René Lucet

René Lucet
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Nom de naissance
René Philippe Lucet
Nationalité

René Lucet est un haut fonctionnaire français, directeur de caisse de la Sécurité sociale, né le à Fontainebleau et retrouvé mort le dans le 12e arrondissement de Marseille.

Malgré l’enquête, les circonstances de sa mort demeurent mystérieuses et pourraient résulter d'un assassinat.

Biographie

Jeunesse et entrée à la Caisse primaire d’assurance maladie

René Philippe Lucet est né le à Fontainebleau (Seine-et-Marne)[1]. Son père est propriétaire de salle de cinéma dans la ville[réf. souhaitée].

Il obtient son baccalauréat avant d'entrer en 1964 à la Caisse primaire d'assurance maladie de Melun, en tant qu'employé en écritures. Il poursuit parallèlement ses études de droit (licence de droit). Il occupe ensuite un poste de rédacteur juridique, après avoir obtenu le diplôme du CNESS (Centre national d'études de la Sécurité sociale) et est nommé chef de service à la Caisse régionale d'assurance maladie de Paris en 1968.

Accès à la haute fonction publique

En 1972, René Lucet revient à la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Melun en tant que secrétaire général (responsable des services administratifs), appuyé par le syndicat FO et le CNPF pour prendre en main cet organisme dirigé par M. Bonamy, directeur proche de la CGT.

Il est l'un des premiers secrétaires généraux de caisse à s'informatiser.

En 1975, il devient directeur de la caisse, après l'avoir dirigé en tant que directeur adjoint sous les ordres d’un directeur fantoche[2]. À l’âge de 32 ans, il est alors le plus jeune directeur de CPAM.

Le , il devient directeur de la CPAM des Bouches-du-Rhône, qui est la seconde de France en importance après celle de Paris : 1 500 000 assurés sociaux à gérer, avec un personnel de 3 500 agents et un budget de remboursement de trente millions de francs[pas clair], soit l'équivalent de plus de dix millions d'euros des années 2020. Il veut réformer cette caisse qui ne fonctionne pas bien à l'époque : quelque 800 000 dossiers de remboursement ou de gestion sont en souffrance, les délais de règlement sont d'un mois environ, des grèves à répétition ont lieu, l'absentéisme des agents est de 31 %. Il désire augmenter sensiblement le nombre des centres de paiement qui existaient alors dans Marseille, afin de faciliter la vie des usagers : il veut les faire passer de 28 à 45. Le conseil d'administration de la caisse, à composition paritaire (représentants du patronat et des syndicats), vote d'ailleurs cette proposition le . Il choisit alors une procédure rapide mais discutable, celle des marchés de gré à gré, et engage un budget très important de près de vingt-trois millions de francs, soit l'équivalent de plus de sept millions d'euros des années 2020.

Sous le gouvernement socialiste

À la CPAM des Bouches-du-Rhône, René Lucet impose, par des méthodes musclées, un assainissement des finances. En particulier, il met fin à la délégation de service public dont avaient bénéficié plusieurs mutuelles liées à la CGT ; apparemment, le syndicat en avait profité pour se constituer une caisse noire. Il découvre aussi un système de financement proche du milieu marseillais. À cette époque, de sensibilité gaulliste (ancien adhérent de l'Union des jeunes pour le progrès, dans sa jeunesse à la section de Fontainebleau), adhérent actif de Force ouvrière quand il est entré à la CPAM de Melun, ancien conseiller municipal au moment où Paul Séramy était le maire de Fontainebleau, franc-maçon (à la Grande Loge de France), il aurait pu devenir ministre des Affaires sociales si la droite avait gagné les élections de . Mais après l'élection de François Mitterrand, il perd tous ses appuis politiques[3].

Le nouveau gouvernement décide, en , sur demande de la CGT, de lancer une enquête de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur sa gestion et ses méthodes de gouvernance. Cette enquête est faite à charge à compter de septembre et son rapport final est communiqué à l'intéressé le . Immédiatement, René Lucet produit un rapport de 28 pages contrant systématiquement toutes les affirmations du rapport de l’IGAS. Le , le conseil d'administration de la caisse renouvelle sa confiance à son directeur, après l’avoir entendu pendant cinq heures (ont voté contre la confiance la CGT et la CFDT).

