Watson et le Requin

Watson et le Requin
Version originale de 1778.
Artiste
Date
Lieu de création
Type
Technique
Huile sur toile
Dimensions (H × L)
182,1 × 229,7 cm
Mouvement
No d’inventaire
08600421
Localisation

Watson et le Requin, en anglais Watson and the Shark, est une peinture à l'huile sur toile du peintre anglo-américain John Singleton Copley datant de 1778. Elle représente une attaque de requin sur la personne de Brook Watson à La Havane, à Cuba.

Copley, qui vivait alors à Londres, en a peint trois versions, qui se trouvent toutes désormais aux États-Unis. La version de 1778 est conservée à la National Gallery of Art, à Washington, DC.. Une deuxième version grandeur nature de 1778 se trouve au Musée des Beaux-Arts (Boston) ; une troisième version, plus petite, de 1782, avec une composition plus verticale, se trouve au Detroit Institute of Arts.

Histoire

Watson et le requin s'inspire d'un incident qui s'est produit en 1749 au large des côtes de La Havane, à Cuba. Brook Watson, un garçon de 14 ans qui servait comme membre d'équipage sur un navire marchand, le Royal Consort[1], a été attaqué par un requin alors qu'il nageait seul dans le port. Il a subi trois attaques du requin et une partie de sa jambe a été arrachée avant que ses compagnons ne parviennent à le secourir. Watson, après une carrière militaire et étant devenu un marchand prospère, commande probablement le tableau à Copley un quart de siècle après l'événement. Il est ensuite devenu président de Lloyd's of London, député et Lord-maire de Londres[2],[3].

Copley et Brook Watson se sont rencontrés après l'arrivée de l'artiste à Londres en 1774. Watson et le Requin est la première d'une série de peintures d'histoire de grand format sur lesquelles Copley se concentre après s'être installé à Londres[4].

Le tableau est exposé à la Royal Academy of Arts en 1778, il est inscrit dans le catalogue sous le titre A boy attacked by a shark and rescued by some seamen in a boat, founded on a fact happened in the harbour of the Havannah[5]. Une gravure en manière noire est réalisée par Valentine Green, elle est publiée en mai 1779 [6]. À sa mort en 1807, Watson lègue le tableau au Christ's Hospital, avec l'espoir qu'il s'avérerait « une leçon très utile pour la jeunesse ». En septembre 1819, le comité des aumôniers de l'école vote pour l'accepter et le placer dans la grande salle. L'école est ensuite déplacée à Horsham (Sussex de l'Ouest), où il est accroché dans le réfectoire. En 1963, le tableau est vendu à la National Gallery of Art de Washington[7]. L'école en conserve toutefois une copie[8].

La version conservée à la National Gallery of Art comporte un écriteau situé sous le tableau sur lequel on peut lire :

« Cette image représentant un événement remarquable dans la vie de Brook Watson a été léguée au Royal Hospital of Christ de Londres par son testament. Il était issu d'une très bonne famille du nord de l'Angleterre, mais ayant perdu ses deux parents très tôt dans sa vie, il fut élevé par une tante et, avant l'âge de quatorze ans, manifesta une forte prédilection pour la mer, ce qui conduisit au malheur représenté sur le tableau.
Il a servi au Commissariat de l'armée sous l'immortel Wolfe à Louisberg en 1758. En 1759, il s'établit comme marchand à Londres et fut par la suite appelé à agir comme commissaire général de l'armée en Amérique commandée par Sir Guy Carleton, ancien Lord Dorchester.
À son retour de ce service, il fut élu échevin de la ville de Londres et l'un de ses représentants au Parlement, et resta membre de la Chambre des communes jusqu'à ce qu'il soit nommé au poste de commissaire général de l'armée sous Son Altesse Royale le duc d'York, agissant sur le continent européen.
En 1796, il fut élu Lord-maire et créé baronnet du Royaume-Uni en 1803.
Il mourut en 1807, alors qu'il était échevin de la ville de Londres, gouverneur adjoint de la Banque d'Angleterre, etc., etc., montrant ainsi qu'un sens élevé de l'intégrité et de la rectitude, associé à une ferme confiance en une providence dominante, uni à l'activité et à l'effort, sont les sources de la vertu publique et privée et la voie vers les honneurs et le respect. Le tableau a été peint par John Singleton Copley Esq. Royal Academician en 1778. »


Versions, études et créations d'après l'original

Une première version est conservée à la National Gallery of Art, puis Copley réalise une réplique grandeur nature du tableau pour lui-même en 1778, dont hérite son fils, qui passe ensuite dans plusieurs collections anglaises et américaines pour enfin être donné en 1889 au musée des Beaux-Arts de Boston[9].

