Bataille de Smolensk (1812)
| Date | 
 (nouveau style)  5 août (calendrier julien)  | 
|---|---|
| Lieu | Smolensk | 
| Issue | Victoire à la Pyrrhus | 
| Empire français | Empire russe | 
| Napoléon Ier, Davout, Ney et Poniatowski | Barclay de Tolly, Bagration, Dokhtourov | 
| 175 000 hommes | 130 000 hommes | 
| 700 morts, 3 200 blessés[1]; 1200 morts, 6000 blessés[2]  | 
4 700 morts  7 000 à 8 000 blessés[1] 2 000 prisonniers 200 canons et mortiers  | 
| Coordonnées | 54° 47′ nord, 32° 03′ est | |
|---|---|---|
La bataille de Smolensk, livrée le 17 août 1812, opposa une partie de la Grande Armée de Napoléon — environ 175 000 hommes au total, dont près de 50 000 engagés dans l’action — aux forces russes du général Mikhaïl Barclay de Tolly et du prince Piotr Bagration, fortes d’environ 130 000 soldats, dont 30 000 participèrent directement aux combats[3],[4].
Smolensk, ville fortifiée sur la rive gauche du Dniepr, constituait une position stratégique majeure couvrant la route de Moscou[5]. Après plusieurs semaines de retraite face à l’avancée française, l’état-major russe décida d’y concentrer ses deux armées pour y livrer bataille. Les troupes de Napoléon, ayant franchi le Dniepr à l’est de Doubrowna, atteignirent les abords de Smolensk le 16 août, se limitant à des escarmouches et à quelques échanges d’artillerie ; les assauts majeurs contre les faubourgs et les murailles ne furent lancés que le lendemain. Les Russes opposèrent une résistance acharnée, puis se replièrent dans la nuit du 17 au 18 août, incendiant en partie la ville[6]. La victoire resta tactiquement indécise : les Français prirent possession d’une cité en grande partie détruite, mais l’armée russe échappa à l’encerclement[7].
Contexte
Depuis le début de l’invasion, la Grande Armée progressait en territoire russe sans parvenir à forcer une bataille décisive[8]. Les forces de Barclay de Tolly et de Bagration se repliaient méthodiquement, infligeant aux Français une longue poursuite épuisante à travers un pays ravagé, tout en préservant leur cohésion[9]. Ce retrait provoquait des tensions au sein du commandement russe : Bagration et plusieurs généraux réclamaient un affrontement, tandis que Barclay, prudent, craignait de risquer l’armée principale dans des conditions défavorables[10].
À la mi-août, face à la menace d’un débordement français sur la route de Moscou, Barclay changea de plan et ordonna à Bagration de concentrer ses forces à Smolensk, où les deux armées russes purent enfin se réunir[11]. La ville, protégée par de solides murailles et par le Dniepr, constituait un point d’ancrage idéal pour tenter de stopper Napoléon. Le 15 août 1812, jour du 43e anniversaire de l’Empereur, les avant-gardes françaises approchaient de Smolensk, prêtes à engager la bataille qui devait, espérait-on, mettre fin à la retraite russe[12].
La bataille
Premiers combats – 16 août 1812
À l’aube du 16 août (dimanche), les forces françaises atteignirent les faubourgs orientaux et méridionaux de Smolensk[13]. Les troupes de Davout (I Corps), Ney (III Corps), et du corps polonais de Poniatowski (V Corps) furent déployées pour attaquer les principales portes et franchir les fossés secs qui protégeaient la ville du côté sud, tandis que l’artillerie se mettait en batterie sur les hauteurs de la rive gauche[14]. Les Russes, retranchés derrière les remparts et dans les faubourgs, opposèrent une vive résistance.
