Méthode Levallois

La méthode Levallois est une méthode de débitage de la pierre employée au cours de la Préhistoire, surtout au Paléolithique moyen où elle est plus communément associée au Moustérien. Cette méthode implique la préparation d'une surface d'un nucléus pour le débitage d'un ou de plusieurs éclats prédéterminés.

Historique

La méthode Levallois doit son nom au site des carrières de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine)[1]. Elle a été reconnue et décrite dès la fin du XIXe et le début du XXe siècle, notamment par Victor Commont. Dans les années 1950, la réalisation de remontages et l'expérimentation ont permis à Harper Kelley[2] et François Bordes[3] d'en améliorer la compréhension. Ce dernier en a proposé une définition en 1961, en mettant l'accent sur l'importance de la prédétermination : la forme du futur éclat Levallois est déterminée par la préparation du nucléus[4].

En 1986, Éric Boëda a montré que la méthode décrite par Bordes n'était qu'une des variantes du débitage Levallois : la méthode à éclat préférentiel[5],[6]. Il montre que d'autres méthodes permettent de produire plusieurs éclats aux dépens de la surface d'un même nucléus : ce sont les méthodes récurrentes. Il propose de regrouper l'ensemble des méthodes Levallois au sein d'un unique « concept Levallois »[7],[8].

Le concept Levallois

Le concept Levallois implique une préparation spécifique du nucléus : le bloc est aménagé de façon à obtenir deux surfaces convexes sécantes. L'une est la surface de plans de frappe, l'autre est la surface de débitage. Cette dernière est aménagée de façon à présenter des convexités qui détermineront la forme et les dimensions du ou des futurs éclats Levallois. Les éclats Levallois ont un plan de fracturation parallèle au plan d'intersection des deux surfaces du nucléus.

Six critères permettent de reconnaître les nucléus Levallois[6],[9] :

  • le nucléus présente deux surfaces, l'une convexe et l'autre plane, délimitées par un plan d'intersection ;
  • les surfaces sont hiérarchisées ; la surface convexe sert de surface de plan de frappe et la surface plane est la surface de débitage des éclats prédéterminants (éclats de préparation des convexités) et prédéterminés (éclats Levallois) ;
  • les convexités du plan de débitage, aménagées grâce au débitage des éclats prédéterminants, permettent de contrôler le détachement du ou des éclat(s) Levallois ;
  • le plan de frappe est aménagé pour faciliter le détachement du ou des éclat(s) Levallois ;
  • le plan de fracturation des éclats Levallois est parallèle ou sub-parallèle au plan d'intersection des deux surfaces du nucléus ;
  • la technique employée est la percussion directe dure.

Le concept Levallois regroupe différentes méthodes aux objectifs spécifiques :

  • le débitage Levallois à un éclat préférentiel, dans lequel un seul grand éclat est détaché de la surface du nucléus après sa préparation ;
  • les méthodes récurrentes, dans lesquelles plusieurs éclats successifs sont détachés de la surface du nucléus, sans qu'il soit nécessaire de le repréparer :
    • le débitage Levallois récurrent centripète si ces éclats successifs convergent vers le centre du nucléus,
    • le débitage Levallois récurrent unipolaire si ces éclats successifs sont parallèles et partent d'un même plan de frappe,
    • le débitage Levallois récurrent bipolaire si ces éclats successifs sont parallèles et partent de deux plans de frappe opposés.

D'autres méthodes, unipolaires convergentes ou bipolaires, permettent d'obtenir des éclats caractéristiques appelés pointes Levallois.

Chronologie et répartition

Le débitage Levallois est attestée dès l'Acheuléen en Afrique orientale, il y a plus de 400 000 ans[10],[11].

En Europe du Nord-Ouest, il est attesté dès la fin du stade isotopique 10, dans des industries de type Acheuléen moyen ou Paléolithique moyen ancien[12],[13],[14]. Il va surtout se généraliser en Eurasie au Paléolithique moyen, durant le Moustérien (à partir du stade isotopique 8).

En Inde, le site préhistorique stratifié d'Attirampakkam, près de Madras, a montré des processus marquant la fin de la culture acheuléenne et l'émergence d'une culture du Paléolithique moyen il y a 385 000 ± 64 000 ans. L'émergence d'une culture du Paléolithique moyen vers 385 000 ans, beaucoup plus tôt que ce que l'on imaginait jusqu'alors pour l'Asie du Sud, conduit à revoir la théorie de l'« out of Africa ». Ces résultats documentent un important changement de comportement en Inde, et montrent qu'il est contemporain de processus similaires en Afrique et en Europe[15]. En raison de l'absence d'ossements fossiles sur place, les responsables de cette découverte posent la question de savoir si les utilisateurs de cette méthode étaient déjà des Homo sapiens. Ils évoquent la possibilité que ce type de débitage ait été inventé indépendamment dans différentes régions du monde[15].

En Chine, la méthode Levallois est attestée au moins depuis 170 000 ans[16].

