Soupes-conférences

Soupes-conférences

Page « Soupe-conférence anarchiste » dans L'Illustration (24 décembre 1892)[1].

Création Novembre 1891
Pays France
Coordonnées 48° 52′ 21″ nord, 2° 22′ 41″ est
Organisateur Anarchistes
Pierre Martinet
Séverine
Eugénie Collot
Date 1891-1893+
Nombre de participants Dizaines de milliers au moins

Les soupes-conférences sont une série de réunions et distributions alimentaires anarchistes individualistes tenues à la salle Favier, 13 rue de Belleville, lors des automnes et hivers des années 1890. Imaginées notamment par Pierre Martinet[2] et Jules Chatillon[3] en 1891 comme un moyen de toucher une population pauvre et défavorisée, notamment les femmes, chômeurs, travailleuses du sexe ou criminels[2]. La journaliste Séverine les rejoint rapidement[4]. Selon l'historien Jean Maitron, elles illustrent l'ouverture du mouvement anarchiste aux personnes les plus défavorisées de leur société[5]. Les soupes-conférences distribuent jusqu'à cinq mille repas par événement[6].

À partir de 1892, les soupes-conférences sont organisées par un Comité féminin, qui en prend en charge la gestion alimentaire et les conférences. Une membre notable de ce comité est Eugénie Collot[7],[8]. Des militants comme Jules Rousset l'organisent aussi à partir de cette période. Elles reçoivent le soutien financier d'un certain nombre de figures artistiques et intellectuelles de la période, comme, entre autres : Sarah Bernhardt, Alphonse Daudet, Émile Zola, Anatole France ou encore Stéphane Mallarmé.

Histoire

Contexte

La salle Favier, située 13 rue de Belleville, est un lieu de rassemblement du mouvement ouvrier et anarchiste français. En 1890, Louise Michel y organise une conférence où elle s'oppose à la récente conférence de Berlin comme d'une manipulation bourgeoise pour asservir les prolétaires[9].

Soupes-conférences de la salle Favier

Ces réunions sont liées à la mouvance anarchiste individualiste au sein de l'anarchisme[10]. En novembre 1891, Pierre Martinet cherche à organiser ces conférences[11]. Il commence à organiser des interventions payantes, dirigées vers un public plus aisé, puis utilise les recettes de ces interventions pour financer les soupes-conférences, où il prévoit et a promis de faire distribuer 4 000 soupes[11]. Malgré son projet, il ne récolte qu'une maigre somme et doit fournir le reste des fonds lui-même, ce qu'il fait[11]. Le militant cherche à inviter les personnes pauvres, les femmes et les travailleuses du sexe, ce qui se reflète dans son appel[11],[12] :

« aux vagabonds, aux mendiants, aux repris de justice, appel à ceux qu'on qualifie de souteneurs, appel aux femmes qu'on insulte du nom de publiques, appel à tous les malheureux, à toutes les malheureuses. »

Il intervient le lendemain lors de la première soupe-conférence, le 15 novembre 1891[11]. Celle-ci rassemble environ mille personnes, surtout pauvres, qui viennent se servir et distribue plus de trois mille repas et autant de journaux anarchistes, car certaines personnes se resservent[13]. Une douzaine de « compagnons et compagnonnes » font le service, les femmes étant vêtues d'un tablier blanc et les hommes de manches de chemise[13]. Séverine rejoint à l'organisation des soupes-conférences le mois suivant, en décembre 1891, car elle tient à aider ses camarades[14]. Le Père peinard la décrit de manière très positive dans ce cadre[15]. La veille de ces rassemblements, des anarchistes se rendent auprès des dortoirs de fortune, bistrots et foyers de nuit de l'espace francilien pour inviter les personnes s'y trouvant[15].

L'organisation des soupes-conférences est gérée à partir de l'année suivante par un Comité féminin, à ne pas confondre avec le Comité féminin, une organisation anarchiste postérieure. Ce comité est composé entre autres des militantes Livernois, Piffet, Dupont, Job, Petitjean ou Eugénie Collot, selon Dominique Petit dans Le Maitron[17],[18]. Collot quitte l'organisation des soupes-conférences l'année suivante, en 1893[18].