La journée se limita toutefois à des tirs d’artillerie et à quelques escarmouches : Barclay refusa de s’engager dans une bataille générale à découvert, préférant tenir les positions fortifiées et préserver ses forces[15]. Au soir, les lignes restaient pratiquement inchangées : la ville demeurait aux mains des Russes, et le choc décisif n’eut lieu que le lendemain[16].
Deuxième journée – 17 août 1812
Dès le matin du 17 août (lundi), Napoléon ordonna une série d’attaques coordonnées contre les points faibles supposés des défenses[17]. Ney et Davout renouvelèrent leurs assauts contre les portes méridionales, tandis que Poniatowski mena ses Polonais contre la citadelle occidentale[18]. Vers le milieu de l’après-midi, l’artillerie française, massée sur la rive gauche, ouvrit un feu nourri qui provoqua de nouveaux foyers d’incendie à l’intérieur des murs[19]. Les combats furent particulièrement acharnés dans les faubourgs, où plusieurs redoutes changèrent de mains à plusieurs reprises[20]. La journée se distingua par de violents échanges d’artillerie et par des assauts locaux, repoussés avec de lourdes pertes des deux côtés[21].
Malgré la pression, Barclay de Tolly parvint à contenir les percées et à éviter l’encerclement[22]. Vers la fin de l’après-midi, l’incendie se déclara dans plusieurs quartiers — peut-être allumé par des tirs d’artillerie ou par les Russes eux-mêmes afin de couvrir leur défense — enveloppant Smolensk d’un épais nuage de fumée[23]. Dans la nuit du 17 au 18 août, l’armée russe se replia de manière ordonnée vers l’est, traversant le Dniepr et détruisant une partie des ponts[24]. Les arrière-gardes, appuyées par l’artillerie, couvrirent la retraite et mirent le feu à plusieurs quartiers pour ralentir la progression ennemie[25].
Selon le général Antoine Dedem van Gelder, la journée du 17 août coûta de nombreuses vies, « et sans doute plusieurs milliers d’hommes furent envoyés à la mort inutilement ; car dès quatre heures de l’après-midi, il y avait des signes que l’ennemi se préparait à incendier et à évacuer la ville, bien que les combats fussent encore acharnés »[26]. Le général Joseph Marie Dessaix, dont la division faisait partie de la réserve, nota qu’il n’avait pas été autorisé à participer aux combats du 17 août[27].
Galerie
- 
			Smolensk, probablement le 17 août 1812 par Albrecht Adam. Dans: Voyage pittoresque et militaire de Willenberg en Prusse jusqu'a Moscou 1827. Bibliothèque nationale (Pologne)
 - 
			Prise de Smolensk 17 août par A. Champion, dessinateur-lithographe
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			Smolensk 18 août par Albrecht Adam.
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			Smolensk, le 19 août, vu du Nord par Albrecht Adam.
 - 
			Devant Smolensk le 20 août, par Albrecht Adam
 
Résultat
Contexte immédiat
Après l’assaut du , les Russes évacuèrent Smolensk dans la nuit du 17 au 18 pour éviter l’encerclement. La ville passa sous commandement français, mais l’ennemi conservait son armée intacte et se retira en bon ordre vers l’est[28].
Le 18 août au matin, les Français occupèrent Smolensk, mais trouvèrent une ville largement incendiée et dépourvue de ressources[29]. Selon Caulaincourt, l’arsenal avait toutefois été épargné[30]. Bien que la ville fût un point fortifié important sur la route de Moscou, sa destruction limita fortement son utilité comme base d’approvisionnement[31];[29].
Plusieurs contemporains critiquèrent la bataille. L’officier de santé Louis-Guillaume Puybusque, auteur du récit le plus détaillé sur Smolensk, affirma que « Robinson Crusoé était mieux loti sur son île » et que tout vivres trouvé à Smolensk fut immédiatement envoyé vers l’armée, concluant qu’« il avait été une grande erreur d’entreprendre cette expédition »[32]. Pour le général Jomini, gouverneur de Smolensk, l’attaque fut « mal conçue » et ne rapporta que peu de résultats[33]. Le général de Vaudoncourt jugea également que la manœuvre manquait de coordination et que l’emploi de l’artillerie n’avait pas permis de percer les défenses[34]. Du côté russe, le général Iermolov décrivit en détail la défense de la ville et la retraite sur la rive droite du Dniepr dans la nuit du 17 au 18 août[35].