Notes et références

  1. ↑ Coordonnées des carrières de Levallois-Perret : 48° 53′ 40″ N, 2° 17′ 18″ E
  2. ↑ H. Kelley, « Contribution à l'étude de la technique de taille levalloisienne », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. t. 51, no 4,‎ , p. 149–169.
  3. ↑ F. Bordes, « Principes d'une méthode d'étude des techniques de débitage et de la typologie du Paléolithique ancien et moyen », L'Anthropologie, vol. t. 54,‎ , p. 19–34.
  4. ↑ F. Bordes, Typologie du Paléolithique ancien et moyen, Bordeaux, Delmas, Publications de l'Institut de Préhistoire de l'Université de Bordeaux, Mémoire n° 1,
  5. ↑ É. Boëda, Approche technologique du concept Levallois et évaluation de son champ d'application. Étude de trois gisements saaliens et weichséliens de la France septentrionale (thèse), Université de Paris X-Nanterre, .
  6. É. Boëda, Le concept Levallois : variabilité des méthodes, Paris, CNRS, monographie du CRA n° 9, (ISBN 2-222-04772-2).
  7. ↑ L. Balout, Background to evolution in Africa, Chicago, , 701–735 p., « Procédés d'analyse et questions de terminologie dans l'étude des ensembles industriels du Paléolithique inférieur en Afrique du Nord »
  8. ↑ M. Dauvois, Préhistoire africaine - Mélanges offerts au doyen Lionel Balout, Paris, Ed. ADPF, , 313–321 p., « De la simultanéité des concepts Kombewa et Levallois dans l'Acheuléen du Maghreb et du Sahara Nord-Occidental »
  9. ↑ É. Boëda, « Le débitage discoïde et le débitage Levallois récurrent centripède », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 90, no 6,‎ , p. 392–404 (DOI 10.3406/bspf.1993.9669, lire en ligne, consulté le ).
  10. ↑ C. Shipton, « Predetermined Refinement: the Earliest Levallois of the Kapthurin Formation », Journal of Paleolithic Archaeology, vol. 5, no 1,‎ , p. 4 (ISSN 2520-8217, DOI 10.1007/s41982-021-00109-1, lire en ligne, consulté le ).
  11. ↑ Ch.A. Tryon, S. McBrearty et P.-J. Texier, « Levallois Lithic Technology from the Kapthurin Formation, Kenya: Acheulian Origin and Middle Stone Age Diversity », African Archaeological Review, vol. 22, no 4,‎ , p. 199–229 (ISSN 1572-9842, DOI 10.1007/s10437-006-9002-5, lire en ligne, consulté le ).
  12. ↑ M.-H. Moncel, A.-M. Moigne et J. Combier, « Pre-Neandertal behaviour during isotopic stage 9 and the beginning of stage 8. New data concerning fauna and lithics in the different occupation levels of Orgnac 3 (Ardèche, South-East France): occupation types », Journal of Archaeological Science, vol. 32,‎ , p. 1283–1301.
  13. ↑ L. Bourguignon, H. Djema, P. Bertran, C. Lahaye et P. Guibert, Les sociétés du Paléolithique dans un Grand Sud-Ouest de la France : nouveaux gisements, nouveaux résultats, nouvelles méthodes, Mémoire de la Société Préhistorique Française, 47, journées scientifiques de la Société préhistorique française, université Bordeaux 1, Talence 24-25 novembre 2006, , 41–55 p., « Le gisement Saalien de Petit-Bost (Neuvic, Dordogne) à l’origine du Moustérien d’Aquitaine ? ».
  14. ↑ M. Jarry (dir.), D. Colonge (dir.), L. A. Lelouvier (dir.), V. Mourre (dir.), Les Bosses 1, Lamagdelaine (Lot) : un gisement paléolithique moyen antérieur à l’avant-dernier Interglaciaire sur la moyenne terrasse du Lot, Société Préhistorique Française, Travaux 7, , 158 p
  15. (en) Kumar Akhilesh, Shanti Pappu, Haresh M. Rajapara, Yanni Gunnell, Anil D. Shukla & Ashok K. Singhvi, Early Middle Palaeolithic culture in India around 385–172 ka reframes Out of Africa models, Nature, volume 554, pages 97–101, 1er février 2018
  16. ↑ (en) Yue Hu, Ben Marwick, Jia-Fu Zhang, Xue Rui, Ya-Mei Hou et al., « Late Middle Pleistocene Levallois stone-tool technology in southwest China », Nature, vol. 565,‎ , p. 82-85 (DOI 10.1038/s41586-018-0710-1).

Voir aussi

Bibliographie

  • M.-L. Inizan, M. Reduron-Ballinger, H. Roche, et J. Tixier : Préhistoire de la Pierre Taillée - t. 4 : Technologie de la pierre taillée, Meudon, CREP, (1995) (ISBN 2-903516-04-9)

Articles connexes

Liens externes

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