Le Dernier Tango à Paris

Le Dernier Tango à Paris
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Titre original Ultimo tango a Parigi
Réalisation Bernardo Bertolucci
Scénario Bernardo Bertolucci, Franco Arcalli
Musique Gato Barbieri
Acteurs principaux
Sociétés de production Produzioni Europee Associati, United Artists
Pays de production Italie
France
Genre Drame
Durée 125 minutes
Sortie 1972

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Le Dernier Tango à Paris (titre original : Ultimo tango a Parigi) est un film italo-français de Bernardo Bertolucci sorti en 1972.

Le film raconte l'histoire d'un Américain (Marlon Brando) et d'une jeune Française (Maria Schneider) qui se retrouvent dans un appartement parisien pour discuter et faire l'amour. L'œuvre a polarisé la critique, certaines scènes de sexe ayant été jugées inacceptables et humiliantes. Alors que certains critiques écœurés rejettent complètement le film, d'autres parlent d'un chef-d'œuvre de l'histoire du cinéma.

Temporairement soumis à des mesures de censure à sa sortie, le film est devenu un succès planétaire en salles, contribuant à redorer le blason quelque peu terni de la vedette Marlon Brando. Bertolucci a permis à Brando d'improviser dans certaines scènes et d'y intégrer des expériences tirées de son propre vécu. Thématiquement, le film traite de la douleur existentielle et de l'oppression de l'individu par les institutions et les attentes sociales.

Synopsis

Un matin d'hiver, sous le pont d'un métro aérien, Jeanne, une jeune femme française d'une vingtaine d'années dépasse un homme à l'allure fatiguée, Paul, quadragénaire américain établi à Paris. Les deux arrivent à quelques secondes d'intervalle pour visiter un appartement à louer du 16e arrondissement de Paris, au-dessus du pont de Bir-Hakeim[1] et de la station de métro Passy. En tirant les volets, Jeanne découvre avec surprise Paul recroquevillé dans une encoignure. Après avoir échangé quelques banalités, sans rien savoir l'un de l'autre, ils se mettent brusquement à faire l'amour, puis repartent sans savoir leurs noms respectifs car lui ne veut pas le savoir. Paul loue l'appartement que Jeanne visitait en vue de son mariage et le couple s'y donne rendez-vous pour leurs rapports charnels d'une violence croissante.

Hors du lieu privilégié qu'est l'appartement aux volets clos, chacun retrouve sa vie quotidienne. Paul a épousé une jeune femme, propriétaire d'un hôtel minable où ils vivent depuis cinq ans : Rosa le trompe avec un des pensionnaires de l'hôtel et vient de se suicider en s'ouvrant les veines dans la salle de bains de leur chambre (sans donner les raisons de son geste). Jeanne retrouve sa mère, une veuve de colonel et son fiancé Tom, un réalisateur de télévision débutant qui tourne un film en 16 mm dont elle est le sujet et qui trouvera sa conclusion avec leur mariage[2].

Pendant les trois jours qui séparent le drame des obsèques de la femme de Paul, ils s'engagent dans une relation intense, houleuse, brève, désespérée. Quand Paul accepte de se confier à la jeune femme, il se révèle un raté qui fut tour à tour acteur, révolutionnaire, boxeur et journaliste. Lorsqu'il lui apprend que, rongé par le suicide de sa femme, il s'est abîmé dans une sexualité déchaînée, il devient un homme âgé sans mystère. Jeanne qui refuse de quitter sa vie de petite-bourgeoise, rompt avec lui. Paul ne comprend pas et la persuade de se rendre dans un dancing où se déroule un concours de tango très guindé[3]. Attablés ensemble, Paul avoue qu'il l'aime et la force à boire. Éméchés, les amants se mettent à danser sur la piste, parodiant les danseurs de tango de manière provocante. Jeanne refuse la prolongation de l'aventure et quitte en courant la salle de bal du « Dernier Tango ». Paul la poursuit jusqu'à l'appartement en haut de l'immeuble de Montparnasse où elle habite, cherche à la charmer et lui demande enfin son nom. Apeurée par sa violence et pour échapper à l'emprise destructrice de cet homme désespéré, elle prend dans un tiroir le revolver d'ordonnance de son père, colonel. Alors qu'il a coiffé, en un dernier geste de défi, le képi à cinq galons du père, il s'approche de Jeanne qui semble céder. Elle tire, Paul titube jusqu'au balcon et s'écroule. Jeanne vient de tuer Paul avec cette arme de service[4].

Fiche technique

Distribution

Ainsi que, dans des scènes coupées au montage[6] :

Production

Genèse et développement

Bernardo Bertolucci montre son scénario au producteur Alberto Grimaldi, qui l'apprécie et décide de le produire[7]. Au départ, Bertolucci voulait confier les rôles principaux au duo d'acteurs de son dernier film, Le Conformiste, Dominique Sanda et Jean-Louis Trintignant. Mais Sanda décline l'offre car elle attend un enfant[8],[9],[10] et Trintignant ne veut pas se déshabiller devant la caméra. Bertolucci contacte donc contacté d'autres acteurs. Il admire Jean-Paul Belmondo pour ses interprétations dans les films de Jean-Luc Godard et lui envoie le scénario. Mais celui-ci ne veut même pas le rencontrer, affirmant qu'il ne tourne pas dans des films pornographiques. Alain Delon, apprécié par Bertolucci pour ses rôles dans les films de Visconti, se montre intéressé, mais insiste pour être lui-même le producteur, ce qui l'écarte du projet[11],[12],[13].

Bertolucci n'avait pas du tout pensé à Brando jusqu'à ce que quelqu'un mentionne son nom[14]. Grimaldi avait déjà produit le drame anticolonialiste Queimada (1970), avec Brando dans le rôle principal. Le comportement obstiné de Brando pendant le tournage de Queimada avait entraîné des dépassements de coûts et de délais, ce qui avait conduit Grimaldi à lui réclamer des dommages et intérêts. En juin 1971, Grimaldi obtient d'un tribunal le gel des avoirs de Brando[15]. La situation de Brando s'aggrava encore ; il avait besoin d'argent pour agrandir sa résidence à Tahiti et pour régler des litiges judiciaires concernant la garde de ses enfants et le paiement d'une pension alimentaire[14]. Le succès commercial du film Le Parrain, sorti en mars 1972, lui permet certes de faire son retour artistique, mais ne résout pas ses difficultés financières, car il avait renoncé à une participation aux bénéfices au profit d'un versement modeste mais rapide[16]. Grimaldi est convaincu que Brando serait un bon choix pour le rôle et promet d'abandonner ses poursuites judiciaires si celui-ci accepte de jouer dans Le Dernier Tango[14],[16]. Il lui offrit un cachet de 250 000 dollars et une participation de 10 % aux bénéfices[17],[18],[19].

Bertolucci et Brando se sont rencontrés pour la première fois à Paris. Bertolucci l'admirait depuis son enfance et l'a accueilli avec le plus grand respect et une nervosité palpable. Il lui présente sommairement le thème du film qu'il prévoit de réaliser et le personnage qu'il imagine. Brando regarde la bande-annonce du Conformiste et accepte sans même lire le scénario. Afin de mieux faire connaissance, il invite le réalisateur à Los Angeles. Bertolucci s'y rend en novembre 1971, trois mois avant le début du tournage. Il explique à Brando que le scénario n'est qu'un point de départ et qu'il souhaite développer le personnage avec l'acteur par le biais de l'improvisation. Comme il considère Brando comme quelqu'un de très instinctif, il tenta d'établir une « relation pré-rationnelle » avec lui. Sa visite s'est transformée en une sorte de séance de psychanalyse de deux semaines, au cours de laquelle Bertolucci interroge l'acteur sur son enfance, ses parents et ses fantasmes sexuels. Brando oscille entre une franchise fascinée et le souci de préserver sa vie privée. Les deux hommes s'entendent bien[17],[20],[21],[22].

Après l'accord de Brando, Grimaldi rencontre d'importantes difficultés pour assurer le financement et la distribution du film ; les sociétés sollicitées refusent dans un premier temps. Metro-Goldwyn-Mayer ne savait pas quoi faire du projet en raison de son contenu érotique. Paramount, qui a distribué Le Conformiste aux États-Unis, craint une répétition des problèmes rencontrés avec Brando dans Queimada. Finalement, United Artists accepte de participer à hauteur de 800 000 dollars américains ; le coût total s'élève toutefois à 1,4 million[23],[24].

Une fois la distribution avec Brando confirmée, Bertolucci fait venir une centaine d'actrices à Paris pour des auditions ; elles doivent toutes se dénuder le haut du corps[25],[26]. Parmi elles, Maria Schneider est une jeune fille qui a quitté l'école à 15 ans et qui n'a interprété à 19 ans que des petits rôles dans trois films[17]. Bertolucci est immédiatement convaincu par son naturel[27],[26]. Ses collaborateurs sont sceptiques quant à son choix, personne d'autre que lui n'ayant vu son potentiel : « Elle a quelque chose de sauvage, de timide »[14].

Tournage

Le tournage s'est déroulé de février à avril 1972[28],[29],[30]. La scène d'ouverture est tournée sur le pont de Bir-Hakeim, dans le quartier ouest de Paris, à Passy. C'est là que se trouve l'appartement de la rue Alboni, que le film présente comme étant la rue Jules Verne. La véritable rue Jules Verne est cependant située loin de là, dans le XIe arrondissement, à l'est de la ville[31]. La plupart des acteurs ont joué leur rôle en français et Brando en anglais[32],[33],[34], sauf dans le dialogue avec Marcel, où il parle français. Dans les pays anglophones, le film est sorti en version originale avec des sous-titres pour les dialogues en français[35], écrits par Agnès Varda.

Brando est syndiqué et refuse de travailler le samedi. Bertolucci tourne donc les scènes avec Jean-Pierre Léaud ce jour-là, de sorte que Léaud et Brando ne se rencontrent jamais, comme dans le film Tom et Paul. Les acteurs travaillent jusqu'à 14 heures par jour. Les journées semblent interminables et se confondent les unes avec les autres. Maria Schneider est complètement épuisée par les tournages qui duraient jusqu'à vingt-deux heures, voire minuit, et elle s'arrête parfois pour pleurer d'épuisement. Brando s'arrête tous les jours à dix-huit heures et quitte le plateau[14].

Au début de leur collaboration, Brando emmène Schneider dans un bistrot voisin et ils se regardent dans les yeux en silence pendant 30 minutes afin de mieux se connaître. Bertolucci affirme que Schneider est vite devenue fixée de manière œdipienne sur Brando. Des rumeurs et des déclarations contradictoires circulent quant à une éventuelle liaison entre Schneider et Brando. Schneider raconte plus tard que Brando voulait lui donner de longues leçons, mais qu'elle le faisait rire et le déconcentrait ; elle nie toute relation père-fille[17],[36],[26].

L'équipe savait que Brando avait souvent compliqué le travail des techniciens lors de films précédents en se comportant comme une diva. Mais pendant le tournage du Dernier Tango, il se montre constructif et entretient de bonnes relations avec le réalisateur[37],[38],[39],[40]. Bertolucci et Brando se retirent chaque jour pendant plusieurs heures pour explorer, dans une sorte de psychanalyse mutuelle, quels sentiments exprimer dans quelle scène et comment. Ils s'inspirent mutuellement et leur volonté de prendre des risques va crescendo. Ils forment un duo soudé dont Maria Schneider et l'équipe sont exclues, laissant les autres dans l'incertitude quant aux changements surprenants apportés au scénario. Le réalisateur accorde à Brando des libertés qui avaient valu à ce dernier tant d'ennuis avec d'autres réalisateurs[41].

