Les Misères de l'aiguille

Les Misères de l'aiguille

Réalisation Raphaël Clamour
Acteurs principaux
Sociétés de production Le Cinéma du Peuple
Pays de production France
Genre Drame
Durée 13 min
Sortie 1914

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Les Misères de l'aiguille est un film anarchiste et féministe sorti en 1914, réalisé par Raphaël Clamour et produit par Le Cinéma du Peuple. Se concentrant sur la condition féminine et le sujet de la situation des ouvrières, il s'agit vraisemblablement du premier film féministe au monde.

La coopérative anarchiste qui le produit fait explicitement appel à l'émancipation des femmes et invite le public à se politiser à ce propos. Par ailleurs, le film cherche à visibiliser les problématiques matérielles, morales et sociales qui touchent les femmes. Il met en scène Musidora, qui y joue son premier rôle au cinéma. Sorti huit ans avant La Souriante madame Beudet de Germaine Dulac, le film est redécouvert plus tard par les historiens et restauré en 2020 par la Cinémathèque.

Synopsis

Le film, qui dure 13 minutes, présente Louise, une couturière, et l'exploitation des couturières de la période[1],[2]. Dans le récit, Louise est présentée comme une ouvrière différente du rôle traditionnel assigné aux femmes de son époque[3]. Elle repousse notamment son directeur, qui essaie de la violer, et le gifle[3]. Poussée au bord du suicide, elle emmène son enfant au bord d'une rivière, prête à s'y jeter, mais se retient au dernier moment[3]. L'épilogue du drame qui se déroule dans le film représente l'Internationale et un appel aux travailleurs pour qu'ils se constituent en organisations de défense de leurs intérêts[1].

Histoire

Contexte

Les anarchistes de France cherchent à investir le cinéma, une invention avec un fort potentiel de propagande et de transmission d'idées[4]. Un groupe se forme en leur sein, qui réunit aussi des syndicalistes révolutionnaires, un mouvement idéologiquement proche, et ce groupe fonde Le Cinéma du Peuple en octobre 1913[4]. Cette société coopérative de production de films est la première organisation révolutionnaire de gauche à saisir les moyens de production du cinéma[3]. Le choix de tourner un film féministe pour commencer leurs productions s'impose peu à peu, notamment grâce à l'influence de Lucien Descaves, ancien vice-président de la Ligue française pour le droit des femmes[3],[5]. Par ailleurs, Henriette Tilly, présidente du Comité féminin, l'association anarcha-féministe la plus importante de Paris à l'époque et Jane Morand, anarchiste individualiste, poussent largement la coopérative à s'intéresser à des thèmes féministes dès le départ[3].

Tournage

Rapidement, la coopérative commence à réaliser son premier film, Les Misères de l'aiguille[3]. Celui-ci est réalisé par Raphaël Clamour avec Armand Guerra chargé de la photographie[3],[6]. L'actrice principale est Musidora[6], que Clamour connaît à travers ses relations dans le milieu artistique et théâtral français[3]. Cela lui permet de l'approcher et de l'inviter à jouer le rôle principal du film, celui de Louise, une couturière dans un magasin de vêtements parisien[3]. Il s'agit du premier film où elle joue[6],[7].

Sortie

Après la fin du tournage, le film sort. Il est publié le [3],[4]. Son ambition féministe est claire, Lucien Descaves, dans le programme qui accompagne le film, écrit[3],[5],[8] :

« Quoi que l’on dise, la femme se trouve dans la société actuelle, dans une situation de beaucoup inférieure à l’homme. On a dit avec raison que la femme était doublement exploitée : exploitée comme productrice et souvent exploitée dans son ménage. [...] Si toutes les « Louise » consentent à réfléchir à leur malheureux sort, elles sortiront de leur isolement mortel ; elles se grouperont dans des organismes de défense. Si tous les militants qui veulent affranchir la femme veulent nous seconder, la cause de l’émancipation féminine aura fait un grand pas, et le « Cinéma du Peuple » ne regrettera pas l’effort qu’il vient de faire pour éditer les Misères de l’Aiguille. »

Suites

Le film est ignoré de l'histoire du cinéma pendant une partie du XXe siècle, comme les autres productions du Cinéma du Peuple[5], mais leurs productions sont redécouvertes[5] et il est restauré en 2020 par la Cinémathèque[6].

Analyse

Dans son propos féministe, le film réfléchit à la question du suicide, en présentant Louise comme hésitant à se suicider[8]. Cela entre dans une réflexion plus large cherchant à « visibiliser les questions matérielles mais aussi sociales et de censure morale » qui touchent les femmes[8]. Le choix de Louise comme prénom du personnage est un hommage à Louise Michel[9].

Le film dresse un pont entre le féminisme et le communisme libertaire, en proposant aux femmes de s'organiser dans des groupes communistes libertaires[3]. Il s'agit ainsi d'un projet plus communiste libertaire qu'anarchiste individualiste[3].

Postérité

Publié huit ans avant La Souriante madame Beudet de Germaine Dulac[6], le film est vraisemblablement le premier film féministe de l'histoire[3],[9].

Références

  1. Christophe Prochasson, « Comment imaginer en politique ?:Images et imagination socialistes au temps de Jaurès », Cahiers Jaurès, vol. 231232, no 1,‎ , p. 149–162 (ISSN 1268-5399, DOI 10.3917/cj.231.0149, lire en ligne, consulté le )
  2. (pt-BR) Ríos Carratalá et Juan Antonio, « El erotismo bajo las bombas: Carne de fieras (1936) », Conférence,‎ (lire en ligne, consulté le )
  3. Luiz Felipe Cezar Mundim, « Les Misères de l'Aiguille of the cooperative Cinéma du Peuple in France: a feminist experience in the early cinema », Lectures - 11th Seminar on the Origins and History of Cinema - Presences and Representations of Women in the Early Years of Cinema 1895-1920,‎ (lire en ligne, consulté le )
  4. Laurent Mannoni, « 28 octobre 1913 : création de la société «Le Cinéma du Peuple» », 1895, revue d'histoire du cinéma, vol. 1, no 1,‎ , p. 100–107 (DOI 10.3406/1895.1993.1014, lire en ligne, consulté le )
  5. Jean-Paul Morel, « Lucien Descaves : pour le « Cinéma du Peuple » », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze. Revue de l'association française de recherche sur l'histoire du cinéma, no 64,‎ , p. 90–93 (ISSN 0769-0959, DOI 10.4000/1895.4394, lire en ligne, consulté le )
  6. « Les Misères de l'aiguille (Armand Guerra, Raphaël Clamour, 1913) à voir en ligne sur HENRI, la plateforme des collections films de la Cinémathèque française », sur www.cinematheque.fr (consulté le )
  7. Bacelar de Macedo et Luiz Felipe, « Le cinéclub comme institution du public : propositions pour une nouvelle histoire », (mémoire),‎ (lire en ligne, consulté le )
  8. (pt-BR) Mª Soliña Barreiro, « Trabajadoras, emigrantes y prostituidas: una aproximación a la representación de las mujeres explotadas en el cine de los orígenes (1898-1914) », La mujer visible. Presencias de la feminidad en la pantalla 1895-1920,‎ (lire en ligne, consulté le )
  9. (pt-BR) « Os operários fazem cinema: a experiência de uma cooperativa francesa », (consulté le )

Liens externes

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