Néanmoins deux mois plus tard, le , à la demande de sa ministre de tutelle Nicole Questiaux, il fait l'objet d’une mesure de suspension de sa fonction de directeur de la CPAM de Marseille[4].

Mort violente à Marseille et inhumation à Fontainebleau

René Lucet est retrouvé mort le [1] dans sa villa au sein du quartier Saint-Barnabé, du 12e arrondissement de Marseille ; officiellement, il s'est suicidé en se tirant deux balles dans la tête. Des diffamations suivent, violemment combattues par sa veuve[5],[6].

Une violente polémique s'ensuit[7]. La droite accuse le gouvernement de l'avoir acculé au suicide. La gauche s'étonne de cette mort et se demande s'il ne s'agit pas d'un meurtre[8]. René Lucet aurait été tué parce qu'il en savait trop sur certains financements politiques[9].

Plus d'un fait est troublant[10]. Tout d'abord, René Lucet s'est suicidé de deux balles dans la tête. Selon les rapports d'autopsie, les deux balles étaient mortelles et successives et ont été tirées dans le même orifice.

Ensuite, l'un des policiers lave la main de René Lucet après avoir relevé les empreintes, ce qui empêche de faire un test à la cire pour savoir si le mort a réellement tiré (ce test permet de détecter les traces de poudre sur la main).

Pour terminer, le commissaire Marza rédige un rapport le indiquant que ni la présence de sang au plafond, ni la position de René Lucet, ni le tir de deux balles successives ne peuvent être expliqués, comme le révèle Le Canard enchaîné du .

La messe des obsèques a lieu à Fontainebleau en l'église Saint-Louis (Seine-et-Marne) le [11],[12]. Il repose dans cette ville depuis lors[13],[14].

Polémiques

À la suite de cette mort tragique, la France de l'époque se trouve alors fortement divisée entre les pro et les anti-Lucet[15].

Enquête menée, inachevée, puis close faute d'éléments suffisants

Une semaine après les obsèques, le , le corps de René Lucet est exhumé : le collège d'experts affirme que les deux balles ont été tirées successivement et que René Lucet était vivant quand la deuxième fut tirée[16],[17]. Robert Badinter, ministre de la Justice, s'indigne que le procureur de Marseille Albert Vilatte n'ait pas fait remonter de telles informations et qu'il ait même refusé, dans un premier temps, le rapport du commissaire Marza. Dès la fin mars, le procureur Vilatte est muté et promu avocat général près la Cour d'appel de Paris « dans l'intérêt du service ». Pierre Truche, avocat général à la cour à Grenoble le remplace. Quant à Marcel Guilbot, procureur général à Aix-en-Provence, il est remplacé par Georges Beljan, ancien directeur de cabinet de Robert Badinter[18],[19],[20].

Une instruction sur les causes de la mort de René Lucet est ouverte sur décision du parquet de Marseille, trois semaines après la constatation du décès. L'instruction de cette affaire est confiée au juge d'instruction Bernadette Augé le [21],[22] et, deux ans plus tard en , treize personnes sont écrouées sur décision de Mme Françoise Llaurens-Guérin, juge d'instruction, à la suite de l'enquête conduite par la section économique et financière de la police judiciaire de Marseille[23]. Quatre ans après, en , la juge d'instruction rend une ordonnance de non-lieu, sans avoir pu éclaircir l'affaire[24].

Révélations connexes consécutives aux diverses enquêtes menées au cours de l’instruction de six années

À la suite des diverses enquêtes menées au cours de l’instruction longue de six années, est découverte une imbrication de deux réseaux :

  • le premier, basé à Marseille, fondé par Nick Venturi, un ancien truand rescapé de la guerre des gangs qui avait suivi l'arraisonnement du yacht Combinatie dans les années 1950, guerre des gangs qui avait fait près de vingt-cinq morts en moins de vingt ans ; ce réseau fabrique de fausses factures destinées à alimenter des caisses noires électorales pour des politiciens provençaux ;
  • le second, niçois, dirigé par un inspecteur des impôts de cette ville, Julien Zemour, cousin des truands du même nom, et qui bénéficie nécessairement de la complicité des directeurs des hôpitaux, soi-disant « victimes » de cette fraude.

Le scandale va révéler la corruption de nombreux fonctionnaires dans diverses mairies de toute la France et de toutes couleurs politiques (Paris, Nice, Marseille, Clermont-Ferrand, Le Havre, Perpignan…). Cet aspect était pressenti par Lucet comme il l’a rapporté au Monde peu avant sa mort[25].