Bertolucci veut traiter les deux personnages de la même manière et donc les filmer tous les deux nus[14]. Le réalisateur insiste pour que les scènes de nudité soient réelles et non simplement suggérées[41] : « J'avais le choix entre montrer le sexe de manière directe ou par des allusions. La deuxième solution aurait été pornographique, car ce qui est vraiment pornographique, c'est l'hypocrisie »[42]. Ces scènes dérangent beaucoup Brando. Elles doivent être reportées de plusieurs semaines à cause de lui, afin qu'il puisse perdre quelques kilos[14].

Lieux[43]

Thèmes

Le Dernier Tango ne traite du sexe que de manière superficielle. Dans les discussions autour du film, le thème du sexe est souvent surestimé et occulte les véritables thèmes de l'œuvre[44],[45],[46]. Il s'agit plutôt d'un moyen d'exprimer les problèmes modernes liés à l'identité et à la communication. Le thème principal est la douleur existentielle au sein des limites de la civilisation contemporaine, qui décompose l'être humain et le plonge dans le désespoir[34],[47],[48],[49],[50]. Il existe différentes interprétations de l'œuvre, qui témoignent de sa complexité[51]. Bertolucci laisse délibérément certaines choses dans l'ombre, de sorte qu'il est impossible de comprendre le film dans son intégralité[52]. L'intention déclarée de Bertolucci était que le film ait finalement une signification différente pour chacun. La signification décisive d'une œuvre dépend toujours du spectateur[53].

Retrait du monde dans un espace dédié à Éros

À l'origine, Bertolucci envisage de situer l'action à Milan ou à Rome, mais lorsqu'il a l'idée du titre Ultimo tango a Parigi, celui-ci lui plaît beaucoup. « Il avait quelque chose. Paris est comme la ville interdite, elle semble avoir été construite spécialement pour les tournages »[14]. Il s'est inspiré du roman Le Bleu du ciel (1937) de Georges Bataille, dans lequel le personnage principal couche avec une inconnue[54]. Bertolucci avait l'« obsession » de rencontrer et d'aimer une femme inconnue dans un appartement anonyme, ce qui lui a fourni l'idée de base du scénario qu'il a écrit avec Franco Arcalli[55]. Il a expliqué que seul un scénario bien ficelé lui permettait de vraiment improviser[56],[57].

Paul a aménagé l'appartement situé dans la rue Jules Verne, une rue imaginaire, la « rue des fantasmes »[58], comme un « lieu sacré » pour sa sexualité[31]. Pour Bertolucci, c'est un « espace privilégié »[59]. La pièce, dans laquelle repose le matelas à même le sol, avec sa forme ronde et ses tons orange chaleureux, est un ventre maternel[60] dans lequel Paul et Jeanne peuvent régresser, une sorte de terrain de jeu pour enfants[61],[62]. Dans l'appartement se trouve une étrange structure recouverte de draps blancs, une chambre noire[9]. Elle rappelle une œuvre d'art moderne et exprime la solitude et le vide spirituel[7]. La concierge de l'immeuble ne semble pas s'intéresser à l'identité des personnes qui vont et viennent. En interdisant de se donner son nom ou de parler de sa vie, Paul veut bannir la définition sociale de l'être humain de l'appartement[63],[64]. Il congédie ainsi la culture et la civilisation, les règles et les tabous répressifs[60] : « Le langage du corps, les gestes et les expressions faciales sont plus directs, plus existentiels »[65]. Bertolucci lui-même voit dans le contact sexuel une nouvelle forme de langage qui leur permet de communiquer librement, sans les inhibitions de l'inconscient[66]. La régression psychique peut être comprise comme une protestation contre les insuffisances de la civilisation, comme un mouvement rétrograde progressif[67]. On découvre alors un « érotisme vivant, non socialisé »[8]. Le sexe n'est pas ici une succession d'étapes connues comme dans le tango, mais plutôt une exploration des recoins les plus secrets du corps et de l'esprit[51].

Lorsque Bertolucci écrit le scénario, il pense que l'appartement est une île sur laquelle on pouvait s'échapper du monde. Plus tard, il remarque que Paul et Jeanne sont des « participants à l'histoire »[66]. Ils ne pourraient pas échapper à leur propre situation sociale, car même la tentative d'évasion fait partie de ce dispositif : « On ne peut pas se cacher dans une chambre ; la réalité va entrer par la fenêtre ». Il se rend compte qu'au fond, le film ne parle pas d'un couple, mais de la solitude[68]. Jeanne se plaint que Paul ne l'écoute pas. Certaines critiques reconnaissent le message du film dans le fait que le sexe ne peut pas être un refuge contre et une alternative à des relations approfondies et à la responsabilité l'un envers l'autre[35]. Paul et Jeanne échouent dans leur tentative d'évasion parce qu'ils sont incapables d'un véritable partenariat. Après chaque rencontre, la solitude se réinstalle, leur érotisme est dépourvu de dimension spirituelle[69]. Le sexe sans tendresse, utilisé comme moyen de pouvoir, conduit au chaos et au désespoir[52]. Bertolucci estime que les relations ne sont érotiques qu'au début ; au fur et à mesure qu'elles durent, elles perdent leur pureté animale. Jeanne et Paul tentent en vain de préserver cette pureté[68].

Contexte idéologique : principe de plaisir et refoulement

Marxiste convaincu, Bertolucci traite directement des questions politiques dans ses quatre films, de Prima della rivoluzione (1964) au Conformiste (1970). Dans Le Dernier tango à Paris, elles n'apparaissent que de manière sous-jacente ; il se tourne vers le côté individualiste et subjectif de la pensée révolutionnaire[67]. Néanmoins, certains le classent comme le film le plus politique du réalisateur à ce jour, car il visualise ces questions dans la lutte entre la liberté sexuelle et la refoulement psychique[70].

Sa vision du monde est influencée par le philosophe Herbert Marcuse. Marcuse est convaincu qu'il est possible, dans la société industrielle, de réduire le travail aliéné à un minimum vital et de bannir le principe de performance. En revenant en arrière, en régressant avant le niveau atteint par la rationalité civilisatrice, vers un ordre instinctif non oppressif, on peut libérer le principe de plaisir refoulé. Mais la forme familiale bourgeoise refoule les sentiments et les besoins physiques, elle civilise le sauvage en l'homme. Le sexe frénétique n'est possible qu'en s'isolant de la société, et l'appartement est donc un espace utopique dans lequel le principe de performance ne s'applique pas[71],[72]. Jeanne mentionne dans un dialogue des ouvriers qui viennent dans l'appartement et enlèvent leurs vêtements de travail pour faire l'amour. L'arrangement de Paul avec Jeanne est une « tentative spontanée d'échapper à la société de la performance »[30]. Outre l'incapacité relationnelle, il y a là une autre raison de l'échec de l'utopie sexuelle de Paul : Bertolucci veut montrer que la rédemption et la liberté sont impossibles dans le présent, en dehors d'un changement social historique, avant la révolution[73].

L'écrivain Alberto Moravia, ami de Bertolucci, voit dans Le Dernier Tango deux forces opposées, à savoir Éros, qui incarne le principe de plaisir, et Thanatos, le principe de mort. La maison est le siège privilégié d'Eros, tandis que Thanatos règne sur tout le reste, sur le monde extérieur. L'Éros reste comme la seule possibilité d'articulation parfaite dans la civilisation, ce qui signifie une critique claire de la culture occidentale par Bertolucci : « Le sexe est vivant. Tout le reste est mort : la bourgeoisie, l'honneur, les ordres, la famille, le mariage et même l'amour lui-même ». La société bourgeoise occidentale ne connaît pas d'autre véracité vivante que le sexe, en revanche, le film réalisé par Tom à l'extérieur est faux. Selon lui, la société a supprimé le sexe afin d'engager la force de l'homme dans le travail[74],[75]. Bertolucci explique que dans la société bourgeoise occidentale, la relation de couple est marquée par la solitude et la mort. Dans son film, les personnages vivent le sexe comme un nouveau langage[53]. La mention du tango en est un signe. La danse du tango est née au début du XXe siècle dans les maisons closes de Buenos Aires et a bénéficié en Europe, en tant qu'importation, d'un vernis de perversité et d'érotisme. Les couples de danseurs bourgeois qui s'exercent au tango chez Bertolucci l'exécutent de manière ritualisée et sans vie[51]. Si le tango avait encore le sang chaud dans Le Conformiste, il en est fait ici une caricature froide[76].

Scène de sodomie

Dans la tristement célèbre « scène du beurre », Paul dit : « Je vais te parler de la famille. Cette institution sacrée, destinée à transformer les sauvages en hommes vertueux. [...] La sainte famille, église des bons citoyens. Les enfants sont torturés jusqu'à ce qu'ils disent le premier mensonge. Jusqu'à ce que la volonté soit brisée par la violence. Jusqu'à ce que la liberté soit assassinée par l'égoïsme. Famille de merde, putain de famille de merde. Oh, mon Dieu ! » Paul met ainsi en garde Jeanne contre l'ordre patriarcal et phallique. Sa démarche est interprétée comme une tentative de transgresser les normes de bienséance de la société, de se rebeller contre elle en profanant non seulement Jeanne, mais aussi les convenances. C'est pour la même raison qu'il exige plus tard de Jeanne qu'elle mette ses doigts dans ses fesses[77],[78]. Ses transgressions physiques et verbales profanent délibérément le sacré[54]. Le comportement de Paul envers Jeanne est à double tranchant, il montre que les personnages sont prisonniers de leurs origines, tourmentés par les valeurs dominantes et ont intériorisé les prescriptions de la famille, de l'Église et de l'État. Il fait de lui-même un oppresseur, malgré une rhétorique rebelle, il exerce une autorité phallique[79],[77],[80]. Le scénario prévoyait le monologue de Paul, mais pas l'acte de violence. Après la sortie du film, Bertolucci a estimé que les paroles de Paul devenaient plus claires s'il infligeait en même temps de la douleur à Jeanne, dans « une sorte de fureur didactique »[53]. Plus tard, il a expliqué que l'autodestruction de Paul devait s'exprimer par un acte de violence envers la jeune fille.

Considérée comme la scène la plus choquante et la plus controversée, la scène de sodomie est devenue le moment le plus célèbre du film. On y voit Paul, dans le salon de l'appartement, maintenir de force Jeanne au sol, la déculotter, prendre avec ses doigts du beurre et l'introduire dans la raie des fesses de l'actrice[81],[82]. Le contexte de cette scène de viol continue à faire parler de lui, même après des décennies. Les déclarations de Bertolucci à ce sujet en 2013 sont souvent interprétées comme le fait que Schneider n'aurait pas été informé du déroulement ultérieur de la scène[83]. La scène leur serait venue à l'esprit, à Brando et à lui, alors qu'ils mangeaient des baguettes avec du beurre. « J'avais décidé que Maria ne devait pas le savoir, qu'elle devait le vivre directement pendant que nous tournions. [...] Quand elle s'est rendu compte de ce qui se passait, ça l'a assommée. [...] Bien sûr, Marlon ne la pénétrait pas vraiment. Mais comme nous ne lui avions pas dit à l'avance ce qui allait se passer, c'était comme un vrai viol. [...] Je ne sais pas si je ferais la même chose aujourd'hui »[14]. Maria Schneider était perturbée après avoir joué cette scène : « C'était une humiliation incroyable. [...] Ce sont de vraies larmes »[14].