En 1782, Copley avait peint une autre version plus petite du tableau, dans un format vertical et avec une perspective légèrement différente, prolongeant notamment la vue du ciel. Cette version appartient d'abord à Noël Desenfans. En 1946, elle est achetée par le Detroit Institute of Arts[10].

Le Metropolitan Museum of Art possède une étude à l'huile de l'œuvre de Copley[11].

La Galerie d'art Beaverbrook (Fredericton, Canada) possède une version miniature à l'huile sur cuivre d'après l'œuvre de Copley, par un peintre anonyme[12].

Outre la gravure de Valentine Green, d'autres versions d'après l'original sont conservées par le Birmingham Museums Trust[13], la Wellcome Collection[14], une version réalisée par Henry Sargent au musée des beaux arts de Boston [15].

Description et analyse

Brian DeLay décrit l'image comme celle d'un garçon nu qui flotte, impuissant dans l'eau, un immense requin l'approche, les mâchoires grandes ouvertes. Les sauveteurs luttent pour rapprocher leur petit bateau. Quatre hommes rament et regardent, hébétés. Deux se penchent au-dessus de l'eau et s'efforcent d'atteindre le garçon, tandis qu'un homme plus âgé, livide, agrippe l'un d'eux par la chemise et regarde bouche bée l'animal gris brillant en dessous. Un homme noir se tient debout, agrippant l'extrémité d'une corde inutile. Une dernière silhouette [la plus dynamique] aux vêtement plus élégants et plus formels, brandit un crochet de bateau, prêt à l'enfoncer dans le dos du monstre. Des navires amarrés et des bâtiments silencieux se profilent au loin, ordonnés et indifférents au drame qui se déroule dans le port. Il note également que « la géométrie centrale du tableau est un triangle qui longe le corps du garçon, passe par sa main retournée [vers l'arrière] jusqu'à l'extrémité du crochet, remonte le long du manche jusqu'au sommet du tableau, redescend le long du bras de l'homme noir et se termine au niveau de la mystérieuse jambe droite du garçon ». Brook Watson, qui a inspiré ce tableau, a perdu une jambe lors de cette attaque, mais dans le tableau, la jambe se termine simplement. « Si l'on sait où regarder, on peut voir l'eau obscurcie par de subtils rouges profonds près de la blessure »[2]. Pour Ana Finel Honigman dans cette « peinture dramatique et intense sur le plan émotionnel », Watson apparaît comme une créature presque mythique. Ici, il se débat dans l'eau, mais son corps nu et blanc semble se fondre dans les vagues, comme s'il faisait déjà partie de la mer[16].

L'image montre un moment, mais le spectateur ne peut savoir quelle est l'issue de la situation dramatique dépeinte, sauf s'il a lu le sous titre donné dans le catalogue: A boy attacked by a shark - and rescued by some seamen in a boat - (et sauvé par des marins). Ce qui a permis le rapprochement fait par Richard Dorment avec le tableau de 1768 An Experiment on a Bird in the Air Pump peint par Joseph Wright of Derby[17].

En 1778, Le tableau fit sensation à Londres, où il fut largement salué comme une œuvre extraordinaire, comparable à celles des maîtres italiens. Les critiques admirèrent son caractère narratif, mais mirent en doute son réalisme : des incohérences dans la représentation du bateau, des vagues, du vent et de l'anatomie du requin furent soulignées[18]. Les spectateurs contemporains y voyaient un récit saisissant du courage humain face à la nature, et le transfert de la volonté divine à l'action collective humaine[19].

Le tableau est considéré comme une image relevant d'un Romantisme précoce, celle d'un homme confronté aux forces de la nature[20]. Les chercheurs ont émis l'hypothèse que, Copley s'inspire de la manière de Benjamin West, dans sa peinture d'histoire La Mort du général Wolfe[21] en ce qu'il s'éloigne des codes habituellement requis pour des sujets historiques par la Royal Academy of Arts. Ils ont par ailleurs remarqué que pour composer Watson et le requin, l'artiste s'inspire et fait allusion à des sources aussi diverses que le Gladiateur Borghèse (Ier siècle av. J.-C.), le Laocoon (IIe siècle av. J.-C.), Saint Michel terrassant le démon de Raphaël, ainsi que La pêche miraculeuse , ou encore Jonas jeté à la mer de Pierre Paul Rubens[19],[22],[23]. En puisant son inspiration dans ces sources traditionnelles, Copley a non seulement utilisé un vocabulaire accessible aux spectateurs contemporains, mais il a également importé, selon Richard Dorment, les significations spirituelles des XVIe et XVIIe siècles. Grâce à cette stratégie, Copley a pu élever à la fois le sujet de sa peinture et sa propre stature. En effet, au cours de son voyage sur le continent, il avait raisonné que « les œuvres des grands maîtres ne sont que des tableaux, et que lorsqu'un homme peut aller un peu plus loin que ses contemporains, il devient un grand homme »[19].