L’affaire Lucet dans les médias

Une émission de France Inter, Rendez vous avec X, est consacrée à l'affaire René Lucet le [26], ainsi qu'une autre sur RTL, L'Heure du crime de Jacques Pradel, le .

Notes et références

  1. « matchID - Moteur de recherche des décès : René Philippe Lucet », sur deces.matchid.io (consulté le )
  2. Montaldo 1982, p. 71-74
  3. Marie-Thérèse Guichard, Jean-Marie Pontaut, Jean-Loup Revérier, journalistes au Point, « Fausses factures : les grandes magouilles » [PDF], sur tracescitoyennes.fr, (consulté le )
  4. « La lettre de Mme Questiaux et la réponse de l'accusé », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  5. Pierre Georges et Jean Contrucci, « Des experts sont chargés de réexaminer les circonstances de la mort de René Lucet Vérifications », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  6. Jean Contrucci, « Mme Lucet dénonce "les horreurs qui salissent une famille éprouvée" », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  7. Jean Contrucci, « M. Lucet, le directeur démis par Mme Questiaux, se donne la mort : un député UDF demande une enquête parlementaire », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  8. « Déclaration de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, sur la politique gouvernementale, Marseille le  », sur vie-publique.fr (consulté le )
  9. Danièle Rouard, « M. Defferre dénonce une utilisation électorale "d'un drame très triste" • M. Pasqua : "Nous nous acheminons vers une guerre civile larvée"… », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  10. Jean Contrucci, « Le suicide de René Lucet n'est ni confirmé ni infirmé », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  11. « M. Maire : l'exploitation du suicide dépasse les limites de l'admissible », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  12. « Décès Rene Philippe Lucet le 4 mars 1982 à Marseille, Bouches-du-Rhône, Provence-Alpes-Côte d'Azur (France) », sur Archives Ouvertes (consulté le ).
  13. « Fontainebleau (77) : cimetière », sur landrucimetieres.fr (consulté le ).
  14. 77000, « Le cimetière de Fontainebleau et ses personnalités », sur canalblog.com, Mémoire de Seine-et-Marne, (consulté le ).
  15. Danielle Rouard, « Après le suicide de René Lucet "le gouvernement veillera à ce que la sécurité sociale ne devienne ni un enjeu ni un champ clos de luttes" déclare… », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  16. Alain Laville, Le juge Michel, chapitre « Le juge ne sera jamais vengé », éditeur France-Loisirs, 1982.
  17. « L'affaire Lucet », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  18. B. L. G., « M. Beljean quitte le cabinet de M. Badinter • Le procureur général d'Aix-en-Provence est placé en "congé spécial" après l'affaire Lucet », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  19. Jean-Marc Théolleyre, « L'affaire des "grâces médicales" de Marseille sera jugée par le tribunal de Versailles », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  20. Paul Cassia, Robert Badinter, un juriste en politique, éditeur Fayard, 2009.
  21. Jean Contrucci, « Le juge d'instruction reprend certaines auditions dans l'affaire Lucet », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  22. Pierre Georges, « Les "vendanges" de Marseille », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  23. Jean Contrucci, « Treize personnes sont écrouées à la prison des Baumettes : 15 millions de francs auraient été détournés au détriment de la Sécurité sociale », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  24. « Énigmes criminelles : l’affaire René Lucet », sur Valeurs actuelles, (consulté le )
  25. Jean Contrucci, « "C'est une affaire politique", nous déclare M. René Lucet », Le Monde,‎ (lire en ligne , consulté le ).
  26. « Rendez-vous avec X, le site non-officiel de l'émission de Patrick Pesnot », sur rendezvousavecmrx.free.fr (consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

  • Jean Montaldo, 850 jours pour abattre René Lucet : les secrets d'une exécution politique, Paris, Albin Michel, , 336 p.
  • Jean Cosson, Les Industriels de la fraude fiscale, éd. Jean de Bonnot, 217 p., 1987.
  • « L'argent secret des élections », Les Dossiers du « Canard enchaîné », no 27, mars-.
  • Jean-François Miralles, Il était une fois René Lucet, 1992.
  • Jules Ambroziak, Le voisin de la rue des écarlates, éd. le Phénix du Lion, 120 p., .

Liens externes

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