En 2016, Bertolucci s'est à nouveau exprimé à ce sujet et a parlé d'un « malentendu » : « Maria Schneider […] était prévenue de la scène de la sodomie simulée, écrite dans le scénario, mais pas de l'usage du beurre. »[84]. Une archive de Paris Match de 1972 (refaisant surface en 2018), évoquant le tournage relate :

« Pendant la scène, elle a hurlé, pleuré, pour de vrai. Après, elle a couru vers la chambre qui lui servait de loge, s'est jetée sur le lit, en larmes. Brando l'a rejointe, a mis un peu de musique. […] Quelques minutes plus tard quand Bertolucci a eu besoin d'eux — on était tout de même là pour tourner —, ils étaient toujours étendus sur le lit, la tête de Maria sur l'épaule de Brando. Elle était apaisée, hoquetait mollement, comme un enfant après les sanglots[85]. »

Il ressort également d'une interview de Schneider publiée par le Daily Mail en 2007 qu'elle n'a pas été surprise par le viol joué pendant le tournage, mais qu'elle a appris juste avant le tournage qu'une modification avait été apportée au scénario, sans que l'on sache s'il s'agissait de la représentation d'un viol ou de l'utilisation de beurre : « Ils m'en ont parlé juste avant le début du tournage, et j'étais tellement en colère. [...] J'aurais dû appeler mon agent ou faire venir mon avocat sur le plateau, parce que tu ne peux pas forcer quelqu'un à faire quelque chose qui n'était pas dans le scénario, mais à ce moment-là, je ne le savais pas »[86]. Elle déclare plus tard qu'elle assimile cette scène à un viol et qu'elle n'a jamais pardonné à Bertolucci[87]. Elle dit avoir « perdu sept ans de [sa] vie entre cocaïne, héroïne et dégoût de soi et repoussé des rôles directement inspirés de celui de Jeanne[88]. »

Bertolucci, lors du décès de l'actrice en , dit avoir regretté de ne pas s'être excusé plus tôt[88]. En 2013, il ajoute qu'il se sent coupable mais qu'il ne regrette pas car il voulait que Schneider ressente de la rage et de l'humiliation : il voulait capter sa réaction « en tant que fille et non en tant qu'actrice[89],[87]. ».

Personnages et acteurs

Marlon Brando dans le rôle de Paul

Le mariage et le désespoir de Paul

Paul aspire désespérément à être aimé[66]. Sa vie de couple avec Rosa a dû être terrible, une succession de disputes verbales et de silences tendus[7]. Il n'a jamais compris Rosa et ne comprend pas son suicide. Bertolucci décrit la relation de Paul avec Rosa comme œdipienne[66]. Rosa n'était pas seulement l'épouse de Paul, pendant des années elle s'est aussi occupée de lui et était donc une figure maternelle[90]. Une interprétation de l'état de Paul est la suivante : « Ses tirades sont des monologues obsessionnels qui ne demandent ni voix discordante ni réponse »[91]. C'est justement l'inverse que voit une approche explicative psychanalytique qui part du principe qu'un enfant développe son identité en essayant de se reconnaître dans le visage de sa mère qui lui sert de miroir. Le désespoir de Paul vient donc de son incapacité à lire le visage de Rosa. Il se comporte de la même manière avec Catherine, la femme de chambre, qui simule la mort de Rosa et se glisse ainsi dans son rôle[90]. Paul cherche aussi constamment à se faire humilier, il a une envie de mort[92],[93] et montre à Jeanne avec un plaisir morbide un rat mort qu'il a déniché.

Rosa entretient dans son hôtel son amant Marcel, dont elle fait une copie de Paul, afin d'obtenir de lui l'amour que Paul n'a pas été capable de lui donner. Dans le film narratif conventionnel, ils sont des rivaux de caractère opposé et se combattent. Rosa rapproche cependant l'apparence de Paul et de Marcel en les habillant avec les mêmes peignoirs. Les deux hommes bavardent de prise de poids et de soins capillaires autour d'une bouteille de bourbon encore offerte par Rosa[94],[95],[96]. Lorsque Paul quitte Marcel, il lui dit simplement : « Je n'ai jamais compris ce qu'elle voyait en toi ».

La relation de Paul avec Jeanne

La relation entre Paul et Jeanne est qualifiée au choix de « liaison »[97],[98], « relation sexuelle »[65], « relation intense »[99] ou d'amour fou[100]. Paul transfère sa colère et son désespoir contre Rosa sur Jeanne sous la forme d'un comportement sexuel agressif[101],[102],[103]. Les motifs possibles sont également la vengeance contre Jeanne pour son amour œdipien pour sa mère[104], le mépris de soi[91] ou une tentative d'oublier son deuil dans le sexe. Sans sentiments, une relation sexuelle ne peut pas être à la fois intense et durable. Comme il n'y a pas d'amour entre eux, dans les deux premiers tiers du film, il essaie de maintenir l'intensité en humiliant Jeanne[7]. Il ne parvient pas à rencontrer Jeanne sans machisme et brutalité[70]. Chaque fois que Jeanne montre de vrais sentiments, il développe de nouvelles façons de l'humilier[70]. Il ne veut de relation que sexuelle et nie la possibilité d'un amour.

Dans le dernier tiers du film, il change cependant d'avis et déclare que l'amour est tout de même accessible, à condition d'être passé auparavant par des expériences extrêmes et terribles[51],[23],[24]. Il se présente devant Jeanne en tant qu'admirateur, bien habillé en costume, et il revient sur ses précédentes attaques violentes contre l'amour romantique et le mariage[99]. Mais en essayant de transposer leur relation dans une forme socialement légitimée et dans la vie quotidienne, il va à l'encontre de ses propres principes, donne le coup de grâce à son rêve, et signe ainsi sa propre perte[105],[47],[106]. Jeanne reconnaît alors en lui le raté pathétique au chewing-gum, le vieil homme épuisé et pitoyable qui perd son énergie en dehors de l'espace particulier de l'appartement[105],[30],[107],[108]. S'il était encore brutal au début du récit, il se démasque au fil du film. Vers la fin, Paul régresse en goujat qui montre ses fesses à la bonne société et en enfant qui colle son chewing-gum usagé sous la balustrade avant de s'étendre par terre en position fœtale, dans le giron de Paris[109].

Un Orphée moderne

Dans Le Dernier Tango à Paris, on trouve des allusions à l'ancienne légende grecque d'Orphée. Celui-ci, inconsolable de la mort de sa femme Eurydice, réussit à convaincre les dieux, grâce à son art du chant, de lui accorder l'accès à l'Hadès afin de la ramener. Cependant, les dieux lui imposèrent la condition de ne pas se tourner vers elle pour la regarder en remontant de l'Hadès. Il ne respecta pas cette condition et la perdit à jamais.

La légende d'Orphée n'est pas facilement reconnaissable, car Bertolucci a divisé la figure de la femme en deux personnages. Paul tente de reconquérir sa femme décédée sous la forme de Jeanne[90]. La règle qu'il impose de ne pas s'échanger leurs prénoms et de ne rien se raconter de leur vie passée correspond à l'ordre donné à Orphée de ne pas regarder en arrière. Lorsque Paul propose à Jeanne un amour bourgeois et étale sa vie devant elle, il enfreint la loi et amorce sa fin tragique[90]. Certains détails de la mise en scène font également référence à Orphée. Les chemins de Paul et de Jeanne se croisent pour la première fois sur un pont ; dans la légende d'Orphée, il fallait traverser le fleuve Styx. Là, ils passent devant un rassemblement de policiers qui correspondent aux gardiens mythologiques. On trouvait déjà des policiers en uniforme similaires dans l'adaptation cinématographique de Jean Cocteau, Orphée (1950), avec Jean Marais. La concierge qui harcèle Jeanne est une sorte d'Érinye. De même, le nom de la rue « rue Jules Verne » est une référence à Orphée, puisque l'écrivain éponyme a transposé la légende à son époque dans son roman gothique Le Château des Carpathes (1892)[90].

L'interprétation improvisée de Brando

Dès le début des années 1950, Brando s'est imposé comme une vedette électrisante et rebelle, la figure de proue d'une jeunesse en révolte. Son style de jeu d'acteur était également une rébellion contre le style hollywoodien. Il se comporte comme un marginal difficile que les studios ont poursuivi en justice à plusieurs reprises pour non-respect des accords[110],[111],[112]. Après une série d'échecs, la carrière de Brando était au point mort dans les années 1960 ; les studios étaient réticents à financer des projets avec lui. Au début des années 1970, on estimait que l'acteur Brando était une relique d'une époque révolue, où les anciennes conventions étaient encore assez fortes pour qu'il puisse se rebeller contre elles[104]. Ce n'est que son rôle dans Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola qui lui redonne brusquement sa célébrité perdue. La signature de l'accord de Brando pour jouer dans le Dernier Tango et le début du tournage ont toutefois eu lieu avant la sortie du Parrain[113].

Il n'aurait pas été possible, pour la conception du rôle, d'ignorer les expériences que le public a faites avec Brando depuis deux décennies[114]. La biographie de Paul est la filmographie de Brando. La femme de chambre énumère les étapes de la vie de Paul : Il a été boxeur, révolutionnaire en Amérique du Sud, a voyagé au Japon et a été marin à Tahiti avant d'épouser une femme riche à Paris. Cela correspond aux rôles importants de Brando dans Sur les quais (1954) et Viva Zapata ! (1952) d'Elia Kazan, Sayonara (1957) de Joshua Logan et Les Révoltés du Bounty (1962) de Lewis Milestone et Carol Reed. Dans chaque geste de Brando résonne un rôle antérieur[115]. Il porte un maillot de corps et frappe du poing contre la porte comme dans son rôle de Kowalski dans Un tramway nommé Désir (1951)[116],[117],[118],[119]. La confusion entre l'identité de l'acteur et celle du personnage représenté n'était faite dans le cinéma classique que pour les rôles comiques et, si elle se produisait, elle était d'une importance secondaire. La mythologie de la vedette se déployait en dehors du scénario. Ici, elle est déjà présente dans le livre et a trouvé une place encore plus importante grâce à l'improvisation. Néanmoins, Paul et Brando ne sont pas assimilables[76]. Il n'est certes pas possible de déterminer dans quelle mesure Brando joue Paul ou lui-même[17]. Au début du film, c'est justement le manque d'indices sur l'identité sociale de Paul qui fait que l'identité du personnage se confond avec celle de son interprète, Brando[120].