Des militants participent aussi à l'organisation des soupes-conférences, comme Jules Rousset, qui met en place un certain nombre de ces événements en 1892[19],[6]. Il est soutenu dans ces projets par Alphonse Daudet, Émile Zola, Adrien Scholl, Clovis Hugues, Henry Becque, Paul de Cassagnac, Léon Say, Maurice Barrès, Édouard Detaille, Stéphane Mallarmé, Félicien Champsaur, Georges Olmet, Meilhac, M. Veil-Picard, Paulus, Louis Lagasse, Anatole France et Sarah Bernhardt[19],[6],[16]. Il est particulièrement bien accueilli par Bernhardt, qui lui donne cent francs et quatre places pour venir assister à son spectacle Les Rois[19]. Mallarmé n'est pas chez lui quand Rousset s'y présente, et lui envoie plutôt ce billet avec de l'argent[20] :

« J'ai mille fois regretté de ne pas m'être trouvé chez moi quand vous vous y êtes présenté. Voulez-vous accepter le don d'un homme qui n'est pas riche.
De coeur avec votre oeuvre. »

Après l'attentat de l'Assemblée nationale et pendant la répression de janvier et février 1894, Rousset est arrêté et d'abord inquiété pour « association de malfaiteurs », mais quand les autorités voient l'étendue des financements, qui proviennent d'un pan notable du monde intellectuel et artistique français de la période ; elles cessent de poursuivre Rousset pour cela - ce qui les aurait forcé à arrêter les artistes[6]. Il est plutôt mis en procès pour escroquerie et mendicité, car il n'a pas utilisé les fonds récoltés pour de nouvelles soupes-conférences. Rousset se défend en disant qu'il n'a pas dépensé l'argent, a nourri jusqu'à 5 000 personnes par soupe-conférence en 1891 et 1892, mais que les 400 francs récoltés seraient insuffisants pour l'instant pour réunir un tel événement de nouveau[19]. Il est tout de même condamné à six mois de prison ferme pour abus de confiance, ce que Le Petit Journal présente comme une décision de justice incompréhensible en revenant sur l'événement en 1936[6].

Pendant cette période, les soupes-conférences sont visées dans leur ensemble, d'autres anarchistes sont arrêtés et elles s'interrompent un temps[21].

Postérité

L'historien du mouvement anarchiste français Jean Maitron utilise l'exemple des soupes-conférences pour illustrer l'ouverture du mouvement anarchiste aux « éléments déclassés » de la société - ce qu'il note en comparaison avec les marxistes, un mouvement idéologique opposé attaquant les anarchistes pour ces choix politiques[12].