Les rues, magasins et caves étaient pour la plupart vides, mais les soldats trouvèrent de grandes quantités de pommes et d’autres fruits ; Dedem de Gelder mentionna avoir mangé une pêche, une ananas, tout en regrettant de ne pas avoir eu de soupe[13]. Les officiers français interdirent le pillage des églises et tentèrent de maintenir un certain ordre[35]. Le 21 août, le calme revint partiellement dans la ville. Les habitants restants regagnèrent leurs maisons — ou ce qu’il en subsistait. À la fin du mois, une épidémie de dysenterie éclata, causée par la présence de cadavres en décomposition et le manque d’eau potable[36]. Le chirurgien en chef Dominique-Jean Larrey nota qu’il dut utiliser du parchemin et du papier provenant des archives de l’État pour faire des pansements et des attelles, faute de matériel médical adéquat[37].
Bilan humain
Les estimations des pertes divergent nettement selon les sources :
- les bulletins officiels français minimisèrent fortement les chiffres[28];
 - Thiers et Zamoyski évaluent les pertes françaises autour de 9 000 à10000 hommes mis hors de combat[38],[28];
 - Buturlin avance 14 000 pertes du côté français contre 6 000 russes[39];
 - Larrey, chirurgien en chef de la Garde, évoque environ 10 000 blessés (Français et Russes) pris en charge dans 15 bâtiments transformés en hôpitaux[40].
 
État de la ville
La question de l’ampleur des destructions est débattue. Jomini — nommé plus tard gouverneur militaire de Smolensk — écrit qu’« à Smolensk, à peine la moitié de la ville fut détruite », nuance importante face au récit des bulletins[41]. Les témoignages médicaux décrivent en revanche une situation humanitaire catastrophique : improvisions de pansements, manque de subsistances et afflux de milliers de blessés, selon Larrey[40].
Portée stratégique
La prise de Smolensk fut une victoire officielle, mais un échec stratégique : Napoléon n’obtint pas la bataille décisive espérée et la retraite russe se poursuivit. Les historiens soulignent le décalage entre le succès tactique du 17 août et l’absence de décision stratégique[38],[28].
Conséquences immédiates
Le , l’arrière-garde russe fut de nouveau affrontée à Valoutina Gora (Loubino). Sur le plan administratif, Smolensk fut d’abord gouvernée par le général Joseph Barbanègre, puis — quelques semaines plus tard — par Jomini, qui prit le le commandement militaire de la place et l’organisation des colonnes et convois de ravitaillement[42].
Notes et références
- Smolensk, le 21 août 1812. Treizième bulletin de la Grande Armée
 - ↑ Larrey 1817, t.IV, p. 30.
 - ↑ Thiers 1860, vol.XIV, p. 235-240.
 - ↑ Mikaberidze, The Battle of Smolensk, p. 22-24
 - ↑ Buturlin 1824, vol.1, p. 187.
 - ↑ Labaume 1814, p. 132-135.
 - ↑ Clausewitz 2005, p. 116.
 - ↑ Zamoyski, 1812. Napoléon’s Fatal March on Moscow, p. 215-218
 - ↑ Bogdanovich, Istorija Otetsjestvennoj vojny 1812 goda, t. II, p. 64
 - ↑ Mikaberidze, Russian Officer Corps, p. 78-79
 - ↑ Buturlin 1824, vol.1, p. 183-184.
 - ↑ Thiers 1860, vol.XIV, p. 238.
 - Dedem de Gelder 1900, p. 232.