Jeanne refuse le souhait de Tom de préparer une scène pour son film avec la fameuse réplique « Ce soir, on improvise ! »[121]. Bertolucci ne donne pas aux acteurs de rôles tout faits ; il laisse aux acteurs la possibilité d'improviser afin qu'ils puissent apporter beaucoup d'eux-mêmes dans le rôle. Il mène avec eux, dans le cadre du récit, des conversations presque psychanalytiques afin de susciter chez eux certaines humeurs, d'exacerber les tensions et le malaise : « La relation avec eux était très intense ; j'ai réussi à me débarrasser de mes barrières et je les ai aidés à faire de même. [...] En ce sens, c'est un film libéré ». Lorsqu'il parle des personnages, ce n'est pas de Paul et Jeanne, mais de Marlon et Maria[109]. Il demande à Brando d'être simplement lui-même, de jouer comme si le personnage était Marlon Brando lui-même et non Paul. D'après lui, Brando a pris beaucoup de plaisir à faire ce travail[122]. Contrairement à sa formation, Brando peut jouer comme à l'Actors Studio, c'est-à-dire qu'il ne doit pas devenir quelqu'un d'autre, mais qu'il peut au contraire adapter le rôle à son propre caractère[123]. Bertolucci estime que la contribution de Brando et de Schneider au film est incommensurable[124], car Brando joue la même scène différemment à chaque prise[14] : « C'est le cadeau le plus fantastique qu'un acteur puisse faire »[14]. Brando ne suit pas sa raison, il suit entièrement son intuition et ses instincts, comme un chasseur, avec la sagesse d'un vieil indien[122],[37]. Bertolucci est tellement impressionné par son interprétation qu'il craint de ne pas être à la hauteur en tant que réalisateur[125].

Pour de nombreuses représentations de Brando, un seul enregistrement suffisait, y compris pour les souvenirs de jeunesse[17]. Durant sa jeunesse, la famille de Brando vivait dans une ferme non loin de Chicago. Son père était viriliste et déçu par son fils, sa mère était proche de la nature et du théâtre. Tous deux buvaient ; leur mariage était également entaché d'infidélités[56],[126],[127]. Brando s'est rappelé son enfance tout en jouant la scène improvisée de la traite des vaches et celui lui a donné la force de vraiment pleurer pendant la scène. Bertolucci est conscient d'avoir pénétré profondément dans l'intimité de Brando, et pense que Brando y a participé avec un mélange de terreur et de fascination[128],[129]. Après le tournage, Brando lui aurait reproché avec colère d'avoir été violenté et de lui avoir arraché son intimité[128],[130]. Après la sortie du film, Brando essaye de minimiser la portée personnelle et authentique de son interprétation : la critique ferait de la surinterprétation[125]. De lui-même, il n'y aurait en Paul « qu'une certaine mélancolie désespérée. Une sombre tristesse. De la haine envers moi-même. Tous les hommes, lorsqu'ils atteignent mon âge et ne sont pas complètement idiots, doivent ressentir un vide en eux, un sentiment d'angoisse et d'inutilité »[23],[24]. Certains critiques ont classé cette scène comme la meilleure et la plus touchante de Brando[17]. La bouse de vache représenterait la douleur inévitable de l'existence humaine[70].

Maria Schneider dans le rôle de Jeanne

La relation de Jeanne avec Paul

Le père de Jeanne est mort pendant la guerre d'Algérie. Elle trouve Paul ravissant dans son uniforme. On peut supposer qu'elle espère retrouver son père en Paul[90]. Bertolucci qualifie également leur relation d'œdipienne[66]. Jeanne est passive, excitable uniquement par la brutalité, elle se soumet à Paul et est fascinée par lui parce qu'il lui procure l'expérience d'un abandon total[30],[131],[108]. L'isolement de Paul, son mystère et son authenticité font de ses rendez-vous avec lui quelque chose de plus palpitant que son quotidien, ils lui procurent une expérience d'aventure et de liberté[132],[133],[134]. Paul ne veut pas vieillir, Jeanne ne veut pas devenir adulte[34]. Il est parfois affirmé que Jeanne veut se libérer de son mode de vie bourgeois[115]. Elle subirait de manière masochiste le viol de Paul par sentiment de culpabilité quant à son appartenance de classe[70].

La fascination de Jeanne pour Paul ne dure que tant qu'il est un homme puissant et brutal[70]. Lorsqu'il lui demande de le pénétrer, elle pressent déjà qu'il cessera de jouer à l'homme fort et qu'il cédera à ses valeurs bourgeoises[68]. L'attirance exercée par le passé mythique de Paul, qui se confond avec celui de Brando, disparaît lorsqu'il lui propose une cohabitation bourgeoise normale[135] : « Quand le passé devient réel, il ne peut plus constituer un mythe vivant pour le présent »[104]. Elle ressent comme un affront sa tentative de lui proposer une relation amoureuse bourgeoise[136]. Ce que Jeanne vit dans l'espace particulier de l'appartement est inacceptable à l'extérieur, à la lumière du jour ; la persécution de Paul lui est pénible[90]. Lorsqu'il met le képi de colonel du père de Jeanne dans la scène finale, il se glisse dans son rôle[137],[138]. En tirant sur Paul, elle échappe à son démon. S'agit-il d'une libération de la domination de Paul sur elle, ou est-elle trop jeune, pour partager sa souffrance ?[51] Cette décision la fait-elle grandir ?[104] On ne sait pas non plus si elle tire sur Paul au nom de son père[120]. A la fin, les exigences de Paul l'ont rapprochée de Tom[99].

La personnalité de Jeanne

Pour le critique Gérard Legrand, il semblerait que personne de plus de quarante ans n'avait la stature pour combattre Jeanne[76]. Bertolucci déclare à ce sujet : « Jeanne enjambe tranquillement le cadavre de cet homme, avec une innocence supérieure et une cruauté inconsciente »[139]. De la même manière qu'elle enjambe le balai au début, elle surmonte aussi d'autres obstacles et adversités[105],[140]. Elle dégage une arrogance juvénile et indifférente à la civilisation et à l'autorité, un oubli égocentrique et provocateur du monde[25] : « Dans les années 1970, Jeanne détruit la révolte sociale et sexuelle des années 1960 avec une indifférence blasée »[104]. Elle n'éprouve aucun sentiment de culpabilité envers Tom à cause de sa liaison avec Paul[141]. Alors que Paul est fait de souvenirs, elle est une fille sans passé[37],[139],[56]. Pourtant, le réalisateur la qualifie de petite-bourgeoise, « mon moi adolescent »[66]. La critique féminine, notamment, trouve que le personnage manque de caractère et de profondeur[70].

L'interprétation de Maria Schneider

On décrit à l'époque Schneider comme une « jeune femme ronde et charnue aux seins lourds ». Elle montre sa sexualité et sa nudité avec une insouciance enfantine, comme les jeunes filles des tableaux d'Auguste Renoir[142],[143],[144]. Bertolucci dit qu'elle avait l'air physiquement très française[124]. Schneider s'exprime en public de manière très sûre d'elle et narcissique. Elle se trouve plus cynique que Brando, plus libre que Bertolucci, et elle était une anti-vedette sans histoires, simplement Maria[17]. Elle se vante d'avoir eu jusqu'à présent cinquante partenaires sexuels masculins et vingt féminins ; elle dit aussi que Brando est trop vieux pour elle[34]. Elle lui reproche d'avoir peur de vieillir, de se maquiller trop soigneusement, d'être paresseux et parfois lent[17]. Sa peur de la nudité montrerait qu'il n'est pas aussi libre qu'elle[125]. Elle souligne qu'elle n'a jamais été soumise[17] : « Je tiens à souligner expressément que Jeanne était un rôle. Il n'y a jamais eu d'histoires comme celle-ci dans ma vie. Jamais »[14]. Un jugement rétrospectif estime que la contribution de Maria Schneider à l'œuvre est le plus souvent sous-estimée. Elle n'apparaît pas comme une actrice inexpérimentée, mais plutôt comme une vedette dont l'amour-propre lui fait oublier les attentes du public[145].

En 2024, le long-métrage français Maria de Jessica Palud dramatise, du point de vue de Maria Schneider, sa participation au Dernier Tango à Paris.

Jean-Pierre Léaud dans le rôle de Tom

Tom arrive à la gare Saint-Lazare et, accompagné de sa troupe équipée de caméras et de micros, agresse Jeanne qui l'attendait. Malgré sa résistance, il la prend comme protagoniste de son film. Ce n'est pas à Paul, mais à Tom qu'elle dit : « Tu me forces à faire des choses que je n'ai jamais faites. J'en ai marre de me faire violer ! »[51].

Alors que Paul semble s'ennuyer, Tom est enthousiaste ; là où Paul voit « de la merde », Tom cherche le mouvement de caméra le plus élégant. Paul s'est réfugié dans l'appartement et à l'hôtel, Tom est assigné à l'espace public. Cependant, Tom est plongé dans la sphère désincarnée du cinéma, tandis que Paul recherche des expériences sensuelles. Tom ne peut pas gérer la vie réelle sans la traduire au préalable en termes cinématographiques. Lui ou sa caméra arrivent souvent trop tard pour capturer la vie[146],[94],[147],[148]. C'est un personnage banal[99], incapable de comprendre Jeanne, voire « mentalement prépubère »[70]. Son attachement émotionnel à son film est plus fort qu'à Jeanne en chair et en os[149],[147]. Il la cadre avec ses doigts avant de l'embrasser ; le regard distant prime sur la proximité physique. Bertolucci a utilisé le personnage de Tom pour contrebalancer la gravité du rôle de Brando[150]. Les critiques voient également le côté comique : « Sa profonde ignorance de la vie n'est surpassée que par sa connaissance encyclopédique des Cahiers du cinéma[151]. »

Tom est considéré comme une caricature ou une parodie des auteurs avant-gardistes du cinéma vérité français et comme un voyeur sans imagination[30],[152],[149]. Plusieurs critiques sont d'avis que cette caricature fait directement référence à Jean-Luc Godard[146],[153],[154]. Tom réclame avec un enthousiasme enfantin la nouveauté — nouveau mariage, nouveaux gestes, nouvel appartement — et se moque de la préférence romantique de Jeanne pour l'ancien appartement. De même, Godard est ces années-là avec le groupe Dziga Vertov à la recherche d'un nouveau langage cinématographique[135]. Tom met en scène sa petite amie comme Godard a mis en scène ses partenaires Anna Karina et Anne Wiazemsky[70]. Le personnage représente un artiste bourgeois godardien qui prétend être un révolutionnaire. Selon Julian C. Rice, Bertolucci semble dire qu'après Godard, l'approche « créative » de Tom est désormais impuissante, car les anciennes valeurs ont déjà été renversées : « il n'y a plus de dragons à abattre »[104].

Bertolucci souhaite depuis longtemps tourner avec Léaud, car il l'apprécie dans les films de Truffaut et Godard[155]. Tout au long des années 1960, Bertolucci est un admirateur fervent et imitateur occasionnel de Godard, avant de se libérer de cette influence et d'attaquer Godard avec virulence dans Le Conformiste (1970). On peut donc aussi voir en Tom une caricature que Bertolucci fait de lui-même, une moquerie bienveillante à l'égard des cinéphiles[118],[156],[147],[157]. Personnellement, Bertolucci dément que Tom est un personnage godardien[68]. Il éprouve de la sympathie pour Tom parce qu'il se reconnaît en lui. Ce personnage serait donc pour lui un adieu à son enthousiasme initial pour le cinéma, qui avait autrefois été très important pour lui et qu'il trouvait désormais de plus en plus ridicule[158],[159].

Références à l'histoire du cinéma

Bertolucci précise que le personnage de Tom n'était pas une réflexion théorique sur le cinéma et qu'il n'y avait pas ici de « film dans le film ». Tom fait partie du spectacle et de l'action[160]. Il essaye de filmer une histoire et non une théorie. Les références à d'autres œuvres font toujours partie de l'histoire et sont utilisées de manière à ce que même les spectateurs qui n'ont pas de connaissances préalables puissent tirer quelque chose des scènes en question. Ainsi, Tom est un personnage qui fait avancer l'intrigue même si le spectateur ne connaît pas l'importance de son interprète, Jean-Pierre Léaud, pour la Nouvelle Vague : « Si Léaud provoque le rire, ce n'est pas du tout par un petit clin d'œil entre cinéphiles »[124].