Références

  1. « L'Illustration : journal universel », sur Gallica, (consulté le )
  2. « En 1891, Pierre Martinet participa à l’organisation des « soupes-conférences » données salle Favié, au 13, rue de Belleville. L’ambition était de distribuer à manger aux mendiants, vagabonds et marginaux en leur dispensant des discours révolutionnaires. » - Dictionnaire Maitron des anarchistes, MARTINET Pierre, Paul, Désiré.
  3. « Il fréquentait les groupes anarchistes et exploitait de concert avec Jules Rousset, dit St Martin, les personnalités en vue, en leur demandant des subsides, pour organiser des soupes-conférences. Ces recueils de fonds pour les soupes-conférences débutèrent en novembre 1891. » - Dictionnaire Maitron des anarchistes, CHATILLON Jules, Jean-Baptiste dit MINARD ou MENARD.
  4. « LA SOUPE ANARCHISTE. Le groupe anarchiste de Paris avait adressé la semaine dernière un nouvel appel aux mendiants, aux vagabonds et aux repris de justice," en leur offrant une soupe et une conférence, la nourriture de l'esprit et du corps. La distribution de soupes s'est faite hier â la salle Favié à plus de trois mille indigents ; une partie de ces malheureux ont écouté les discours des compagnons Martinet, Leboucher, etc. Mme Séverine avait tenu à aider elle-même les compagnes anarchistes, distributrices de soupes. » - Le Petit Journal, 7 décembre 1891, page 2.
  5. « Dix ans plus tard (cf. Le Père Peinard du 15 novembre 1891), les anarchistes organisaient à Paris des soupes-conférences et ils faisaient « appel aux vagabonds, aux mendiants, aux repris de justice ». » - Jean Maitron, « Un "anar", qu'est-ce que c'est ? », Le Mouvement social, n° 83, 1973, p. 23, sur le site gallica.bnf.fr, lire en ligne.
  6. « Rousset, animateur des « Soupes-conférences ». Cette organisation, tout en distribuant jusqu'à cinq mille soupes aux malheureux, a fait en même temps de la pronagande anarchiste. », « L'affaire Jean Grave et les soupes-conférences », Le Petit Journal, 14 décembre 1936, page 2.
  7. « En décembre 1892, elle fit partie du Comité féminin, organisateur des soupes conférences de la salle Favier (voir Chatillon), où les anarchistes donnaient à manger aux « meurt-de-faim et de va-nu-pieds », tout en leur faisant écouter des orateurs. » - Dictionnaire Maitron des anarchistes, COLLOT Marie, Eugénie.
  8. Marie-Pier Tardif, Ni ménagères, ni courtisanes. Les femmes de lettres dans la presse anarchiste française (1885-1905) (thèse de doctorat), Lyon, Université Lyon 2, (lire en ligne ), page 42.
  9. « Marseille », Le Sémaphore de Marseille,‎ , p. 1
  10. Carl Tobias Frayne, « Individualist Anarchism in France and Its Legacy », Cambridge University Press (CUP) (PhD thesis),‎ , p. 78 (DOI 10.17863/CAM.80240, lire en ligne, consulté le )
  11. « Les soupes-conférences », La France,‎ , p. 3
  12. Jean Maitron, « Un "anar", qu'est-ce que c'est? », Le Mouvement social, no 83,‎ , p. 23 (ISSN 0027-2671, DOI 10.2307/3807386, lire en ligne, consulté le )
  13. « Les 'soupes-conférences' », Le Petit Républicain de l'Aube,‎ , p. 1
  14. « La soupe anarchiste », Le Petit Journal,‎ , p. 2
  15. « Soupe-conférence », Le Père peinard,‎ , p. 3 (lire en ligne)
  16. Henri Varenne, « De Ravachol à Caserio : Les soupes-conférences », Le Libertaire,‎ , p. 2 (lire en ligne [PDF])
  17. Tardif 2021, p. 42.
  18. « COLLOT Marie, Eugénie [Dictionnaire des anarchistes] – Maitron » (consulté le )
  19. « Les soupes-conférences. On sait ce que sont les soupes-conférences. Dans une grande salle, comme par exemple la salle Favier, on distribue aux malheureux des soupes c'est le pain du corps. Au centre est une tribune ou montent des orateurs en dépit du proverbe qui veut que ventre affamé n'ait point d'oreilles, ils donnent le pain de l'esprit. Ces orateurs prêchent l'Evangile des temps nouveaux ils jettent sur les souffrances humaines des paroles de convoitise et de haine. Plusieurs de ces conférences furent organisées par Martinet le compagnon Rousset lui succéda en 1891. » - Journal des débats politiques et littéraires, 13 février 1894, page 3.
  20. « Les soupes-conférences », Le Libertaire,‎
  21. (en) « Zola and the anarchist : Soup-conferences suppressed », The New York Herald,‎ , p. 1

Bibliographie

  • Marie-Pier Tardif, Ni ménagères, ni courtisanes. Les femmes de lettres dans la presse anarchiste française (1885-1905) (thèse de doctorat), Lyon, Université Lyon 2, (lire en ligne )
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