Saliens (confrérie)
Les Saliens sont des prêtres romains voués au culte de Mars et dont la création remontait, selon la tradition, au roi Numa Pompilius.
Étymologie
Dans sa Langue latine, Varron[1] dérive Salii, nom latin des Saliens, du verbe salio (« sauter ») ou sal(i)to (« danser »)[2].
Dans sa Vie de Numa, Plutarque[3] rapporte la tradition selon laquelle l'éponyme des Saliens serait « un homme de Samothrace ou de Mantinée, nommé Salios, qui aurait été le premier à enseigner la danse en armes »[4]. Dans son abrégé de Verrius Flaccus, Festus rapporte la même tradition qu'il relie à Énée[5] : Festus cite d'abord Polémon selon lequel l'éponyme des Saliens serait « un Arcadien du nom de Salius, qu'Énée [aurait] emmen[é] de Mantinée en Italie et qui [aurait] appri[s] aux jeunes gens d'Italie la danse en armes »[5] ; Festus cite ensuite Critolaus selon lequel l'éponyme des Saliens serait « Saon de Samothrace, qui [aurait] apport[é] avec Énée les dieux Pénates à Lavinium [et] qui [aurait] enseigné la salienne (saliare), un genre de danse (genus saltandi) »[5].
Histoire
Une légende affirme qu'un bouclier particulier car bilobé, à double échancrure, l'ancile, serait miraculeusement tombé du ciel dans les mains du roi de Rome Numa Pompilius alors que Rome était ravagée par une épidémie de peste. Celle-ci s'épuisant peu après, le roi en attribua le mérite à l'objet qui, devenu symbole de pérennité de la ville, fut protégé d'un éventuel vol en le cachant dans un lot de onze boucliers identiques forgés par un certain Mamurius Veturius. Pour garder le tout dans un bâtiment du mont Palatin, la curia saliorum où sont aussi placés la statue du dieu de la guerre Mars et le lituus de Romulus, le monarque crée une sodalité de douze salii Palatini — les saliens du Palatin[6],[7],[3].
Le successeur de Numa, Tullus Hostilius, en difficulté dans un combat contre les Sabins, fit le vœu de créer, s'il triomphait, une seconde sodalité de douze prêtres dits tantôt Salii Collini[8] tantôt Salii Agonenses[9] ou Agonales[8] d'après un ancien toponyme du Quirinal (autre colline romaine, plus au nord) où ils ont leur siège[10] et où ils se consacrent au culte de Quirinus[11].
Ces deux collèges sacerdotaux tombent en désuétude à la fin de la République et seul celui des saliens du Palatin est remis à l'honneur par Auguste dans le cadre des réformes religieuses accompagnant son règne. Les saliens sont encore attestés au début du IVe siècle[12].
Les saliens étaient placés sous la tutelle de Jupiter, Mars, Quirinus, les dieux de la vieille triade précapitoline.
Organisation
Les deux sodalités sont présidées par un magister[12], aidé par un pro magister, qui règle l'administration et l'organisation des fêtes, dirige l'instruction des nouveaux, procède à l'intronisation comme au départ des membres, tient à jour les annales et gère le trésor sacré — fonds de terre accordés par l'état, portions d'ager publicus, dîmes sur les butins de guerre et donations privées[13]. Sont également attestées la charge de praesul (« chef de danse », coryphée) qui danse les figures que les autres répètent, et celle de vates (« chef de chant »)[14] qui chante le carmen, battant la mesure, mais éloigne aussi profanes et intrus, veillant au silence et prononçant l’augurium (message des dieux)[15].
Les changements dans le collège ont été partiellement conservés par les Fasti, sortes d'annales saliennes, qui permettent aux chercheurs de connaitre le nom de certains de ces prêtres danseurs.
Recrutement
La charge est un sacerdoce réservé aux patriciens ayant père et mère en vie lors de leur cooptation[14]. Elle est incompatible avec d'autres charges comme le flaminat ou les magistratures cum imperio[14].