Un exemple est la scène dans laquelle Tom jette dans le canal une bouée de sauvetage portant l'inscription « L'Atalante ». La bouée coule immédiatement. Bertolucci voulait ainsi exprimer son douloureux souvenir de Jean Vigo, le créateur du film du même nom (1934). Mais la bouée se comporte aussi comme l'un de ces objets compliqués des films de Buster Keaton[124]. De plus, la chute de la bouée salvatrice peut être interprétée comme le signe que le mythe de l'amour romantique entretenu par le cinéma n'offre aucune sécurité[99]. Bertolucci fait sa première autoréférence lorsque Paul et Jeanne passent devant l'Hôtel d'Orsay, où il a tourné Le Conformiste. Paul meurt à son tour dans la même situation que le personnage principal de Brando dans Viva Zapata ! (1952). Bertolucci explique que Paul recherche à Paris une authenticité intacte, à l'instar de l'écrivain Henry Miller en son temps[69]. En tant qu'Américain à Paris, il suit également les traces d'Ernest Hemingway et de Gene Kelly, dont il imite les pas de claquettes dans le film Un Américain à Paris (1951)[57],[128].

Brando, représentant du vieil Hollywood, et Léaud, symbole de la Nouvelle Vague, rivalisent sans se rencontrer[14]. Le troisième acteur est le néoréalisme italien. L'interprète de Marcel, Massimo Girotti, a participé à de nombreux films néoréalistes, notamment à Les Amants diaboliques (1943) de Luchino Visconti, qui a marqué le style. C'est également à ce courant qu'appartient Maria Michi, qui interprète la mère de Rosa. Lorsque Paul et Marcel sont assis côte à côte, le vieil Hollywood et le néoréalisme se rejoignent. Paul : « Vous étiez beau, il y a vingt ans ? » Marcel : « Pas comme vous ».

Mise en scène

Dramaturgie

Paul et Jeanne apparaissent de nulle part, leur vie ne se dévoile que progressivement. Elle dit : « Nous transformons le hasard en destin. » Comparée aux films précédents de Bertolucci, la dramaturgie est ici plutôt simple et linéaire[30],[161]. Le récit ne tourne pas autour d'événements, mais plutôt autour de situations symboliques[75]. Bertolucci fusionne diverses approches scénographiques. Les théories d'Antonin Artaud, selon lesquelles le « théâtre de la cruauté » doit non seulement occuper intellectuellement son public, mais aussi le bouleverser sensuellement, l'ont inspiré, tout comme les opéras de Giuseppe Verdi et les mélodrames hollywoodiens, pour exprimer les sentiments de l'individu opprimé[162],[163]. Par exemple, lorsque Paul soulève et porte Jeanne lors de leur première rencontre, Bertolucci parodie les anciennes étreintes hollywoodiennes, mais le sexe fait ensuite irruption violemment dans la scène[17]. En raison de la combinaison de conditions de production coûteuses et de la recherche d'une authenticité spontanée, Bertolucci a également qualifié le film de « cinéma vérité pour les riches »[57],[56].

Vulgarité

Le langage souvent vulgaire de Paul est frappant. « Je vais te trouver un cochon et je vais te faire baiser par ce cochon. Je veux que le cochon te vomisse au visage et que tu avales son vomi. […] Le cochon va crever en te baisant. Ensuite, je veux que tu ailles derrière le cochon et que tu sentes son pet mortel. » Les dialogues obscènes ont parfois été perçus comme clichés[104]. Concernant la nudité et les actes sexuels, Bertolucci désire les présenter avec élégance et tact, désérotisés et en aucun cas pornographiques ; ces scènes doivent exposer des sentiments et non des corps[143],[164],[118],[165]. Il explique qu'il ne s'agit pas d'un film érotique, mais seulement d'un film sur l'érotisme[68], qui est pour lui une chose sombre[166],[167]. C'est Brando qui enrichit les dialogues d'obscénités des années 1950[160],[120]. Il a également eu l'idée de montrer ses fesses dans la salle de tango ; il avait déjà baissé son pantalon pour plaisanter pendant les pauses du tournage du Parrain[125]. Plusieurs critiques considèrent que Brando est l'auteur du Dernier Tango tout autant que Bertolucci, en particulier dans les scènes improvisées[168],[136],[169],[170]. Peut-être Bertolucci avait-il laissé à Brando une telle liberté qu'il avait perdu le contrôle de son film[171]. C'est là que commencent les spéculations sur ce qu'aurait été le film avec Trintignant et Sanda[99],[172].

L'influence visuelle de Bacon

Pendant le générique apparaissent à l'écran les tableaux Double portrait de Lucian Freud et Frank Auerbach ainsi que Étude pour un portrait (Isabel Rawsthorne), tous deux réalisés en 1964 par le peintre irlandais Francis Bacon. Ce dernier est connu pour ses tableaux représentant des corps torturés et déformés, des êtres humains réduits à l'état de masse de chair exprimant une angoisse existentielle ; un motif récurrent est le cri comme métaphore de la douleur. La première rétrospective de son œuvre en France a lieu au Grand Palais à partir d'octobre 1971. Bertolucci emmène son chef opérateur Vittorio Storaro à l'exposition. Il y a ensuite conduit Brando, car il « estimait que son visage et son corps présentaient la même déformabilité étrange et infernale. Je voulais un Paul qui rappelle [...] les figures qui apparaissent de manière obsessionnelle chez Bacon : des visages rongés de l'intérieur »[173],[174],[48],[175],[176]. Cette idée est par exemple mise en œuvre dans la scène où Paul visite la salle de bain dans laquelle sa femme s'est suicidée. Il est visible à travers un verre dépoli irrégulier qui déforme son visage[177]. Sur l'un des tableaux de Bacon, celui du milieu du triptyque Étude d'un corps humain (1970), on voit un couple en train de faire l'amour sur un support circulaire. Dans ses tableaux, les personnages sont souvent allongés sur le sol. Après son rapport anal avec Jeanne, Paul est allongé sur le sol et ses contorsions rappellent les personnages de Bacon. Après leurs rapports sexuels, Jeanne et Paul sont souvent allongés à une certaine distance l'un de l'autre[64]. Dans d'autres scènes, ils sont seuls dans l'image ou séparés par des lignes fortes au sein du plan, de sorte que l'ensemble ressemble à une approche des diptyques et triptyques de Bacon[175],[161],[140]. La vieille dame qui rince son dentier sous le robinet des toilettes a également un effet baconien[178].

Bertolucci tente de donner du sens à chaque plan à travers la composition, les mouvements de caméra, les couleurs et la lumière[179]. Dans les scènes en extérieur, lui et Storaro capturent la mélancolie des après-midis d'automne[35]. Les escaliers ornés, les ascenseurs, les lampes circulaires et les costumes portés par Jeanne au début du film rappellent le style des années 1900[180]. L'appartement est élégant, mais il tombe en ruine, créant une ambiance irrationnelle[181].

Lumières

Les prises de vue extérieures montrent un Paris gris et sont généralement dépourvues d'ombres. En revanche, la lumière latérale pénètre dans l'appartement, laissant les personnages à moitié dans l'ombre. L'incidence horizontale de la lumière souligne le fait que la pièce dépend de l'extérieur[153]. C'est une lumière chaude et orange juste avant le coucher du soleil[173]. Storaro et Bertolucci ont également trouvé l'inspiration pour cette lumière dans les tableaux de Bacon, où l'on trouve souvent des arrière-plans orange[175],[177],[48],[182]. Storaro dit : « À l'époque, je ne savais rien du symbolisme et de la qualité dramaturgique de la couleur orange, mais je sentais que c'était la bonne couleur pour le film. Je ne savais pas que l'orange était la couleur de la famille et de la chaleur, la couleur de l'utérus, la couleur d'une certaine maturité masculine. [...] Un soleil couchant est le symbole d'un homme à la fin de sa vie »[183]. Il est intéressant de noter que l'adjectif français « tango » désigne un orange vif.

Photographie

Comme à son habitude, Bertolucci a lui-même mis au point les mouvements de caméra[32]. La chorégraphie du tango et son jeu d'attraction et de rejet se manifestent dans différentes scènes, notamment dans la séquence d'ouverture, où Paul, Jeanne et la caméra se rapprochent et s'éloignent les uns des autres[175]. Une critique a déclaré que cette séquence était magnifiquement cinématographique et annonçait le style du reste du film[184]. Ailleurs, la caméra se jette sur Paul comme un oiseau de proie pour lui arracher les entrailles[185],[186]. Son agonie passe ainsi immédiatement au premier plan. Les mouvements de la caméra seraient aussi habiles que les mouvements du bras d'un peintre[143]. Mais Bertolucci utilise, par rapport à ses films précédents, moins de mouvements de caméra que de mouvements des personnages à l'intérieur de l'image pour exprimer quelque chose[187]. Le mouvement progressif vers l'arrière, qui vise à libérer le principe de plaisir refoulé et avec lequel la psychanalyse tente de revenir à l'enfance pour résoudre les problèmes futurs, est également mis en valeur par la caméra : Tom compte l'âge de Jeanne jusqu'à zéro, elle recule en racontant – les souvenirs sont traduits en un mouvement spatial vers l'arrière[188],[189],[72].

Musique

Au début de sa carrière, Bertolucci pensait encore que la musique devait être indépendante de l'image. Il accorde désormais un rôle plus important à la musique. Le compositeur Gato Barbieri rejoint l'équipe pendant la post-production et compose la musique en parallèle du montage du film[188],[190]. Le style jazzy de la musique, tout comme le saxophoniste noir à la fenêtre de l'hôtel, soulignent la souffrance endurée par Paul[191]. Selon les critiques, la musique constitue une base puissante pour le récit, elle le fait avancer[162]. Elle est qualifiée de fiévreuse[35],[157] et le solo de saxophone de Barbieri de passionné[35].

Exploitation, censure et succès

Avant-premières et éloges

Le film est présenté pour la première fois au public lors de la Mostra de Venise en septembre 1972, où plusieurs réalisateurs italiens ont boycotté le programme officiel pour des raisons politiques en organisant un contre-événement. À cette occasion, Bertolucci projette des extraits du film, qui n'était pas encore terminé. Les professionnels du cinéma et des médias présents pressentent que l'œuvre aurait des difficultés avec la censure[192].

Grimaldi insiste alors pour que Le Dernier Tango soit présenté en avant-première dans un autre festival de cinéma afin qu'il soit perçu comme un film d'auteur[125]. La première a donc lieu le , lors de la dernière soirée du Festival du film de New York. Des rumeurs circulent selon lesquelles il s'agit d'un film particulièrement scandaleux, les billets se vendent donc à des prix exorbitants au marché noir et sont déjà épuisés plusieurs jours à l'avance[193]. Grimaldi et Bertolucci transportent la copie du film dans leurs bagages à main. Il n'y a pas d'avant-premières et ils ne projettent l'œuvre qu'une seule fois, car ils doivent encore la présenter à la commission de censure italienne[125].

