Liberté (poème)
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| Incipit |
« Sur mes cahiers d’écolier… » |
| Explicit |
« …liberté. » |
Liberté est un poème que l'auteur français Paul Éluard a écrit en 1942 pendant la Seconde Guerre mondiale, comme une ode à la liberté face à l'occupation allemande. Il s'agit d'une longue énumération de tous les lieux, réels ou imaginaires, sur lesquels le narrateur écrit le mot « liberté ».
Poème
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Historique
Le titre initial du poème était Une seule pensée[1].
- « Je pensais révéler pour conclure le nom de la femme que j’aimais, à qui ce poème était destiné. Mais je me suis vite aperçu que le seul mot que j’avais en tête était le mot Liberté. Ainsi, la femme que j’aimais incarnait un désir plus grand qu’elle. Je la confondais avec mon aspiration la plus sublime, et ce mot Liberté n’était lui-même dans tout mon poème que pour éterniser une très simple volonté, très quotidienne, très appliquée, celle de se libérer de l’Occupant », a confié Éluard. Selon Guy Krivopissko, conservateur du musée de Champigny qui a acheté le manuscrit de Paul Eluard en 2002, « le titre initial du poème, Une seule pensée, [a été] barré par Éluard sur le marbre de l'imprimerie, pour être remplacé par celui de Liberté »[2].
Le poème est publié le , sans visa de censure[3] dans le recueil clandestin[4] Poésie et vérité 1942[5]. Il est repris en par la revue Fontaine sous le titre Une seule pensée[6] pour lui permettre une diffusion dans la zone sud. Il est à nouveau repris à Londres par la revue officielle gaulliste La France libre[7] et parachuté la même année à des milliers d'exemplaires par des avions britanniques de la Royal Air Force au-dessus du sol français. Le recueil est réédité en en Suisse[8]. Liberté est publié à Paris en 1945 par les Éditions GLM. À partir de 1945, Poésie et vérité 1942 est intégré dans Le Rendez-vous allemand, publié par les Éditions de Minuit. La complexe histoire des recueils de Paul Éluard est détaillée par les éditeurs des Œuvres complètes de Paul Éluard en Pléiade, Lucien Scheler et Marcelle Dumas, en particulier : tome 1, 1975, p. 1606-1607[9]. On y trouve également des documents très précis sur la postérité du poème.
Postérité
- Le poème a été mis en musique par Francis Poulenc dans sa cantate pour double chœur Figure humaine, 1943.
- Jean Lurçat a exécuté des tapisseries à Aubusson sur le thème de Liberté à partir de 1943.
- En 1952, à l'initiative de Pierre Seghers, Fernand Léger illustre le poème Liberté en hommage à Éluard qui vient de mourir. Seghers édite et diffuse un « poème-objet ».
- Le poème est illustré par Fernand Léger en 1953 sur de grands panneaux de contreplaqué. Les quatre fresques sont installées dans la salle des fêtes de l’hôtel de ville d'Ivry-sur-Seine depuis 1983[10].
- Une chanson de Gian Franco Pagliaro (es), Yo te nombro, écrite en 1970, est souvent créditée à Paul Éluard. La structure et le contenu de la chanson rappellent le poème d'Éluard, et elle peut être considérée comme basée sur le poème comme le crédite Nacha Guevara sur sa reprise de la chanson[11].
- En 1977, le chanteur argentin Jairo a mis en musique le poème dans un album du même nom.
- Certains vers du poème sont récités dans le film Mon oncle d'Amérique en 1980.
- Le poème a été mis en musique par le chanteur, intellectuel et ancien député républicain turc Zülfü Livaneli, sous le titre Ey özgürlük ou Özgürlük, en 1984, figurant dans l'album Istanbul Konseri de 1984.
- Une édition du poème illustré par Claude Goiran (collection « Albums du Père Castor », Flammarion) paraît en 1997.
- Le poème, en son entièreté, constitue l'ossature du 4e et dernier mouvement de la Symphonie no 5, pour chœur et orchestre, op. 81, du compositeur Jacques Hétu (2009).
- Une partie du poème est écrite par Fred sur la peau de Laurence dans le film Laurence Anyways en 2012.
- Plusieurs strophes du poème sont citées dans le film de David Cronenberg Maps to the Stars en 2014.
- En 2015, une pièce de 2€ est frappée du deuxième quatrain du poème en commémoration de la Fête de la Fédération.
- En 2015, le poème est mis en chanson par Marc Lavoine pour l'édition 2016 des Enfoirés.
- En 2020, durant l’épidémie de Covid-19, Canal+ utilise le poème dans un spot publicitaire à la fin du confinement.
- Le poème est à nouveau mis en chanson par le groupe pop-folk Les Frangines (duo) le 12 janvier 2024.
Analyse
Schéma stylistique
Il est constitué de vingt-et-un quatrains tous formés, à l'exception du dernier, sur une structure identique : les trois premiers vers débutent par l'anaphore « Sur... » suivie d'un complément de lieu, et le dernier vers est un leitmotiv : « J'écris ton nom », en référence à la liberté. La vingt-et-unième strophe se termine par : « Pour te nommer ».
21 quatrains , trois heptasyllabes, un tétrasyllabe, pas de rimes.
Références
- ↑ Paul Éluard, Œuvres complètes, tome 1, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, p. 1608.
- ↑ Sandrine Martinez, « Le musée achète le manuscrit de Paul Eluard », Le Parisien, (lire en ligne, consulté le ).
- ↑ Pierre Seghers, La Résistance et ses poètes - France 1940-1945, Seghers, 1974, réed. 2004, p. 171.
- ↑ Première édition par le groupe surréaliste parisien La Main à Plume, Notice n° FRBNF35835268, catalogue BN-Opale Plus, Bibliothèque nationale de France.
- ↑ La précision de la date dans le titre est importante car Poésie et vérité est d'abord un livre de Goethe.
- ↑ Dans Les poètes de la revue Fontaine, Max-Pol Fouchet raconte comment ce titre a servi à tromper la censure vichyssoise.
- ↑ Vol. IV, no 23, 15 septembre 1942.
- ↑ Deuxième édition en janvier 1943 par les Cahiers du Rhône (Éditions de la Baconnière, Neuchâtel, Suisse).
- ↑ Sur les éditions du poème publiées entre 1942 et 1946, voir aussi “Liberté… J’écris ton nom”: Eluard’s poem and the Cambridge UL Liberation collection, European languages across borders blog, 2023.
- ↑ « Liberté j'écris ton nom » dans Ivry-ma-ville, septembre 2011.
- ↑ (es) Biographie de Pagliaro.
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