 - ↑ Buturlin 1824, vol.1, p. 190.
 - ↑ Labaume 1814, p. 133.
 - ↑ Clausewitz 2005, p. 117.
 - ↑ Thiers 1860, vol.XIV, p. 243-245.
 - ↑ Buturlin 1824, vol.1, p. 192.
 - ↑ Labaume 1814, p. 134.
 - ↑ Dedem de Gelder 1900, p. ?.
 - ↑ Thiers 1860, vol.XIV, p. 240-243.
 - ↑ Clausewitz 2005, p. 118-119.
 - ↑ Mikaberidze, Battle of Smolensk, p. 41-42
 - ↑ Buturlin 1824, vol.1, p. 195.
 - ↑ Mikaberidze, op. cit., p. 53
 - ↑ Dedem de Gelder 1900, p. 231.
 - ↑ Étude historique sur la Révolution et l'Empire en Savoie. Le général Dessaix, sa vie politique et militaire, p. 245.
 - Thiers 1860, vol.XIV.
 - Labaume 1814, p. 135.
 - ↑ A. de Caulaincourt, Mémoires, t. I, p. 395.
 - ↑ Thiers 1860, vol.XIV, p. 247.
 - ↑ Puybusque 1816, p. 40.
 - ↑ A. H. Jomini, Précis de l’art de la guerre, chap. 28.
 - ↑ G. de Vaudoncourt, Histoire des campagnes de 1812, 1813, 1814, t. I, p. 214-216.
 - A. P. Iermolov, Mémoires, trad. fr., p. 253-255.
 - ↑ Puybusque 1816, p. 39-40.
 - ↑ Larrey 1817, t.IV, p. 31.
 - (en) Adam Zamoyski, 1812: Napoleon’s Fatal March on Moscow, London, HarperCollins,
 - ↑ Buturlin 1824, vol.2.
 - Larrey 1817, t.IV.
 - ↑ Antoine-Henri Jomini, Vie politique et militaire de Napoléon, vol. 4, Paris, Anselin,
 - ↑ (ru) « Первое знакомство с Россией. Генерал Жомини. 1812 год », sur Smolensk 1812 (consulté le )
 
Bibliographie
- Baron de Dedem de Gelder, Un général hollandais sous le premier empire : Mémoires du général Baron de Dedem de Gelder, 1774-1825, Plon, (lire en ligne).
 - Dominique-Jean Larrey, Mémoires de chirurgie militaire et campagnes, t. 4, J.-B. Baillière, (lire en ligne).
 - Eugène Labaume, Relation circonstanciée de la campagne de Russie, Paris, C.-L.-F. Panckoucke, (lire en ligne).
 - Armand de Caulaincourt, « Mémoires du général de Caulaincourt, duc de Vicence, t. I », sur Archive.org, Plon,
 - Guillaume de Vaudoncourt, « Histoire des campagnes de 1812, 1813, 1814, t. I », sur Gallica, Furne,
 - Antoine-Henri Jomini, « Précis de l’art de la guerre », sur Gallica, Anselin,
 - Louis-Guillaume Puybusque, Lettres sur la guerre de Russie en 1812, Paris, A. Michel, (lire en ligne).
 - Alekseï Petrovitch Yermolov (trad. E. Mathieu), « Mémoires du général Yermolov », sur Gallica, Plon,
 - Adolphe Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XIV, Paulin, (lire en ligne).
 - Dmitri Petrovitch Boutourline, « Histoire militaire de la campagne de Russie en 1812, t. I », sur Gallica, Anselin,
 - Collectif, « Étude historique sur la Révolution et l'Empire en Savoie. Le général Dessaix, sa vie politique et militaire », sur Gallica, Imprimerie nationale,
 - Dimitri Buturlin, Histoire militaire de la campagne de Russie en 1812, Paris, Anselin, .
 - Carl von Clausewitz, La Campagne de 1812 en Russie, Bruxelles, .
 
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