L'une des critiques de cinéma les plus respectées des États-Unis à l'époque, Pauline Kael, est une admiratrice de Marlon Brando depuis les années 1940. En 1966, alors que sa carrière était sur le déclin, elle l'avait défendu en le qualifiant de héros américain par excellence, grand et libre, car il ne se conformait pas aux objectifs d'une société corrompue. Malheureusement, il n'obtenait plus de rôles dignes de lui[194]. Peu après la projection à New York, elle fait l'éloge du Dernier Tango avec enthousiasme et superlatifs. Selon elle, le jour de la sortie du film a la même importance pour l'histoire du cinéma que le jour de publication du Sacre du printemps en 1913 pour l'histoire de la musique : « Il n'y a pas eu de tumulte, personne n'a jeté d'objets sur l'écran, mais je pense qu'on peut dire que le public était en état de choc, car Le Dernier Tango à Paris provoque la même excitation hypnotique que Le Sacre et possède la même force primitive ». Jusqu'alors, le cinéma n'avait montré que du sexe mécanique, sans passion ni émotion : « Bertolucci et Brando ont changé l'apparence d'une forme d'art ». L'œuvre bouleverse émotionnellement : « Ce qu'ils vivent ensemble dans leur cocotte-minute est une version intensifiée et accélérée de l'histoire des relations sexuelles entre les hommes dominateurs et les femmes adoratrices qui ont constitué le modèle sexuel dominant des dernières décennies – un modèle qui est en train de s'effondrer. Ils ne se connaissent pas, mais leur sexualité n'est ni primitive ni pure ». Chacun apporte son complexe culturel dans sa sexualité, ce qui résulte en un sexe empoisonné, « une bataille entre des partenaires inégaux, affirmant leur domination autant qu'ils le peuvent, saisissant tout avantage possible ». Plus loin, elle ajoute « Bertolucci crée un cadre qui permet l'improvisation. Tout est préparé, mais soumis au changement, tout le film est vivant, animé par un sentiment de découverte [...] Brando peut déployer tout son art : intuitif, enchanteur, princier »[116],[117]. Concernant l'interprétation de Maria Schneider, elle écrit :

« The role is said to have been conceived for Dominique Sanda, who couldn’t play it, because she was pregnant, but surely it has been reconceived. With Sanda, a tigress, this sexual battle might have ended in a draw. But the pliable, softly unprincipled Jeanne of Maria Schneider must be the winner: it is the soft ones who defeat men and walk away, consciencelessly. A Strindberg heroine would still be in that flat, battling, or in another flat, battling. But Jeanne is like the adorably sensual bitch-heroines of French films of the twenties and thirties—both shallow and wise. These girls know how to take care of themselves; they know who No. 1 is. Brando’s Paul, the essentially naive outsider, the romantic, is no match for a French bourgeois girl. »

— Pauline Kael[116],[117]

« On dit que ce rôle a été conçu pour Dominique Sanda, qui n'a pas pu le jouer parce qu'elle était enceinte, mais il a certainement été repensé. Avec Sanda, une tigresse, cette joute sexuelle aurait pu se terminer par un match nul. Mais la Jeanne malléable et sans principes qu'incarne Maria Schneider doit prendre le dessus : ce sont les femmes douces qui vainquent les hommes et s'en vont, sans scrupules. Une héroïne de Strindberg serait toujours dans cet appartement ou un autre, en train de se battre. Mais Jeanne est comme les adorables héroïnes sensuelles et garces des films français des années 20 et 30, à la fois superficielles et sages. Ces filles savent prendre soin d'elles-mêmes ; elles savent qui est le numéro 1. Paul, le personnage incarné par Brando, un prétendant purement naïf et romantique, n'est pas à la hauteur d'une jeune bourgeoise française. »

Sa critique souvent citée s'est avérée influente sur les évaluations ultérieures des autres critiques[73].

Tentatives de censure

Le film sort en salles en France le . La censure française autorisent le film sans imposer de coupures, mais des panneaux d'avertissement dans les cinémas attirent l'attention du public sur les scènes « délicates et sensibles ». Le président de la censure déclara faire confiance à la maturité et à l'autodétermination du public. Cependant, dans certaines villes, le film fut temporairement interdit[30],[195],[196],[197],[198].

À la mi-novembre 1972, la commission de censure italienne refuse d'autoriser la sortie du film. Le producteur Grimaldi, qui avait déjà eu des démêlés avec la censure à cause de Les Contes de Canterbury (1972) de Pier Paolo Pasolini, accepte deux coupures, dont la première étreinte fougueuse de huit secondes entre les deux protagonistes[199] ; le film peut sortir à la mi-décembre dans certaines villes. Immédiatement, un spectateur de Bologne porte plainte contre le producteur, le réalisateur et les acteurs principaux. Le tribunal constate une « représentation grossière, répugnante, naturaliste et même contre nature ». La police confisque des copies du film dans tout le pays ; les accusés sont condamnés à deux mois de prison chacun pour « pornographie »[200] et le tribunal retire ses droits civiques à Bertolucci, qui doit en outre payer 30 000 lires d'amende[201]. Cette procédure, qui n'est pas inhabituelle à l'époque, s'appuit sur des lois encore en vigueur datant de la période fasciste et suscite la résistance des cinéastes. Ceux-ci réclament la suppression de la censure cinématographique par l'État. Le maire de Parme, ville natale de Bertolucci, lui exprime sa solidarité. Bertolucci insiste sur le fait que l'œuvre ne doit pas être jugée sur la base de scènes isolées, mais uniquement dans son ensemble. Ce n'est qu'un mois et demi plus tard que le tribunal innocente l'œuvre de l'accusation d'obscénité. Le film est cependant de nouveau interdit en Italie de 1976 à 1987[34] : le , la Cour de cassation juge définitivement le film obscène, l'interdit définitivement en salle et demande la destruction des négatifs[201]. Bertolucci, condamné à quatre mois de prison avec sursis, est privé de ses droits civiques pendant cinq ans et doit rendre son passeport[202]. Des négatifs ayant été envoyés préventivement en France, le film est projeté en 1982 lors d'un festival à Rome. En 1987, un juge italien lève la censure et la sortie de la version « intégrale » du film ne provoque plus guère de remous[202].

En Allemagne de l'Ouest, le film ne sort que le . Il n'est pas censuré mais interdit aux moins de 18 ans, à l'exception des jours fériés. Le fait que Claus Biederstaedt ait doublé Brando avec une voix douce a été interprété par Der Spiegel comme une « bêtise de doublage »[34]. Le Dernier Tango est interdit au Chili, en Afrique du Sud et en Union soviétique. Les Espagnols intéressés ont contourné l'interdiction dans leur pays en organisant des voyages en car vers des cinémas français proches de la frontière. Des protestations contre le film et son autorisation par les autorités de censure ont eu lieu en Grande-Bretagne (où le film a été raccourci de vingt secondes par le British Board of Film Classification[203]) et en Australie[34],[17],[33].

Aux États-Unis, le distributeur du film, United Artists, craint que Le Dernier Tango ne soit rapproché du film pornographique Gorge profonde, et le fait que Pauline Kael ait élevé le film de Bertolucci au rang d'œuvre d'art sérieuse était très opportun. United Artists publie sa critique sous la forme d'une annonce de deux pages dans le New York Times[17]. Avant la sortie en salle début février 1973, le distributeur adopte une stratégie inhabituelle consistant à fournir aux critiques non pas un maximum, mais un minimum d'informations. Il n'invite que quelques journalistes triés sur le volet aux maigres projections de presse. En ne commentant pas les rumeurs, il parviennent à faire parler plus longtemps de la production. Au début, le film n'est projeté que dans une seule salle à New York, pour le prix élevé de cinq dollars au lieu des trois dollars habituels. « Des cris précoces - et beaucoup de chuchotements - déclenchent une ruée sur les billets d'entrée »[34],[204],[205],[206],[207].

Bouche-à-oreille et succès commercial

Bertolucci a expliqué qu'il souhaitait toucher un public plus large qu'auparavant[68], mais qu'il n'était pas préparé au succès du Dernier Tango[208]. Il a juré que son intention n'était pas de choquer, le public étant adulte et ayant le choix d'aller voir ou de ne pas aller voir le film[166]. Le succès n'est pas uniquement dû à des aspects artistiques. Les mesures de censure prises dans plusieurs pays et sa réputation scandaleuse font que le film devint partout un sujet de conversation chaud incontournable. La « danse sociale la plus impétueuse de la saison », comme l'écrit le Spiegel en Allemagne de l'Ouest[30], polarise les opinions du public. A Paris, le film affiche souvent complet malgré 39 projections quotidiennes[30],[104] Des journaux à scandale comme Bild ne manque pas l'occasion de publier au moins une douzaine d'articles en rapport avec le Dernier Tango, de décembre 1972 jusqu'après la sortie en Allemagne fin mars 1973. La plupart d'entre eux sont axés sur le sexe et le scandale, mais ne laissent pas transparaître une opinion particulière vis-à-vis du film lui-même[209]. De nombreux cinéphiles s'attendent à un film particulièrement sulfureux ; trouvant un drame sur le désespoir, ils se sentent trompés[166],[210],[17],[211]. D'autre part, à Palerme, un homme âgé aurait succombé à un infarctus pendant la projection[212].

Avec 15 623 773 entrées pour 6 957 332 000 lires de recettes[213], le film est en 2e place du box-office Italie 1972-1973 et en 6e place du film le plus populaire de tous les temps en Italie[214],[215]. En Allemagne, le film fait 5,2 millions d'entrées. En France, il fait 5 150 995 entrées, dont 1 851 791 à Paris, ce qui en fait le 3e film du box-office France 1972[216]. Le film rapporte environ 50 millions de dollars dans le monde[217],[218], dont 16 millions aux États-Unis[23],[24]. Au moins 4 millions ont probablement été versés à Brando et ont permis de résoudre ses problèmes financiers[125].

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Critiques contemporaines

Les jugements critiques se divisent généralement en deux camps. D'un côté, il y a l'enthousiasme face à un film événement sensationnel et une œuvre artistiquement exceptionnelle et libératrice qui doit jouir de la liberté d'expression. De l'autre, l'indignation, l'accusation d'obscénité dégradante, souvent liée à un appel à la censure[219],[220]. Dans la discussion, la question du sexe prédominent sur le message et la sens, les forces et les faiblesses du film[34],[221]. Ces deux positions rendent difficile pour ceux qui ne verront le film que plus tard de le regarder sans préjugés et de se faire leur propre opinion. C'est particulièrement vrai en Allemagne de l'Ouest, où le film est sorti plusieurs mois après l'Italie et la France[93].

Le Spiegel recommande le film en tant qu' « une œuvre à voir, d'un brio indéniable »[30]. Cinéma 73 écrit que « La caméra se vante de morceaux de bravoure, mais toujours avec intelligence, car elle définit l'espace et le temps avec une précision diabolique ». On loue les couleurs et les tons qui rappellent les meilleures œuvres de Visconti : « Il est seulement dommage que dans une œuvre aussi remarquable, Léaud se traîne dans les rues avec l'expression impassible d'un zombie paranoïaque »[222]. Positif est du même avis : « Le peu qui sépare Dernier Tango d'un très grand film, ce sont des insuffisances, ou plutôt l'insuffisante épure du personnage de Léaud : sa fébrilité stéréotypée, surchargée, contredit l'allure mesurée du film »[31]. Le Figaro reconnaît à Bertolucci un brio de mise en scène et estime que « Bertolucci fait ce dont Pasolini est incapable. Son talent va au-delà de la vulgarité »[223]. De même, pour Le Monde : « Bertolucci va si loin qu'il frôle parfois la pornographie. Mais son talent le sauve ». Sur la révélation de la personnalité intime de Brando : « Cette sorte de viol auquel nous assistons est le secret de la fascination qu'exerce le film. [...] Qu'on l'aime ou non — et beaucoup ne l'aiment pas — on ne peut nier la force magnétique de cette œuvre »[224]. On prédit à cette œuvre le même avenir que L'avventura (1960) et L'Année dernière à Marienbad (1961) : D'abord simple objet de scandale, le film sera plus tard reconnu à sa juste valeur[225].