Les expressions faciales présentent une ressemblance marquée avec celles de la Méthode pour apprendre à dessiner les passions de Charles Le Brun, un ouvrage influent publié en 1698 ; elles représentent une gamme d'émotions, de la peur au courage[6].

Différents éléments de composition ont été modifiés au fur et à mesure de l'avancement du tableau. L'analyse infrarouge montre que le vieux maître d'équipage était à l'origine un jeune homme[25]. Des croquis préliminaires révèlent que le marin noir à l'arrière du bateau, qui apparaît également comme le sujet de la Tête d'un nègre de Copley peinte à la même époque, était à l'origine envisagé comme un homme blanc aux cheveux longs et flottants[26],[27].

Les chercheurs du XXe siècle et XXIe siècle ont souligné son dialogue avec les modèles classiques et de la Renaissance, son attrait pour le sublime et sa suspension de l'action qui attire les spectateurs dans la scène. Les interprétations politiques y voient une allégorie de la Révolution américaine — la blessure de Watson symbolisant la perte des colonies par la Grande-Bretagne [23],[28], tandis que les lectures raciales[29] se concentrent sur la place centrale sans précédent du marin noir, considéré par certains comme une élévation radicale de son rôle, par d'autres comme une figure symbolique liée aux débats sur l'esclavage.

En fin de compte, les significations du tableau se sont multipliées au fil du temps[30], reflétant l'évolution des préoccupations religieuses, politiques, raciales ou populaires, confirmant ainsi qu'il s'agit d'un tableau historique dont la force symbolique dépasse l'intention initiale de Copley[19].

Notes et références

  1. Brayman 1852, p. 89.
  2. DeLay 2015.
  3. Brian DeLay, en 2015, pose toutefois la question de la présence de Watson dans le port de La Havane, connu à l'époque pour ses activités de contrebande....[2].
  4. Bendersky 2002.
  5. Masur 1994, p. 428.
  6. Miles 1995, p. 61.
  7. (en) « Watson and the Shark, 1778 », sur NGA (consulté le )
  8. (en) « A Remarkable Occurrence in the Life of Brook Watson », sur artuk.org (consulté le ).
  9. (en) « Watson and the Shark », sur MFA Boston (consulté le ).
  10. (en) « Watson and the Shark, 1782 », sur dia.org/collection.
  11. (en) « Watson and the Shark », sur metmuseum.org.
  12. (en) « Brook Watson and the shark », sur beaverbrookartgallery.collection.veevartapp.com.
  13. (en) « Watson and the shark », sur artuk.org.
  14. (en) « Watson and the shark », sur artuk.org.
  15. (en) « Watson and the Shark (copy after John Singleton Copley) », sur collections.mfa.org.
  16. (en) Ana Finel Honigman, « Watson and the Shark, painting by John Singleton Copley », sur britannica.com (consulté le ).
  17. Masur 1994, p. 441.
  18. Copley n’a jamais visité La Havane et il est probable qu’il n’a jamais vu de requin, et encore moins un requin attaquant une personne. Il a peut-être glané des détails du port de La Havane à partir d'estampes et d'illustrations de livres[16] : il inclut le point de repère véridique du fort El Morro en arrière-plan à droite. Le requin est moins convaincant et comprend des caractéristiques anatomiques que l'on ne retrouve pas chez ces mammifères, comme des lèvres, des yeux tournés vers l'avant qui ressemblent plus à ceux d'un tigre qu'à ceux d'un requin et de l'air sortant des « narines » de l'animal.
  19. Masur 1994.
  20. Miles 1995, p. 55.
  21. Miles 1995, p. 58.
  22. Clancy 2012.
  23. Jaffe 1977.
  24. (en) E. P. Richarsson, « Head of a Negro Boy by John Singleton Copley », Bulletin of the Detroit Institute of Arts, The University of Chicago Press on behalf of the Detroit Institute of Arts, vol. 32, no 3,‎ 1952-1953, p. 68-70 (lire en ligne, consulté le ).
  25. Miles 1995, p. 60.
  26. (en) « Rescue Group | Detroit Institute of Arts Museum », sur dia.org (consulté le )
  27. (en) Margaret Rose Vendryes, « The Fashionably Dressed Sailor: Another Look at the Black Figure in John Singleton Copley's Watson and the Shark », Athanor, Florida State University, vol. 11,‎ , p. 42-49 (lire en ligne [PDF], consulté le ).
  28. Abrams 1979.
  29. Boime 1989.
  30. Stein 1970.

Bibliographie

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  • (en) Roger Stein, Copley's Watson and the Shark and Aesthetics in the 1770s, State University of New York, (OCLC 3248626).

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