La charge est un sacerdoce réservé aux patriciens ayant père et mère en vie lors de leur cooptation[14]. Elle est incompatible avec d'autres charges comme le pontificat, le flaminat, l'augurat ou les magistratures cum imperio[14]. La qualité de salien n'empêche pas d'exercer une autre fonction mais les devoirs du prêtre danseur, notamment sa participation à l'armilustrium priment ; ainsi Scipion l'Africain doit-il arrêter son activité militaire pendant un mois, en 190 av. J.-C. C'est pour cette raison que les empereurs n'ont quasiment jamais été prêtres saliens[16].
À Rome, le postulant salien doit être un homme libre né dans la cité et faisant partie des Ramnes pour être admis dans la confrérie palatine, ou un Sabin pour entrer dans celle de Quirinal ; partout, être patricien et en bonne santé physique répond à la condition sine qua non de l'admission dans la sodalité. Mais il n'est nul besoin de connaitre préalablement le rituel liturgique, les couplets du carmen, la danse religieuse ou les procédés de purification : des manuels existent dans la curie du Quirinal (et probablement dans celle du Palatin)[17]. Le candidat prêtre danseur peut être jeune (à la limite de la majorité et exceptionnellement plus jeune encore comme dans le cas de Marc Aurèle) mais il a généralement exercé une fonction du vigintivirat.
Les saliens jouissent de tous les privilèges des autres prêtres, sont exemptés du service militaire, ne paient aucun impôt, ont une place d'honneur dans les fêtes et les jeux, et voient leurs filles échapper à la potentialité d'être prises et instruites comme prêtresses de Vesta[16].
Fonctions
La principale fonction des saliens était la garde des douze boucliers sacrés (latin ancilia) dont un, découvert par Numa Pompilius, avait été donné aux hommes par le dieu Mars. Pour éviter tout vol ou profanation de cet objet sacré, Numa avait fait confectionner 11 copies identiques et dissimuler l'original parmi celles-ci.
En outre, les saliens présidaient aux deux fêtes qui, en mars (Quinquatrus) et en octobre (Armilustrium, purification des armes), encadraient la saison de la guerre. Aux origines, en effet, les Romains ne faisaient la guerre que de mars à octobre.
Il n'y a pas de description d'ensemble des rites pratiqués par les saliens durant l'ensemble du mois de mars, et le déroulement cérémoniel doit être reconstruit à partir de mentions diverses de plusieurs auteurs ; il y a toutefois des indications solides que la procession des saliens se déroulait sur l'ensemble de la période du 1er mars, qui ouvrait les festivités du mois, au qui semble être la dernière date à laquelle ils sont mentionnés. Ils se déplaçaient d'une station (mansio) à une autre chaque jour, et tenaient un banquet chaque soir.
Les cérémonies auxquelles les saliens participent ont surtout lieu au mois de mars[18],[3], période pendant laquelle il leur est interdit de voyager[18],[19],[20]. Aux calendes de mars, les saliens sortent les boucliers sacrés de la Regia[18],[21],[22]. Le , ils exécutent des danses au Comitium[18] ; les armes sont alors purifiées[18] et ils les déposent, sans doute dans la Regia[18],[23]. Les saliens sont supposés prendre part à deux autres fêtes marquant respectivement l'ouverture et la clôture de la saison militaire[18] : le Tubilustrium du [18] et l'Armilustrium du [18].
La cérémonie principale en mars consiste en une procession. Au cours de celle-ci, les saliens défilent[24], précédés de licteurs[14], et en portant, suspendus à des perches reposant sur leurs épaules, les douze boucliers sacrés[14]. Ils frappent leur bouclier avec une lance[25]. Ils traversent ainsi la ville de Rome en passant par le Comitium, le Forum[14],[26] et le Capitole[14],[26] ainsi que par un pont qui est vraisemblablement le pont Sublicius[14]. Lors de leur procession, les saliens exécutent une danse qui se caractérise par un rythme ternaire qu'ils marquent en frappant le sol[14]. Ils accompagnent leur danse de chants[14]. Raymond Bloch précise que le chant était si vieux que les exécutants ne comprenaient même plus la signification des paroles[27]. Pour leurs évolutions et leurs chants, les saliens sont accompagnés de la flûte et vraisemblablement de la trompette[14].
La confrérie des saliens est probablement un vestige des Männerbunde traditionnels des sociétés indo-européennes[28].
