Les Recrues

Les Recrues

Titre original La commare secca
Réalisation Bernardo Bertolucci
Scénario Bernardo Bertolucci
Sergio Citti, d'après Pier Paolo Pasolini
Acteurs principaux

Francesco Ruiu
Giancarlo De Rosa
Silvio Laurenzi
Vincenzo Ciccora

Sociétés de production Compagnia Cinematografica Cervi
Cineriz
Pays de production Italie
Genre Drame
Durée 88 minutes
Sortie 1962

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Les Recrues (La commare secca) est un film italien réalisé par Bernardo Bertolucci, sorti en 1962.

La trame narrative est très semblable à celle du film Rashomon d'Akira Kurosawa, bien que dans une interview, Bertolucci nie avoir vu le film à cette époque.

Synopsis

À Rome, en 1960, le corps d'une prostituée est retrouvé sur les rives du Tibre. Un commissaire (qu'on n'entendra qu'en voix off) interroge les hommes qui ont été vus le soir du crime dans le parc où la femme exerçait son métier et chacun fait son propre récit sur la façon dont ils ont passé cette journée et se sont retrouvés à cet endroit le soir.

D'abord un garçon surnommé « Canticchia » prétend être passé par le parc en revenant d’un entretien pour un travail ; en réalité, cet après-midi-là, il s’adonnait avec deux acolytes (Nino et "le maire") à de menus larcins en volant des couples venus flirter au parc.

Ensuite « Le Calife », déjà bien connu de la police pour des précédents méfaits, prétend avoir passé la journée tranquillement en compagnie de sa petite amie Serenella ; en réalité, il est entretenu par Esperia, une femme qui est usurière et avec laquelle il va se quereller.

Le jeune soldat Teodoro a erré toute la journée dans la grande ville et, assis sur un banc dans le parc pour se reposer, s’est simplement endormi, sans se rendre compte de ce qui se passait autour de lui.

L’excentrique Natalino esquive les questions et accuse deux garçons vus dans le parc, Francolicchio et Pipito. Ceux-ci ont passé la journée en compagnie de deux filles (Domenica et Milly) et sont convenus de les rencontrer le lendemain pour déjeuner ensemble, mais n'ayant pas l’argent pour les inviter, ils approcheront le soir, dans le parc, un homosexuel qu'ils vont voler.

Cependant, un seul des deux garçons pourra raconter ce qui s’est passé car, lorsque la police s’est présentée dans leur village pour recueillir leur témoignage, ils se sont instinctivement enfuis, convaincus qu’ils étaient recherchés pour le vol, et l’un des deux s’est noyé dans la rivière.

Enfin, c’est la déposition de l'homosexuel victime du vol qui s’avèrera fondamentale pour résoudre l’enquête, car il a été témoin oculaire du meurtre, et il reconnaîtra l'assassin.

Fiche technique

Distribution

Tous les acteurs du film sont non professionnels. Par ordre d'apparition :

  • Francesco Ruiu : Eugiano Maialetti dit "Canticchia"
  • Giancarlo De Rosa : Nino
  • Vincenzo Ciccora : "le maire"
  • Alfredo Leggi : Felipe Bostelli dit "le calife"
  • Carlotta Barilli : Serenella
  • Gabriella Giorgelli : Esperia
  • Santina Lisio : Anita, mère d'Esperia
  • Ada Peragostini : Maria
  • Clorinda Celani : Soraya
  • Allen Midgette : Teodoro Cosentino, le soldat
  • Wanda Rocci : la prostituée
  • Renato Troiani : Natalino
  • Marisa Solinas : Bruna
  • Alvaro D'Ercole : Francolicchio
  • Romano Labate : Pipito
  • Emy Rocci : Domenica
  • Lorenza Benedetti : Milly
  • Erina Torelli : Mariella
  • Silvio Laurenzi : l'homosexuel
  • Gianni Bonagura : le commissaire (voix)
  • Elena Fontana (non créditée)
  • Maria Fontana (non créditée)

Titre

Le titre original, La commare secca (litt. « La marraine maigre »), désigne « la grande faucheuse », une personnification de la mort en romanesco[2],[3], telle que définie dans un sonnet de Gioachino Belli cité dans le dernier plan du film : « ... e già la Commaraccia secca de strada Giulia arza er rampino » (litt. « et déjà la vieille commère de la rue Giulia levait son crochet »).