Les opposants à l'œuvre ont souvent soupçonné qu'il s'agissait de pornographie déguisée en art. Le Stern y voit « des scènes de sexe agressives et animales, d'une immédiateté et d'une absence d'inhibition jamais vues auparavant, et face auxquelles les films pornographiques courants ressemblent à un promenade de santé »[226]. Le Canard enchaîné est d'avis que Brando joue un abruti commandé par sa bite. Alors que Bertolucci reste flou sur le plan thématique, les images sont sans équivoque[227]. Une critique trouve le film humiliant et parle de l'actrice « Schneider à qui sa fourrure naturelle tient lieu de talent »[228]. La rhétorique libératrice des défenseurs du film suscite chez Jean Cau à Paris Match la réplique suivante : « En ce qui concerne les aspects libérateurs et révolutionnaires, je souhaite, pour preuve, que le film ne manque pas son accueil enthousiaste à Hanoï, Pékin, Moscou et La Havane ; tous des pays libérés de systèmes politiques oppressifs comme le nôtre »[229].

La journal catholique Film-Korrespondenz émet une critique mitigée. Elle trouve le film assez américain : « Le pessimisme dans la suggestion du repli sur la position "de toute façon, le monde est foutu, je vis comme je peux", confère à cette œuvre une structure superficielle, pour ne pas dire banale, qui correspond à bien des égards à la position des intellectuels américains d'aujourd'hui ». Le réalisateur veut trop en faire et se permet des simplifications freudiennes, mais il a de grandes qualités narratives : « Il ne reste en fait de ce film que la sincérité de la représentation de mondes très personnels, un talent dramaturgique inhabituel et une méthode de travail de très haut niveau qui s'adapte de manière créative aux personnages »[136]. L'Express prévient : il faut se méfier du titre trompeur qui suscite l'attente d'une admirable scène de tango comme celle du Conformiste : « Quelques jolis moments. Beaucoup de moments forts. Une liberté sexuelle qui est une autre forme de servitude »[142]. L'avis de Film Quarterly est également mitigé. Le film a une compréhension trop étroite de ce que les gens peuvent s'offrir en amour pour être un grand film. Il montre brillamment comment les valeurs bourgeoises déforment l'être humain, même si Jeanne est un personnage trop superficiel pour représenter les femmes. Mais il est visuellement complexe et passionné[73].

Certaines publications évitent de prendre position. La revue Filmkritik s'abstient de porter un jugement et se contente de reproduire diverses explications de Bertolucci[66]. Le critique Pascal Bonitzer compare dans les Cahiers du cinéma les trois films scandaleux que sont Le Dernier Tango à Paris, La Maman et la Putain (1973) et La Grande Bouffe (1973) et regrette l'absence de critique marxiste-léniniste pour trois films qui sont somme toute des « films d'intérieur » ayant pour sujet la « dégradation de la personne humaine » et qui congédient complètement la lutte des classes :

« L'égoïsme. Tous ces personnages s’enferment : en apparence, mise à l’écart du monde, attitude de repli mortel, sacré, tragique. [...] En réalité, les personnages ne font que pousser à son comble le mode de vie cloisonné et répétitif de la bourgeoisie (la répétition est aussi un trait commun de mise en scène de ces trois films [...] ils tirent leur force de produire un point de vue double, un sujet clivé, le dérisoire-comique-sordide étant aussi sublime-tragique-lumineux ; Dieu est un porc et inversement. Si l’on n’adopte pas un point de vue de classe sur cette métaphysique du «double», sur le contenu idéologique de ces fictions, on peut parfaitement se satisfaire de cette fausse dialectique très à la mode. La petite-bourgeoisie intellectuelle se rassure ainsi — en désignant métaphoriquement la mort et la pourriture de la bourgeoisie à partir d'un point d'excès "impossible", — sur sa propre pérennité transhistorique : elle maîtrise le « deux » qui divise l’un, la contradiction dans le formalisme du « geste double ». Mais elle ne peut se conforter dans l'illusion de cette maîtrise qu’à oublier son caractère de classe, c’est-à-dire sa position dans les rapports de production d'où procèdent tous les gestes (de consommation, de déjection, de loisirs divers) par lesquels elle tente de saisir son identité en dehors de la pratique sociale, au-dessus (ou au-dessous) des classes, dans un pur cosmos à l'image étriquée de l’univers bourgeois et petit-bourgeois. Ce qui veut dire qu'il lui faut refouler, de l'image qu’elle donne du monde, le monde du travail, c’est-à-dire des travailleurs, dont la pression, la lutte, la volonté de prendre de plus en plus de pouvoir, et bientôt celle de prendre le pouvoir (perspective que la petite-bourgeoisie intellectuelle pressent mais qu'elle vit, à travers de telles œuvres du moins, comme fin de l’histoire, crépuscule), donnent seules un sens à cet enfermement, à ce repliement étriqué que l’on veut magnifier comme consumation, dépense, excès. Nous voulons dire qu’en dernière analyse, ce ne sont pas les personnages de ces films qui sont étriqués, castrés, sinistres, mais la conception du monde, le « sujet » si l'on veut, que ces films reflètent. »

— Pascal Bonitzer[230]

Certains de ses collègues réalisateurs se sont également exprimés. Pier Paolo Pasolini n'apprécie pas le film de son ancien élève Bernardo ; le sexe y étant selon lui plus oppressant que créatif[17] ; il considère que le choix d'engager Brando constitue une trahison au profit du cinéma commercial bourgeois. Pourtant, pendant le tournage de son film Salò ou les 120 Journées de Sodome (1975), il se vante que son film est plus choquant que Le Dernier Tango. Jean-Luc Godard est présent à la sortie parisienne et quitte la salle au bout de dix minutes parce qu'il trouvait le film horrible[14]. Robert Altman découvre l'extrême honnêteté cinématographique et fait du Dernier Tango sa référence pour tous les films, passés et futurs[17].

Critiques portant sur le rapport homme-femme dans le film

Lorsque Bertolucci scénarise Le Dernier Tango, il vient de se séparer de Maria Paola Maino avec laquelle il partageait sa vie depuis cinq ans[17]. Plusieurs critiques soupçonnent Bertolucci d'avoir développé une haine viscérale des femmes et de la famille à cause de ses querelles personnelles avec Maino à propos de la pension alimentaire et de la garde des enfants[125]. Le film est immédiatement attaqué par des féministes, dont certaines demandent son interdiction[14]. Bertolucci répond qu'il s'agirait selon lui d'une réaction beaucoup trop instinctive. L'œuvre traiterait directement du machisme et les jugements moraux ne l'intéresseraient pas. D'ailleurs, le film traumatiserait davantage les hommes que les femmes parce qu'il remet en question la masculinité[231],[232]. Des critiques se sont ralliées à cette lecture : Paul serait à la fois une manifestation extrême du machisme et un exemple de son échec, ce qui rendrait difficile une critique féministe[233].

Le scepticisme prédomine toutefois en ce qui concerne les représentations des sexes. Paul-Louis Thirard écrit dans Positif en 1973 que dans la mentalité collective, les rapports entre partenaires de même valeur, sans dominant ni dominé, sont encore assez inhabituels. Le fait que Paul se laisse pénétrer par Jeanne n'est qu'une inversion des rôles entre le dominant et le dominé. Bertolucci rejette complètement l'idée de l'amour égalitaire et la caricature de surcroît de manière sordide dans le personnage de Léaud[219]. Jeanne tente certes d'échapper à la domination de l'homme sur la femme, mais elle est en même temps attirée par elle[51]. Le film critique et affirme à la fois la passivité féminine face à la puissance masculine[234]. Le film aurait en commun avec les films pornographiques standards que plus la femme se soumet aux désirs sexuels de l'homme, plus elle se libère et peut découvrir sa véritable nature[235]. On a reproché à la critique Pauline Kael, après son article enthousiaste sur le film, d'avoir consommé l'œuvre à un faible niveau de conscience, de ne pas avoir reconnu le véritable sujet du film et d'avoir trop bien réagi aux scènes de soumission de la femme par Brando[70].

Le monologue de Paul devant la dépouille de Rosa construit une image de la femme comme une énigme, mais aussi comme un être qui agit sournoisement contre les hommes. Paul, le rebelle de la contre-culture, humilie Jeanne en tant que représentante de la bourgeoisie ; Bertolucci maintient ainsi l'humiliation sociale des femmes. Jeanne ne participerait pas à sa rébellion, même lorsqu'elle le tue à la fin, parce qu'elle est l'exécutrice des normes sociales[70]. Le film montre à quel point le patriarcat a un effet destructeur sur les personnages. La critique du patriarcat est toutefois présentée du point de vue de Paul. Il est le porteur de la souffrance et le principal personnage mélodramatique, et la souffrance masculine est glorifiée. Cela limite la validité générale de la critique du patriarcat[70],[234]. Toute référence à la souffrance des femmes doit être recherchée en dehors du scénario du film, par des spectateurs dotés d'une empathie que Bertolucci ne possèderait pas[234].

Le personnage de Jeanne est perçu comme un être sans envergure[14]. Un déséquilibre résulte également de l'association d'une jeune actrice avec une vedette confirmée, à laquelle Bertolucci attribue le tragique de l'histoire. Michael Althen décrit cela de la manière suivante :

« Was er (Brando) spielt, ist natürlich die Tragödie eines lächerlichen Mannes, aber wie er es spielt, wird daraus das Drama des begabten Kindes, früh gealtert, nie erwachsen geworden. Dabei ist das wahrhaft begabte Kind in diesem Film seine Partnerin Maria Schneider, von der man zwar nicht behaupten kann, dass sie übersehen worden wäre, aber deren Beitrag zum Tango hartnäckig unterschätzt worden ist. »

— Michael Althen[236]

« Ce qu'il (Brando) joue est bien sûr la tragédie d'un homme ridicule, mais la façon dont il le joue en fait le drame de l'enfant doué, vieilli prématurément, jamais devenu adulte. Dans ce film, le véritable enfant doué est sa partenaire Maria Schneider, dont on ne peut pas dire qu'elle ait été négligée, mais dont la contribution au Tango a été obstinément sous-estimée. »

Elle reste longtemps entièrement nue devant la caméra, il est presque toujours habillé, son sexe n'est jamais visible. La critique féministe comprend cela comme une expression de pouvoir[237],[238]. Pour Bertolucci, la nudité de Jeanne a quelque chose d'enfantin, et Paul lui semble plus paternel dans ses vêtements ; il souhaite ainsi souligner la relation œdipienne des personnages[17],[239]. Il affirme ne pas avoir utilisé les plans existants du pénis de Brando dans la version finale, car il s'identifiait tellement à Brando/Paul qu'il aurait eu honte, comme s'il se montrait lui-même nu[17].