Costume
Lors des cérémonies, les saliens revêtent costume militaire archaïque composé d'une tunique courte, de couleur et/ou brodée, d'une cuirasse en bronze et d'une trabea, manteau court orné de motifs brodés de couleur pourpre[29]. Ils portent soit un bonnet surmonté d'un apex soit un casque[29]. Outre l'épée accrochée à leur ceinture, une lance et un bouclier bilobé complètent leur tenue[29].
Autres saliens
L'institution des saliens n'est pas propre aux Romains mais semble « commune aux Italiques du centre »[30] de l'Italie[31] : des collèges de saliens sont attestés à Albe la Longue, Lavinium, Laurentum[CIL 1], Tusculum, Tibur[CIL 2] et Anagnia[CIL 3],[31].
Quelques sources épigraphiques témoignent de la présence de saliens à Opitergium[CIL 4], Patavium[CIL 5], Vérone[CIL 6] et Ticinum[CIL 7].
Selon Servius, un collège de saliens aurait été créé à Véies par le roi Morrius[33],[34].
La colonie de Sagonte en Hispanie avait aussi un collège de saliens qui exécutaient une danse en l'honneur de Mars[35],[36],[37].
Notes et références
- ↑ Varron 5, 85.
- ↑ O'Hara 2016, A. 8.663, p. 215.
- Plutarque, 13.
- ↑ Lhommé 2018, p. 195.
- Lhommé 2018, p. 194.
- ↑ Tite-Live, 1, 20, 4.
- ↑ Cicéron, 2, 14.
- Denys d'Halicarnasse 2, 70, 1.
- ↑ Varron, 6, 14.
- ↑ Tite-Live, 1, 27, 4.
- ↑ Raymond Bloch, Sur les danses armées des Saliens, vol. 4, Annales, Économies, sociétés, civilisations, , p. 706-715.
- Estienne 2005, p. 85, col. 1.
- ↑ René Cirilli, Les prêtres danseurs de Rome. Étude sur la corporation sacerdotale des Saliens […], Paris, Librairie Paul Geuthner, 1913, 188 p.
- Estienne 2005, p. 85, col. 2.
- ↑ René Cirilli
- Cirilli 1913.
- ↑ Cirilli 1913, p. 60.
- Estienne 2005, p. 86, col. 1.
- ↑ Polybe, 23, 13, 10.
- ↑ Tite-Live, 37, 33.
- ↑ Ovide, 3, 259-260.
- ↑ Jean de Lydie 3, 22.
- ↑ Jean de Lydie, 4, 55.
- ↑ Giannotta 2004, p. 337, col. 2.
- ↑ Pour un descriptif très complet voir l'article "Salii" dans : A Dictionary of Greek and Roman Antiquities. William Smith, LLD. William Wayte. G. E. Marindin. Albemarle Street, London. John Murray. 1890 online
- Giannotta 2004, p. 338, col. 1.
- ↑ Raymond Bloch, Les Origines de Rome, 1959, p.118
- ↑ Jean Haudry, Mars et les Maruts, Revue des études latines, 91, 2014, 47-66, 2014
- Estienne 2005, p. 86, col. 2.
- ↑ Bayet 1957, p. 86.
- Guittard 2007, p. 61.
- Guittard 2007, p. 61, n. 2.
- Guittard 2007, p. 93, n. 234.
- ↑ Servius, 8, 285.
- ↑ Patrick Le Roux, Le Haut-Empire romain en Occident. D'Auguste aux Sévères (31 av. J.-C.-235 ap. J.-C.), Seuil, coll. « Points », , 511 p. (ISBN 978-0847700950, lire en ligne)
- ↑ Charles Daremberg, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, volume 4, Hachette, 1877, p. 1017 et note 6.
- ↑ CIL II, 3814,CIL II, 3853,CIL II, 3863,CIL II, 3865
Voir aussi
Sources littéraires antiques
- Cicéron, La République [détail des éditions] (BNF 12008960).
- Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines [détail des éditions] (BNF 12137510).
- Jean de Lydie, Les mois (BNF 13322207).
- Ovide, Fastes [détail des éditions] (BNF 12213123).
- Philocalus, Chronographe de 354 (BNF 16998083), Calendrier.
- Plutarque, Vies parallèles [détail des éditions] (BNF 12008377), Numa.
