Indo-Pacifique (géopolitique)
| Date | 2007 - |
|---|
| Discours de Shinzō Abe sur la « confluence des deux océans » |
En géopolitique et en relations internationales l'Indo-Pacifique ou l’Indopacifique désigne avant tout un espace allant des rivages de l’Afrique et de l'Asie à ceux de l'Océanie et des États-Unis, organisé autour du pivot chinois et indien, avec Singapour et Malacca en nœud central et Suez et Panama comme verrous d’accès[1]. D’un point de vue stratégique, l’Indopacifique est l’espace des interactions entre les trois plus grandes puissances mondiales actuelles ou en devenir : les États-Unis, la Chine et l'Inde[2]. Tous les autres acteurs se positionnent en fonction de leurs stratégies géopolitiques, dans une partie du monde où les enjeux sont multiples : commerciaux, sécuritaires et climatiques notamment[3].
Les quatre États à l'origine du concept géopolitique d'Indo-Pacifique durant les années 2000 sont le Japon, l'Australie, les États-Unis et l'Inde[4]. Début 2025, plus d’une douzaine de pays ou d’organisations internationales avaient adopté des documents de référence sur leur stratégie indo-pacifique. L’espace géographique couvert dans ces documents est variable selon qu’il inclut ou non les côtes orientales de l’Afrique et la façade pacifique du continent américain[5].
Dans sa définition la plus extensive, des côtes est-africaines aux côtes américaines, s'étendant sur quatre continents, l'Indo-Pacifique inclut plusieurs dizaines d'États qui représentent près des deux-tiers de la population mondiale et dont les rivalités géopolitiques sont multiples et souvent sans rapports directs avec les relations entre les trois grandes puissances. A contrario l'évolution de la Chine, passée en quelques années du statut de puissance commerciale à celui de grande puissance, très active dans tout cet espace indo-pacifique appelle ses rivaux à y définir et y mettre en œuvre une stratégie globale. L'action de Pékin est intrinsèquement indo-pacifique, qu'il s'agisse de son rôle dans les principales organisations multilatérales dans la zone, de sa Belt and Road initiative, de ses revendications en mer de Chine méridionale, de ses relations conflictuelles avec l'Inde, du déploiement de la Marine chinoise sur les routes maritimes actuelles ou en devenir dans l'Arctique[6]. Enfin, le devenir de Taïwan est un déterminant fort des politiques de Pékin et de Washington[7].
L'Indo-Pacifique est un concept géopolitique et n'est donc ni purement descriptif sur le plan géographique ni neutre sur le plan des relations internationales. Du point de vue de Washington, il s'agit de mobiliser le plus grand nombre possible de pays alliés ou amicaux pour contrer la puissance croissante de Pékin. La Chine ne reconnaît pas la validité de ce concept et considère qu'il s'agit d'une tentative des États-Unis de mettre en place une alliance hostile du type de l'OTAN. D'autres acteurs, comme l'ASEAN ou l'Inde, mettent l'accent sur des aspects tels que la prospérité économique, la connectivité et la coopération multilatérale dans leurs concepts indo-pacifiques[8],[9].
Organisation géopolitique de l'espace indo-pacifique
L'Indo-Pacifique n'est pas structuré autour de grandes organisations disposant de moyens d'action permanents importants comme c'est le cas en Europe de l'OTAN ou de l'Union européenne. Pourtant l'Indo-Pacifique est parcouru par de nombreuses organisations multilatérales ou minilatérales [note 1] qui traduisent à la fois la diversité des représentations et des intérêts géostratégiques qui s'y attachent et la généralisation de son usage qui montre son installation durable dans le paysage stratégique mondial[10].
| État | Indice
Lowy[11] |
ASEAN
(EAS) |
APEC | QUAD | AUKUS |
|---|---|---|---|---|---|
| USA | 82 | () | |||
| CHI | 73 | () | |||
| IND | 39 | () | |||
| JAP | 39 | () | |||
| AUS | 32 | () | |||
| RUS | 31 | () | |||
| KOR | 31 | () | |||
| SGP | 26 | ||||
| IDN | 22 | ||||
| GBR | NC | ||||
| FRA | NC |
Le tableau ci-contre présente le classement des principales puissances en Asie établi en 2024 par le Lowy Institute de Sydney. Ce classement multicritère mesure à la fois les ressources, les capacités économiques et militaires ainsi que l'influence d'une trentaine d'États en Asie. Les États-Unis et la Chine y occupent de loin les deux premiers rangs. Une douzaine d'États sont classés comme « puissance moyenne ». L'Inde, le Japon et l'Australie occupent les trois places suivantes. Ces pays jouent les premiers rôles dans la généralisation du concept d'Indo-Pacifique. La Russie occupe le sixième rang de ce classement, très loin des États-Unis et de la Chine[11].