Production

L'intrigue policière est peu intéressante, elle sert, à l'instar de la structure narrative de Rashomon, uniquement de cadre aux récits individuels des témoins ; Bertolucci déclare pourtant ne pas avoir vu Rashomon avant de réaliser ce film[4]. Bertolucci dresse plutôt, à partir de personnages qui n'ont que peu de liens entre eux, un portrait des classes pauvres vivant dans les borgate, ces « faubourgs romains où vivote une population de petits voyous, de proxénètes, de désœuvrés et de misérables »[3]. Cependant, ce n'est pas vraiment l'univers de Bertolucci. Il est plutôt issu de la biographie et des récits de Pier Paolo Pasolini, qui a écrit cette histoire quelques années auparavant. Le producteur Antonio Cervi achète les droits du film dans l'espoir que Pasolini en assure également la réalisation. Lorsque celui-ci remporte un énorme succès en 1961 avec Accattone, il choisit Mamma Roma comme projet suivant. Bertolucci et Pasolini se connaissent par l'intermédiaire du père de Bertolucci, Attilio, qui est poète, tout comme Pasolini à ses débuts. Le jeune Bertolucci assiste Pasolini lors de son premier film Accatone et apprend ainsi les ficelles du métier cinématographique, aux côtés de son mentor Pasolini. Sur proposition de Pasolini[5], Cervi charge Bertolucci d'écrire le scénario et lui adjoint Sergio Citti, un collaborateur de Pasolini et fin connaisseur de Rome et de son dialecte romanesco, afin de garantir la fidélité à l'œuvre originale de Pasolini[6]. Satisfait du résultat, Cervi confie la réalisation à Bertolucci, qui n'en croit pas sa chance[4]. À 21 ans, Bertolucci est le plus jeune membre de l'équipe du film et doit d'abord gagner la reconnaissance de ses collègues expérimentés. « Quand je repense au premier jour de tournage, j'en ai encore des frissons dans le dos. Lorsque le cadreur m'a demandé solennellement où il devait installer la caméra, j'ai vécu l'un des moments les plus angoissants de ma vie. Une fois pris dans le tourbillon des événements, c'était comme si je somnambulais et je me suis laissé emporter par le film »[7].

À première vue, le style de Les Recrues s'apparente au néoréalisme, car il met en scène des acteurs amateurs issus des milieux sociaux défavorisés. Mais Bertolucci ne s'intéresse pas aux causes qui façonnent la vie des personnages ; il ne remet pas non plus en question leurs actes. Lorsque le commissaire interroge les témoins, il ne s'intéresse pas à la morale, mais aux faits. Il n'est perceptible que par sa voix ; Bertolucci a renoncé à le montrer à l'écran afin de réduire le réalisme et le poids du genre policier[8]. La musique utilisée éloigne également les personnages du réalisme, chacun d'entre eux étant associé à un style musical différent, comme le proxénète associé à un tango entraînant.

Comme l'intrigue n'est pas la sienne, Bertolucci tente d'imprimer sa marque personnelle sur le plan formel[8] : « La caméra (à main) se faufile avec délectation : un long plan sous le mur, sur le sol à travers les buissons »[9]. Pasolini, qui filme de manière très statique, n'apprécie guère les nombreux travellings[10]. Le fait que le meurtrier soit originaire du Frioul est parfois interprété comme une pique à l'encontre de Pasolini, qui est originaire de la même région[9].