Critiques ultérieures

Les auteurs qui traitent du Dernier Tango à Paris dans le cadre de monographies de Bertolucci et qui le placent dans la lignée de ses œuvres antérieures et postérieures, évaluent le film de différentes manières. Robert Ph. Kolker conclut en 1985 son ouvrage Bernardo Bertolucci ainsi :

« Es ist vielleicht sein emotional-gehaltvollstes Werk, doch die Gefühle gehen nicht auf Kosten einer durchdachten, komplexen Form [...] Der Film nimmt eine Ideologie- und Figurenanalyse vor und reflektiert sich in einer sehr bewegenden Form selbst. Damit zwingt er den Zuschauer, für Dinge aufmerksam zu sein, für welche die Figuren blind sind. Gleichzeitig erschwert er diese Aufmerksamkeit; er ist zugleich verführend und abweisend, lädt zum Eintauchen ein und verweigert es. Bertolucci drückt in Gedanke und Gefühl eine Intensität aus, die er weder zuvor noch danach je wieder erzielt hat. »

— Robert Ph. Kolker[240]

« Il s'agit peut-être de son œuvre la plus riche en émotions, mais les sentiments ne se transmettent pas au détriment d'une forme réfléchie et complexe [...] Le film procède à une analyse de l'idéologie et des personnages et est auto-réflexif d'une manière très émouvante. Il oblige ainsi le spectateur à être attentif à des choses auxquelles les personnages sont aveugles. En même temps, il rend cette attention difficile ; il est à la fois séduisant et repoussant, il invite à l'immersion et la refuse. Bertolucci exprime dans la pensée et l'émotion une intensité qu'il n'a sinon jamais atteinte, ni avant ni après. »

T. Jefferson Kline estime en 1987 que le génie du film réside dans la réunion de plusieurs niveaux de lecture en une seule œuvre : le niveau mythique de la légende d'Orphée, le niveau psychanalytique et le niveau du métacinéma. « En se concentrant sur l'intrusion compulsive de Paul dans le corps de Jeanne et sur l'aspiration délirante de Tom à filmer Jeanne, Bertolucci fait prendre conscience aux spectateurs de leur propre rôle de voyeurs »[90]. A l'inverse, Claretta Micheletti Tonetti estime en 1995 que « le Dernier Tango manque de substance ; un style visuel raffiné mais inquiétant remplace l'exploration des personnages et des circonstances ». Avec son érotisme de transgression solitaire, l'œuvre témoignerait de son époque et serait un précurseur d'autres films à l'érotisme sourd et sans âme, qui se suffisent à eux-mêmes[69].

Dieter Kuhlbrodt met en 1982 l'accent sur la forme : « Ce que Bertolucci tente avec Le dernier tango, c'est l'approche obsessionnelle d'un public habitué à voir des films hollywoodiens et à voir aussi une vedette hollywoodienne - mais un film dans lequel les habitudes visuelles bourgeoises sont bouleversées. [...] Bertolucci a trouvé un langage dont l'immédiateté a manifestement fait tomber radicalement les barrières habituelles de la communication. Le film est aussi direct que les tableaux de Francis Bacon »[120]. Plusieurs auteurs indiquent que ce film marque un tournant dans l'œuvre de Bertolucci. Dans ses premières œuvres, Bertolucci s'orientait vers le modèle d'un film expérimental sans compromis, qui attaquait les valeurs d'une société capitaliste, tant sur le fond que sur la forme. Peu à peu, il s'est orienté vers une approche accessible et agréable pour le grand public. Sur le plan formel, il a abandonné les figures de style radicales, est revenu à une narration linéaire et a introduit des éléments mélodramatiques. Sur le plan du contenu, il a relégué les thèmes politiques à l'arrière-plan et s'est focalisé sur le niveau individuel et psychologique. Malgré l'abandon du cinéma d'avant-garde, le film invite le spectateur à réfléchir sur la façon de regarder un film et sur la dimension politique des sentiments privés[241],[242],[243]. Yosefa Loshitzky constate ainsi en 1995 qu'en plus des personnages, Bertolucci subit lui aussi une régression progressive vers les formes narratives traditionnelles du médium. L'œuvre agit comme un film postmoderne progressif, car elle se déplace à l'intérieur de ces formes, uniquement pour montrer au public qu'elles ne sont plus tenables[244].

Le Dernier Tango à Paris est devenu un film symbole des années 1970[245], alors que la société occidentale et ses valeurs étaient en pleine mutation. Le film a fait avancer la levée des tabous sur la sexualité, tout en la tournant de manière pessimiste vers la tragédie[246]. Quelques mois après, il a été suivi par La Grande Bouffe, dont on a dit qu'il dépassait le Tango en termes d'effet de choc[247], puis par Portier de nuit (1974) et L'Empire des sens (1976), qui ont à leur tour dû faire face à des mesures de censure.

Distinctions

Marlon Brando et Bernardo Bertolucci sont nommés en 1974 pour l'Oscar du meilleur acteur et du meilleur réalisateur. Brando remporte aux États-Unis le prix de la National Society of Film Critics ainsi que le prix du New York Film Critics Circle ; Bertolucci est nommé pour le Golden Globe du meilleur film dramatique et remporte le Ruban d'argent de la réalisation du meilleur film du Syndicat national des journalistes cinématographiques italiens. Maria Schneider remporte une mention spéciale à la 18e cérémonie des David di Donatello[248]. Le film a également été récompensé par l'Écran d'or en Allemagne en 1974.

Postérité

Le Dernier Tango donne lieu à de nombreux films pornographiques parodiques, à des bandes dessinées et à d'autres adaptations. Le film fait également l'objet d'une blague selon laquelle il aiderait la CEE à se débarrasser de ses montagnes de beurre (it), le surnom d'une surproduction chronique de beurre en Europe au début des années 1970[249]. Comme le film n'est pas adapté d'une œuvre littéraire qui aurait pu profiter de son succès, le distributeur demande à un auteur d'écrire un roman[250]. Cette mise en roman du film est écrite par l'auteur américain Robert Alley, sort en 1973 et sort en poche en France en 1975[251].

Maria, de Jessica Palud

En 2024, Jessica Palud réalise le film Maria, d'après le « roman[252] » de Vanessa Schneider (journaliste au Monde et cousine de l'actrice[253]), Tu t’appelais Maria Schneider[254]. Le film traite du tournage traumatisant du Dernier tango à Paris et des conséquences qui s'ensuivent pour l'actrice[255],[256], dont la plongée dans la toxicomanie.

Projection à la Cinémathèque française

L'annonce de la projection du film à la Cinémathèque française en 2024 déclenche une polémique à laquelle prennent part plusieurs personnalités et associations féministes[253]. Plus que la programmation du film, c'est l'absence de médiation autour de l'événement qui fait débat[253]. La présentation de l'événement par la Cinémathèque, qui qualifie le film d'« objet de scandale », ayant conservé son « odeur de soufre » est jugée désinvolte par certains, qui demandent que l'institution contextualise l'œuvre et explique les violences sexuelles commises sur le tournage[253]. Face à la polémique la projection est annulée, ce qui ne satisfait pas certaines associations qui jugent que la Cinématheque détourne l'attention du problème soulevé[253]. En janvier 2025, le président de la Cinémathèque française, Costa-Gavras, reconnait une erreur : « Le film aurait dû faire l’objet d’une présentation de séance très détaillée, car [il a eu] des conséquences graves, indiscutablement, sur la vie de Maria Schneider »[257].

Notes et références

  1. Anne-Charlotte de Langhe et Aude Vernuccio, « Le cinoche à la trace », in Le Figaroscope, semaine du mercredi 10 au 16 avril 2013, page 6.
  2. « Le Dernier Tango à Paris », sur lemonde.fr, .
  3. Marie-Christine Vincent, François de Saint-Exupéry, Paris vu au cinéma, Movie planet, , p. 237.
  4. Gérard Camy, Alain Riou, 50 films qui ont fait scandale, Corlet-Télérama, , p. 109.
  5. Bernardo Bertolucci a toujours précisé qu'il s'agissait de Dernier Tango à Paris et non d'un tango désigné comme « le (un) dernier tango à Paris », cette importante nuance apportant au film, grâce à son vrai titre, une nouvelle dimension tragique et non anecdotique comme pouvait le laisser supposer le titre avec « le »[réf. nécessaire].
  6. « Le Dernier Tango à Paris » (présentation de l'œuvre), sur l'Internet Movie Database.
  7. Tonetti 1995, p. 122-141.
  8. Hopf 1973, p. 9.
  9. Althen 2004, p. 241-244.
  10. Thomson 2012, p. 375.
  11. Vincent Quivy, Jean-Louis Trintignant. L'inconformiste, Seuil, , p. 127
  12. Bertolucci dans un entretien avec Positif, n° 424, juin 1996, p. 29
  13. Nuytten et July, 4e min..
  14. Nuytten et July.
  15. Manso 1994, p. 724-729.
  16. Manso 1994, p. 730-167.
  17. Newsweek du 12 février 1973, p. 54-58.
  18. Nuytten et July, 6e minute.
  19. Manso 1994, p. 735.
  20. Hopf 1973, p. 9-10.
  21. Nuytten et July, 7e min..
  22. Manso 1994, p. 735-736.
  23. Shipman 1990, p. 258.
  24. Manso 1994, p. 736.
  25. Hopf 1973, p. 11.
  26. Manso 1994, p. 740.
  27. Hopf 1973, p. 105-109.
  28. Sight and Sound, été 1972, p. 146
  29. Manso 1994, p. 737, 760.
  30. (de) « Sonderwünsche in der Altbauwohnung », sur spiegel.de
  31. Gérard Legrand : La dernière fois que j'ai vu Hollywood. Sur Le dernier tango à Paris. Dans : Positif, mars 1973, p. 22-26.
  32. Sight and Sound, été 1972, p. 148
  33. Shipman 1990, p. 266.
  34. (de) « Ein Tango - nicht für den Karfreitag », sur spiegel.de
  35. Taubman 1981, p. 1318–1321.
  36. Hopf 1973, p. 17.
  37. Positif de mars 1973, p. 33.
  38. Hopf 1973, p. 18.
  39. Manso 1994, p. 739.
  40. Nuytten et July, 1re minute.
  41. Manso 1994, p. 730, 767.
  42. Bertolucci, cité dans : L’Avant-Scène Cinéma, février 1973, p. 54-55.
  43. Lieux de tournage par film : Le Dernier Tango à Paris sur l2tc.com.
  44. Mellen 1973, p. 9.
  45. Rice 1974, p. 157.
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    « Cette scène n’apparaissait pas dans le scénario original. La vérité, c’est que c’est Marlon qui en a eu l’idée […]. Ils ne m’en ont parlé qu’avant que l’on doive tourner la scène. J’étais furieuse. J’aurais dû appeler mon agent ou faire venir mon avocat sur le plateau, parce qu’on ne peut pas forcer quelqu’un à faire quelque chose qui ne figure pas dans le scénario. Mais, à l’époque, je ne le savais pas. Marlon m’a dit, “Maria, ne t’inquiète pas, ce n’est qu’un film”, mais pendant la scène, même si ce que faisait Marlon était simulé, mes larmes étaient réelles. Je me suis sentie humiliée et, pour être honnête, je me suis sentie un peu violée tant par Marlon que par Bertolucci. Après la scène, Marlon ne m’a pas consolée et ne s’est pas excusé. Heureusement, il n’y a eu qu’une seule prise. »

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Voir aussi

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Filmographie

Liens externes

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