Tous ces États participent à de nombreuses organisations politiques, économiques ou militaires dans l'espace Indo-Pacifique. La plupart d'entre elles sont des instances de coopération largement informelles et évolutives dans le temps. Ainsi, la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC) est un forum économique multilatéral, fonctionnant sur la base d'engagements non contraignants mais auquel participent les grandes puissances rivales de la zone[12]. Autres exemples, ceux-ci emblématiques du minilatéralisme stratégique, le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD) et l'AUKUS permettent d'organiser la coopération militaire entre leurs membres face aux ambitions chinoises, sans pour autant constituer des alliances militaires formelles[13]. A contrario, les États-Unis ont conclu des traités bilatéraux de défense formels avec le Japon (1951), les Philippines (1951), la Corée du Sud (1953) ainsi que le traité trilatéral ANZUS avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande
Fondée en 1967, l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) regroupe dix pays d'Asie du Sud-Est. Depuis qu'elle a formulé une vision stratégique pour l'Indo-Pacifique sous le titre ASEAN Outlook, elle occupe de nouveau une position centrale dans l'élaboration de l'architecture et de l'agenda régional en matière de sécurité dont elle avait été pionnière. Ce rôle s'exerce à travers les nombreux forums régionaux qu'elle organise. Ainsi, l'East Asia Summit (EAS) réunit chaque année depuis 2005 la quasi-totalité des dirigeants des pays acteurs de l'espace Indo-Pacifique. L'ASEAN Défense Ministers' Meeting Plus (ADMM+) rassemble depuis 2010 les ministres de la Défense de l'ASEAN et d'autres pays de la région[13].
La France et le Royaume-Uni ne sont intrinsèquement pas des puissances de l'Indo-Pacifique. Cependant, leur histoire coloniale, leur souveraineté sur des territoires ultra-marins mais surtout leurs intérêts commerciaux et stratégiques face à la montée en puissance de la Chine les a incités à se doter d'une stratégie indo-pacifique[14].
Vision stratégique des principales puissances de l'Indo-Pacifique
Japon
Jusque dans les années 2000, sur le plan diplomatique, le Japon vit dans l'ombre des États-Unis auxquels il est lié par le traité de sécurité de 1951 et dont il a adopté le régime démocratique. Son redressement économique spectaculaire et la montée en puissance de la Chine le conduisent à devenir un acteur important en Asie. Le discours du Premier ministre japonais Shinzō Abe, prononcé en 2007 devant le parlement de l'Inde, sur la « confluence des deux océans » est considéré comme fondateur du concept d'Indo-Pacifique[15]. La même année, le Japon signe avec l'Australie son premier pacte de sécurité permanent depuis celui de 1951[16]. En 2008, le Japon signe avec l'Inde une déclaration sur la coopération en matière de sécurité, amorçant ainsi une coopération qui ne fait que se renforcer depuis[17].
En 2016, Shinzō Abe franchit une étape décisive dans la formulation de la vision stratégique du Japon, publiée sous le titre l'Indo-Pacifique libre et ouvert (en anglais : Free and Open Indo-Pacific (FOIP))[18]. Selon le ministère de la Défense du Japon, les trois piliers en sont « diffuser et établir l’État de droit, la liberté de navigation, le libre-échange, poursuivre la prospérité économique, et garantir la paix et la stabilité »[19].
En 2023, à l'occasion d'un déplacement en Inde, le Premier ministre Fumio Kishida présente le Nouveau plan pour un Indo-Pacifique libre et ouvert[20]. Les idées à la base du FOIP demeurent inchangées : renforcer la connectivité de la région indo-pacifique, la transformer en un espace valorisant la liberté et l'État de droit, libre de toute force ou coercition, et la rendre prospère[21].
