Rutaka
| Rotaka | ||
| Date | ||
|---|---|---|
| Lieu | Mahajanga (Madagascar) | |
| Victimes | Comoriens | |
| Type | Massacre | |
| Morts | ~ 2 000 | |
| Auteurs | Antandroy et Betsirebaka | |
| Coordonnées | 15° 43′ 00″ sud, 46° 19′ 00″ est | |
| Géolocalisation sur la carte : Madagascar | ||
Le Rutaka ou Kafa la Mjangaya (en comorien) est un massacre de Comoriens perpétré dans la ville de Mahajanga à Madagascar en qui aurait fait plus de 500 morts et a entraîné le départ en exil de plus de 15 000 ressortissants comoriens[1].
Contexte
Les Malgaches vivant à Mahajanga sont répartis en plusieurs ethnies : des Sakalaves, qui sont les habitants historiques de la région, des Mérinas du centre de l'île, occupant généralement des postes fonctionnaires et des Antaimoros, des Antaisaka et des Antandroy, regroupés sous le terme général de Betsirebaka, originaires du sud-est de l'île. Ces derniers sont peu nombreux (entre 500 et 1000 personnes) et constituent une sorte de sous-prolétariat.
La communauté comorienne représente près du tiers de la population de la ville (15 000 à 17 000 membres). La plupart sont nés à Madagascar et un certain nombre d'entre eux ont encore la nationalité française, car trois des quatre îles de l'archipel des Comores (Grande Comore, Anjouan et Mohéli) viennent tout juste d'accéder à l'indépendance (seule Mayotte est restée française). Les hommes occupent généralement des emplois nécessitant une certaine qualification et ont, de ce fait, un statut social supérieur à celui des Betsirebaka.
Déclenchement
Le massacre est déclenché par un incident. Le dans la ville de Mahajanga dans le quartier de Fifio, eut lieu une querelle de voisinage dans le quartier de Mahabibo (un enfant Betsirebaka ayant fait ses besoins dans la cour d’une famille comorienne, un membre de la famille, excédé par cet acte, barbouilla l'enfant de ses propres excréments). Ce geste, qui enfreint plusieurs tabous, est considéré par les Betsirebaka comme un affront. La communauté comorienne propose un zébu et de l’argent, mais les Betsirebaka refusent tout accord à l’amiable.
Massacre
Le lendemain, le massacre (rutaka) débute dans le quartier de Mahabibo.
Durant trois jours, les Betsirebaka procèdent à des assassinats à la machette, à des mutilations et des viols dans les familles comoriennes. Ils incendient le quartier de Manga et saccagent les maisons de l’Abattoir[2].
Bilan
Le bilan s’élèverait à entre 500 et 2000 morts selon les sources. Le ministre comorien des Affaires étrangères de l'époque, Mouzaoir Abdallah, avait estimé que ces massacres avaient fait 1374 morts (soit dix fois plus que le chiffre avancé du côté malgache)[3].
Parmi les victimes, un certain nombre étaient originaire de Mayotte (resté territoire français). Même s'ils n'étaient pas inscrit comme citoyens français au consulat de France, les autorités françaises ont toujours considéré les mahorais comme ressortissants Français, même si ceux-ci étaient en passe de « dénationalisation » et avait la possibilité d'obtenir par la suite la nationalité comorienne[4].
Le nombre de réfugiés vers les Comores évacués par la compagnie d'aviation belge Sabena est de l’ordre de 17 000[5], ce qui leur vaudra par la suite le nom de « Sabenas »[6].
Les affrontements qui vont faire rage pendant trois jours ne peuvent s'expliquer que par une rancœur sourde, accumulée progressivement par les Malgaches les plus pauvres contre les « étrangers »[1],[7].
Jusqu'à aujourd'hui, ni les victimes du massacre ni leurs descendants n’ont perçu d'indemnisation ou de réparation de la part du gouvernement malgache.
Rôle ambigu de l'État malgache
L'armée et la police n'ont pas reçu d'ordre pour intervenir, sans qu'il soit clair s'il s'agit d'une sous-estimation de la gravité de la situation ou d'une volonté délibérée de ne pas intervenir[1]. Finalement, des Comoriens ont été massacrés sous les yeux des soldats, restés passifs, et personne n'a vu l'armée prendre la défense des victimes[1]. A contrario, certains témoins ont affirmé avoir vu des militaires malgaches prêter main-forte aux Betsirebaka[1].
Ce n’est que le troisième jour après le déclenchement des massacres, que les forces de l’ordre, qui se trouvaient à Diego Suarez, sont intervenues[8].