Le thème qui intéresse Bertolucci et qu'il a exploré était le passage du temps, le déroulement d'une journée, c'est-à-dire « la mort au travail »[8],[11]. Cette expression remonte à une déclaration de Jean Cocteau[12]. Le choix d'un thème aussi poétique s'explique également par le fait que Bertolucci, influencé par son père poète, écrit lui-même des poèmes dès son adolescence. Il considère d'ailleurs le cinéma comme plus proche de la poésie que du roman, car il n'y a pas d'intermédiaire entre l'idée du poème et l'idée du film[13]. Les critiques ont également choisi les termes de « poème » et d'« élégie » pour qualifier ce film[14].

Accueil public et critique

Les Recrues est présenté à la Mostra de Venise 1962 et ne remporte aucun prix. Si le jeune cinéaste est plébiscité par certains critiques, les critiques italiens lui ont notamment reproché sa ressemblance avec le film de Pasolini. Bertolucci attribue cela principalement au fait qu'il a remporté quelques jours avant le festival un prix littéraire important du pays, le prix Viareggio dans la catégorie « meilleur premier ouvrage », et que cela avait été trop pour beaucoup de gens[13],[15],[10]. Ce n'est que quelques années plus tard, après les grands succès cinématographiques de Bertolucci, que son premier film est redécouvert avec bienveillance[16]. Le dictionnaire du cinéma Reclams écrit : « Bertolucci a développé des sentiments et des émotions avec une virtuosité étonnante »[17].

Notes et références

  1. « Les Recrues », sur encyclocine.com
  2. Tonetti 1995, p. 11.
  3. Mathieu Macheret, « Reprise : « Les Recrues », tragiques faubourgs de Rome », sur lemonde.fr
  4. Bernardo Bertolucci dans une interview, bonus de l'édition DVD : The Grim Reaper. The Criterion Collection (272), 2005.
  5. Bernardo Bertolucci dans Les Lettres françaises, 10 janvier 1968, Paris.
  6. Ungari et Ravaud 1987, p. 29.
  7. Gérard, Jefferson Kline et Sklarew 2000, p. 33.
  8. Bernardo Bertolucci dans Film Quarterly, automne 1966, vol. 20, n° 1
  9. Kuhlbrodt 1982, p. 100.
  10. Garibaldi, Giannarelli et Giusti 1984.
  11. Gili 1978, p. 54.
  12. Ungari et Ravaud 1987, p. 11.
  13. Bernardo Bertolucci dans un entretien aux Cahiers du cinéma, mars 1965
  14. Frieda Grafe dans Filmkritik n° 6, 1966, p. 334
  15. Gili 1978.
  16. Tonetti 1995, p. 23-24.
  17. Reclams Filmlexikon, Philipp Reclam jun., Stuttgart 2001

Bibliographie

  • Jean Antoine Gili, Le cinéma italien, Paris, Union Générales d’Editions, (ISBN 2-264-00955-1)
  • (de) Dieter Kuhlbrodt, Bernardo Bertolucci, Munich, Hanser Verlag, coll. « Reihe Film 24 », (ISBN 3-446-13164-7)
  • (en) Andrea Garibaldi, Roberto Giannarelli et Guido Giusti, Qui commincia l'avventura del signor : Dall'anonimato al successo, 23 protagonisti del cinema italiano raccontano, La Casa Usher, , 279 p. (EAN 2570230278879)
  • (de) Enzo Ungari et Donald Ravaud, Bertolucci par Bertolucci, Calmann-Lévy, (ISBN 2-7021-1305-2)
  • (en) Claretta Micheletti Tonetti, Bernardo Bertolucci : The cinema of ambiguity, New York, Twayne Publishers, (ISBN 0-8057-9313-5)
  • Fabien Gérard, T. Jefferson Kline et Bruce Sklarew, Bernardo Bertolucci: Interviews, University Press of Mississippi, Jackson, (ISBN 1-57806-204-7)

Liens externes

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