États-Unis
La focalisation des États-Unis sur l'Asie-Pacifique ne cesse de se renforcer depuis le début des années 2000. Elle devient officielle avec le « pivot vers l'Asie » annoncé par Barack Obama en 2011[22]. Sous sa présidence, l'administration américaine se réfère à la zone Asie-Pacifique. Sa stratégie consiste à réaffirmer la présence des États-Unis dans la région, de montrer à la Chine que les États-Unis sont déterminés à préserver leurs intérêts et ceux de leurs alliés tout en favorisant une politique de coopération dans de nombreux domaines[23]. À la fin de sa présidence, Obama affirme « qu'en tant que nation du Pacifique, nous sommes là pour rester. Dans les bons comme dans les mauvais jours, vous pourrez compter sur les Etats-Unis d’Amérique »[24].
En 2017, Donald Trump présente dans un discours prononcé à Da Nang, une vision d’« Indo-Pacifique libre et ouvert » (en anglais : Free and Open Indo-Pacific, FOIP). La National Security Strategy, qui présente fin 2017 la vision de l’administration Trump sur la situation en Asie, affirme que « la Chine cherche à supplanter les États-Unis dans la région de l’Indo-Pacifique, à étendre la portée de son modèle économique dirigé par l’État, et à réorganiser la région en sa faveur ». Pour la nouvelle administration, « une compétition géopolitique entre des visions libre et répressive de l’ordre mondial se déroule dans l’Indo-Pacifique »[8]. L'adoption du terme Indo-Pacifique se traduit de façon institutionnelle dans l'organisation des grands commandements militaires américains : en 2018, l'U.S. Pacific Command est renommé U.S. Indo-Pacific Command[25].
Royaume-Uni
En 2021, le gouvernement conservateur de Boris Johnson adopte une stratégie de défense qui vise à restaurer l'empreinte « globale » du Royaume-Uni après que le pays a quitté l'Union européenne. À ce titre, les Britanniques cherchent à renforcer leurs relations en matière de défense, de commerce et de politique étrangère avec la région Indo-Pacifique[26]. L'initiative la plus spectaculaire en résultant est le partenariat AUKUS établi en septembre 2021 par l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni en matière de sécurité et de défense. Son principal volet consiste en l'acquisition de SNA par l'Australie[27].
La Strategic Defense Review publiée en 2025 par le gouvernement travailliste de Keir Starmer marque le retour à une stratégie centrée sur l'alliance avec les États-Unis, le renforcement de l'OTAN et la défense de l'Europe[28]. Concernant l'Indo-Pacifique, le Royaume-Uni entend contrer la volonté de la Chine d'établir sa domination sur la région. À cet effet, la SDR identifie les priorités suivantes : la mise en œuvre du partenariat AUKUS, la poursuite du Global Combat Air Programme avec le Japon et la promotion des Five Power Defence Arrangements avec l'Australie, la Malaisie, la Nouvelle Zélande et Singapour[28].
Notes
- ↑ Approche de coopération internationale centrée sur la participation restreinte de quelques États, visant à créer un modèle adaptable à l'adhésion d'autres nations.
- ↑ Ce tableau présente seulement les participations des grandes et moyennes puissances de l'Indo-Pacifique à des organisations multilatérales. Plusieurs États membres de l'ASEAN n'y figurent en conséquence pas.
Références
- ↑ Vaimiti Goin, « L’espace indopacifique, un concept géopolitique à géométrie variable face aux rivalités de puissance », sur Géoconfluences, .
- ↑ « L’Inde pourrait-elle devenir la prochaine superpuissance mondiale ? », BBC News, (lire en ligne)
- ↑ « L’espace indopacifique, au cœur de la stratégie multipolaire de la France », sur IHEDN, .
- ↑ Géopolitique de l'Indo-Pacifique 2022, Chap. 1 - Conception et usage de l’idée d’Indo-Pacifique par les États : fondateurs, convertis, réfractaires, p. 24-42
- ↑ Marc Abensour, « Géopolitique de l’Indopacifique : comprendre la stratégie française », Le Grand Continent, (lire en ligne)
- ↑ Joseph Henrotin, « L'Indo-Pacifique à la croisée des chemins », DSI, no HS 100, , p. 6-8
- ↑ Marianne Péron-Doise, « L'Indo-Pacifique dans son contexte », DSI, no HS 100, , p. 10-14
- Géopolitique de l'Indo-Pacifique, 2022, Chap. 2 - L'Indo-Pacifique ou la réponse des États-Unis à l'affirmation de la Chine, p. 43-63.
- ↑ From Asia-Pacific to Indo-Pacific, SWP, 2020, Introduction.