Bibliographie
Témoignage
- Hadidja Mohamed, La Petite Fille à la robe unique (26 août 2016)
- Article de Houdah Madjid - Rédactrice en chef adjointe - Mayotte Hebdo Hadidja MOHAMED : "L'ÉCOLE M'A SAUVÉE" Hadidja Mohamed, auteure de l'ouvrage La petite fille à la robe unique, revient sur son enfance douloureuse entre Madagascar et la Grande Comore en 1976, après le massacre de Comoriens par des Malgaches insurgés. Un récit autobiographique aussi poignant que tragique que la femme livre avec émoi. J'avais huit ans", se remémore Hadidja Mohamed. La franco-co�morienne quinquagénaire a survécu au massacre de Comoriens établis à Majunga en 1976. Tout a commencé le 19 décembre. Pendant trois jours, la petite fille de l'époque assiste au massacre de ses semblables : assassinats, mutilations, tortures, viols et déportations se succèdent. Suite à ce rutaka (massacre, en langue locale) près de 2000 personnes ont trouvé la mort. Plus de 16 000 auraient été déportés vers la Grande Comore et 2000 vers Mayotte avait indiqué le journaliste comorien Kamal Eddine Saindou dans son enquête. Hadidja Mohamed a survécu auprès de sa tante après avoir été déportées vers un camp militaire à Majunga. Elle n'oubliera jamais ces images atroces qui resteront certainement gravées au plus profond de sa mémoire. Quarante années plus tard l'auteure de l'ouvrage La petite fille à la robe unique*, ose en parler à travers une autobiographie qu'elle a travaillé pendant deux ans avant de la proposer à unemaisons d'édition. "J'avais besoin de parler", confie-t-elle. Celle qui porte quotidiennement le traumatisme du rutaka de Majunga 1976, prend sa plume et rédige des lignes au milieu de la nuit. Des lignes de souvenirs qu'elle veut retransmettre au monde entier. Un besoin de dénoncer toutes les horreurs vues et vécues mais aussi de faire la paix avec sa mémoire "pour que plus jamais cela ne se reproduise". "Aux Comores, on ne parle pas de ce qui s'est passé à Majunga en 1976. Il n'y a pas de journée de commémoration pourtant il y a des gens morts là-bas. Il y a également ceux qui sont revenus. Nous sommes là". Hadidja Mohamed retrouvera plus tard ses parents eux-aussi déportés au camp militaire puis rapatriés en Grande Comore via la compagnie belge Sabena. "Une chance", souligne la rescapée qui fait allusion à toutes les personnes assassinées et tous les enfants devenus orphelins suite au massacre. Mais Hadidja Mohamed elle, a pardonné. "J'ai pardonné parce que j'ai retrouvé mes parents". OSER RÊVER APRÈS LE MASSACRE La petite fille à la robe unique, voit le jour en 2016 aux Éditions Edilivre. Une victoire pour l'auteure. "J'ai écrit mon livre seule", indique celle qui s'émeut à chaque page. Aujourd'hui, Hadidja Mohamed intervient en milieu scolaire à Marseille où les élèves étudient son ouvrage. Une belle réussite pour celle qui a passé son baccalauréat scientifique à trois reprises à Moroni sans jamais l'obtenir. "Le grand combat une fois en Grande Comore était de s'intégrer et surtout se faire accepter", indique-t-elle. Chose difficile pour elle et sa famille qui vivaient dans une grande indigence. Rejetée et moquée par ses camarades, Hadidja Mohamed s'accroche plus que tout à l'école. Grâce à l'amour de ses parents et à l'école, celle qui a été expulsée vers la Grande Comore sans bagage après le massacre de Majunga, arborant uniquement sa petite robe, quittera l'île en 1995 pour s'établir à Mayotte pendant huit ans avant de rejoindre la France, où là encore, un nouveau départ s'offre à elle. "L'école m'a sauvée", répète-t-elle. À travers ce récit autobiographique, Hadidja Mohamed s'adresse également à la jeunesse : "Ne perdez jamais espoir. Osez rêver grand. Instruisez-vous. C'est avec des mots que l'on arrive à se faire entendre et ses mots là il faut les apprendre. L'espoir c'est l'école". Aujourd'hui Hadidja Mohamed s'est reconstruite et continue d'intervenir dans les établissements scolaires dans le sud de la France pour raconter son histoire et en parallèle motiver la jeunesse dans leurs études, gage de réussite. <*Ouvrage disponible sur internet ainsi qu'à la Maison des livres à Mayotte.
Notes et références
- « Un témoignage sur le massacre de Comoriens à Majunga », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- ↑ Amélie Barbey, « Les migrations comoriennes dans l’ouest de l’Océan indien. Histoire et dynamiques contemporaines », Hommes & migrations. Revue française de référence sur les dynamiques migratoires, no 1279, , p. 154–164 (ISSN 1142-852X, DOI 10.4000/hommesmigrations.344, lire en ligne, consulté le )
- ↑ « Les affrontements ethniques de Majunga : la thèse malgache est contestée par Moroni », Le Monde, (lire en ligne, consulté le )
- ↑ « Un " pogrom de Français " ? », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
- ↑ « Le prétexte comorien », sur L'Express de Madagascar, (consulté le )
- ↑ Événements relatés dans le roman d'Emmanuel Genvrin, Sabena, Gallimard Coll. Continents noirs, 2019
- ↑ « Entre Anjouanais et Grands-Comoriens à Majunga (1908-1960) »
- ↑ Kashkazi n° 58, décembre 2006
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