- Polybe, Histoires [détail des éditions] (BNF 12262855).
- Servius, Commentaire à Virgile (BNF 12106873), Énéide.
- Tite-Live, Histoire romaine [détail des éditions] (BNF 12008346).
- Varron, La langue latine (BNF 12425965).
Bibliographie
- [Bayet 1957] Jean Bayet, Histoire politique et psychologique de la religion romaine, Paris, Payot, coll. « Bibliothèque historique », , 1re éd., 334 p., in-8o (OCLC 300012236, BNF 37484899, SUDOC 009203370, présentation en ligne, lire en ligne).
- Raymond Bloch, « Sur les danses armées des Saliens », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 13, no 4, , p. 706-715 (OCLC 4648184402, DOI 10.3406/ahess.1958.2778, JSTOR 27579984, lire en ligne).
- [Estienne 2005] Sylvia Estienne, « Saliens (Salii Palatini, Salii Collini) », dans Thesaurus cultus et rituum antiquorum (ThesCRA), t. V : Personnel of cult, cult instruments, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, , 1re éd., XIX-502 p., 19,5 × 28 cm (ISBN 978-0-89236-792-4, EAN 9780892367924, OCLC 492539957, BNF 40121563, SUDOC 098971700, lire en ligne), p. 85-87.
- [Giannotta 2004] (en) Kristina Giannotta, « Dance of the Salii », dans Thesaurus cultus et rituum antiquorum (ThesCRA), t. II : Purification, initiation, heroization, apotheosis, banquet, dance, music, cult images, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, , 1re éd., XXI-646 p., 19,5 × 28 cm (ISBN 0-89236-789-X, EAN 9780892367894, OCLC 492176499, BNF 39984052, SUDOC 087096536, lire en ligne), p. 337-339.
- Lucien Gerschel, « Saliens de Mars et Saliens de Quirinus », Revue de l'histoire des religions, t. 138, no 2, , p. 145-151 (OCLC 4649445329, DOI 10.3406/rhr.1950.5751, JSTOR 23665799, lire en ligne).
- [Guittard 2007] Charles Guittard (préf. Gérard Freyburger et Laurent Pernot), Carmen et prophéties à Rome, Turnhout, Brepols, coll. « Recherches sur les rhétoriques religieuses » (no 6), , 1re éd., 369 p., 16 × 24 cm (ISBN 978-2-503-50954-9, EAN 9782503509549, OCLC 213040452, BNF 42361782, SUDOC 117435953, présentation en ligne, lire en ligne).
- Wolfgang Helbig, « Sur les attributs des Saliens », Mémoires de l'Institut national de France, t. 37, no 2, , p. 205-276 (OCLC 6854997893, DOI 10.3406/minf.1906.1585, lire en ligne).
- [Lhommé 2018] Marie-Karine Lhommé, « La mythologie dans des articles de dictionnaire : Festus et Paul Diacre mythographes », Eruditio Antiqua, vol. 10 : « La circulation des mythes (IVe – Xe siècles) », , p. 183-206 (lire en ligne [PDF]).
- [O'Hara 2016] (en) James J. O'Hara, True names : Vergil and the Alexandrian tradition of etymological wordplay, Ann Arbor, UMP, hors coll., , 2e éd. (1re éd. ), XLIII-325 p., 15,2 × 22,8 cm (ISBN 978-0-472-03687-5, EAN 9780472036875, OCLC 992709200, DOI 10.3998/mpub.9371709, SUDOC 202760286, présentation en ligne, lire en ligne).
- Liselotte Liegeois, « La sodalité des saliens : des prêtres-danseurs au service du temps guerrier dans la Rome antique », La Revue d'Histoire Militaire, Les Lilas, La Revue d'Histoire Militaire, 2023 (lire en ligne).
- René Cirilli, Les prêtres danseurs de Rome. Étude sur la corporation sacerdotale des Saliens […], Paris, Librairie Paul Geuthner, 1913, 188 p.
Articles annexes
Liens externes
- (en) « Salii », notice d'autorité no 20110803100438221, Oxford Reference, OUP.
- Dictionnaire des antiquités
- Portail de la Rome antique
- Portail de la mythologie romaine