- ↑ L'Indo-Pacifique : L'enjeu mondial, 2024, Introduction, p. 7-16
- Lowy Institute Asia Power Index 2024
- ↑ « Sommet Asie-Pacifique : Xi Jinping et Joe Biden à Lima pour une rencontre-clé avant le retour de Donald Trump », Le Monde, (lire en ligne)
- L'Indo-Pacifique, 2024, Chap. 3 - La coopération multilatérale : de l'Asie-Pacifique à l'Indo-Pacifique, p. 57-76
- ↑ L'Indo-Pacifique, 2024, Chap. 5 : Les Européens et l'Indo-Pacifique : quelle alternative ?, p. 77-100
- ↑ Géopolitique de l'Indo-Pacifique, 2022, Chap. 3 - L'Indo-Pacifique des alliés des États-Unis : l'Australie et le Japon, p. 64-86
- ↑ Philippe Pons, « Le pacte de sécurité signé entre Tokyo et Canberra inquiète Pékin », Le Monde, (lire en ligne)
- ↑ Edouard Pflimlin, « Face à la Chine, l'axe Inde-Japon se renforce », Le Monde, (lire en ligne)
- ↑ L'Indo-Pacifique, nouveau centre du monde, 2024, Chap. 5 - À chacun son Indo-Pacifique, p. 125-162
- ↑ « Initiatives du ministère de la Défense dans le cadre de la vision de l’« Indo-Pacifique libre et ouvert » (FOIP) », sur Ministère de la Défense du Japon (consulté le )
- ↑ (en) « Policy Speech by Prime Minister KISHIDA Fumio (New Plan for a “Free and Open Indo-Pacific”) », sur Ministère des Affaires étrangères du Japon,
- ↑ New Plan for a Free and Open Indo-Pacific, 2023
- ↑ Laure Mandeville, « Barack Obama pivote vers l'Asie, malgré l'Ukraine », Le Figaro, (lire en ligne)
- ↑ Joseph S. Nye, « Les États-Unis se tournent vers le Pacifique », Le Figaro, (lire en ligne )
- ↑ Gilles Paris, « Asie-Pacifique : le « pivot » inachevé d’Obama », Le Monde, (lire en ligne )
- ↑ (en) « Pacific Command Change Highlights Growing Importance of Indian Ocean Area », sur U.S. Department of Defense,
- ↑ (en) John Curtis et Louise Brooke-Holland, « The UK’s tilt to the Indo-Pacific and what’s next for its policy to the region? », sur UK Parliament,
- ↑ (en) Louisa Brooke-Holland, « AUKUS pillar 2: Advanced capabilities », sur UK Parliament,
- Strategic Defense Review, 2025
Bibliographie
Ouvrages
- Delphine Allès (dir.) et Christophe Jaffrelot (dir.), L'Indo-Pacifique : L'enjeu mondial, Les Presses de Sciences Po, , 189 p. (ISBN 978-2724643053).
- Valérie Niquet et Marianne Péron-Doise, L'Indo-Pacifique: Nouveau Centre du monde, Tallandier, , 254 p. (ISBN 979-1021057234).
- Isabelle Saint-Mézard, Géopolitique de l'Indo-Pacifique, Presses Universitaires de France, , 192 p. (ISBN 978-2130837787).
Documents nationaux officiels de stratégie indo-pacifique
- Australie : (en) « Foreign Policy White Paper », sur Australian Government, .
- Canada : « La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique », sur Gouvernement du Canada, .
- Corée du Sud : (en) « Republic of Korea Indo-Pacific Strategy », sur Ministry of Foreign Affairs, .
- États-Unis : (en) « Indo-Pacific Strategy of the United States », sur The White House, .
- France : « La stratégie de la France dans l'Indopacifique », sur Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, .
- Japon : (en) « New Plan for a Free and Open Indo-Pacific », sur Ministry of Foreign Affairs of Japan, .
- Royaume-Uni : (en) « The Strategic Defence Review 2025 », sur Gouvernement du Royaume-Uni, .
- ASEAN : (en) « ASEAN's Outlook on the Indo-Pacific », sur National University of Singapore, .
- UE : (en) « EU Indo-Pacific Strategy », sur European Union External Action (EEAS), .
Autres documents
- (en) Felix Heiduk et Gudrun Wacker, From Asia-Pacific to Indo-Pacific, German Institute for International and Security Affairs (SWP), , 43 p. (lire en ligne).
- (en) Lowy Institute (Sydney), « Asia Power Index 2024 », sur Lowy Institute, .
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