Communes du Grand Pic Saint Loup, , 76 p. (lire en ligne).
- ↑ « Irriguer avec des eaux usées traitées : approches et perceptions des français à l'étude », sur Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, (consulté le ).
Voir aussi
Bibliographie
- (en) Water Reuse: Potential for Expanding the Nation's Water Supply Through Reuse of Municipal Wastewater, National Academies Press, (ISBN 978-0-309-25749-7, DOI 10.17226/13303, lire en ligne)
- (en) Committee on the Beneficial Use of Graywater and Stormwater: An Assessment of Risks, Costs, and Benefits, Water Science and Technology Board, Division on Earth and Life Studies et National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine, Using Graywater and Stormwater to Enhance Local Water Supplies: An Assessment of Risks, Costs, and Benefits, National Academies Press, (ISBN 978-0-309-38835-1, DOI 10.17226/21866, lire en ligne)
- (en) National Research Council, Issues in Potable Reuse : The Viability of Augmenting Drinking Water Supplies with Reclaimed Water, (ISBN 978-0-309-06416-3, DOI 10.17226/6022, lire en ligne)
Articles connexes
Liens externes
- Le blog des eaux industrielles
- La réutilisation maîtrisée des eaux usées approfondir les connaissances pour lever les freins et relever les défis., Science Eaux & Territoires, L'irrigation en France, numéro 11, 2013, p. 54-57, 24/05/2013.
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