Léonore, ou l’Amour conjugal
ou l'Amour conjugal
| Genre | opéra-comique |
|---|---|
| Nbre d'actes | 2 |
| Musique | Pierre Gaveaux |
| Livret | Jean-Nicolas Bouilly |
| Langue originale |
français |
| Création |
Paris, Théâtre Feydeau |
Léonore, ou l’Amour conjugal est un opéra-comique composé par Pierre Gaveaux sur un livret de Jean-Nicolas Bouilly, créé au Théâtre Feydeau à Paris le 19 février 1798[1]. Par son argument, il appartient au sous-genre « opéra à sauvetage ». Sous-titrée « fait historique[2] » l’œuvre a soulevé la question (désormais résolue) de savoir si son argument provenait d’un fait historique réel ou s’il relevait de la fiction.
Personnages
| Personnages | Tessiture | Interprète à la création |
|---|---|---|
| Dom Fernand, Ministre et Grand d’Espagne | Basse-taille | Cen Dessaules |
| Dom Pizare, Gouverneur d’une prison d’État | 2e haute-contre | Cen Jausserand |
| Florestan, prisonnier | 1re haute-contre | Cen Gaveaux |
| Léonore, épouse de Florestan, et porte-clé sous le nom de Fidélio | 1re amoureuse | Cene Scio |
| Marceline, fille de Roc | 2e amoureuse | Cene Camille |
| Roc, geôlier | Basse-taille | Cen Juliet |
| Jacquinot, guichetier et amoureux de Marceline | Trial[3] | Cen Le Sage |
| Prisonniers, hommes de tout âge | ||
| Suite de Dom Fernand | ||
| Gardes, peuple |
Orchestre
Deux flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons, 2 trompettes, 2 trombones, timbales, cordes.
Argument
L'intrigue principale du livret prend la forme d’un « opéra à sauvetage » : elle met en scène une noble espagnole (Léonore) qui se déguise en homme (Fidélio) pour être engagée dans une prison où son mari (Florestsan) est injustement emprisonné sur ordre du maléfique Pizare. Elle gagne la confiance du geôlier Roc et descend avec lui dans le cachot où Florestan est sur le point d'être tué. Au moment ultime, elle dégaine une arme qu'elle avait cachée sur elle et libère Florestan. Dom Fernand, le ministre bienveillant, arrive et ordonne le châtiment de Pizare. Une intrigue secondaire concerne l'amour persistant mais non partagé de Jacquino pour Marceline, fille de Roc et blanchisseuse des prisonniers, qui est amoureuse de « Fidélio » et souhaite l'épouser.
L’histoire de Léonore : réalité ou fiction ?
Certains indices laissés par le librettiste Bouilly pouvaient laisser penser que l'histoire de Léonore était inspirée d'un fait historique réel. D'une part, le livret publié était sous-titré « fait historique ». D'autre part, dans ses mémoires publiés en 1836-1837, le librettiste décrivait l'origine de sa pièce comme un « sublime acte d'héroïsme et de dévouement d'une dame de Touraine, dont j'ai eu la chance de soutenir les efforts généreux », laissant croire qu'il s'agissait d'un fait réel[4].
Cependant, en 1884, Ernst Pasqué[5] publia dans un journal à grand tirage allemand une nouvelle (Erzählung) écrite dans le style d’un roman populaire, plein de péripéties, d’emphase et de dialogues vivants dans laquelle il imaginait ce qu’aurait pu être cet incident[6]. L’auteur inventait le nom des protagonistes (le comte René de Semblançay et son épouse Blanche) et imaginait plusieurs autres personnages, mêlés à certains personnages historiques. Il ne prétendait nullement qu’il s’agissait d’un fait véridique, mais il poussait l’illusion jusqu’à déclarer que Bouilly aurait repris cette histoire pour satisfaire la cantatrice Julie-Angélique Scio[7], qui réclamait des livrets dramatiques à sa mesure. Ce texte manifestement fictif établissait clairement l’origine inventée de l’histoire de Léonore et aurait suffi à exclure toute interprétation contraire s’il avait été connu. Cependant, si tôt publiée, la nouvelle fut oubliée.
En 1921 l’histoire inventée par Pasqué fut reprise, mais dans une présentation diamétralement opposée. En effet, dans une revue musicale savante, Adolph Brockmann jr reprit la nouvelle de Pasqué et déclara que l’intrigue « n'est en aucun cas le fruit de l'imagination poétique, mais est basée sur une histoire vraie »[8].
Brockmann simplifia considérablement l’intrigue et réduisit le nombre de protagonistes. Curieusement, Brockmann identifia Pasqué comme auteur de l’histoire, sans toutefois donner la référence à la source, privant ainsi le lecteur de la possibilité de consulter l’original et contribuant à laisser la nouvelle dans l’oubli[9]. On ne sait ce qui a poussé Brockmann à présenter la fiction de Pasqué comme un fait réel, mais depuis cette date, le mythe est répété dans de nombreux textes, commentaires de représentations de Fidelio[10]ou articles de musicologie[11].
Au cours des années suivantes, quelques rares chercheurs ont émis des doutes sérieux sur le mythe. Les plus importants sont Helmut Jacobs[12]qui, en particulier, signale l’aspect ambigu de l’expression « fait historique[13] » et David Galliger[14], ce dernier mettant en lumière le caractère affabulateur de Bouilly.
Ce n'est qu'en 2020, lorsque le texte original de Pasqué fut « redécouvert » que l'on a pu constater l'origine fictive de l'histoire de Léonore[15]. Le caractère fictif l’histoire se trouve également confirmé par des recherches récentes qui établissent que les protagonistes n’ont jamais existé : on n’en trouve aucune mention dans les archives départementales de l’Indre-et-Loire où ils sont censés avoir vécu, ni dans les histoires de la guerre de Vendée dans lesquelles le comte aurait dirigé les troupes rebelles, ni aucune mention du couple dans les sites généalogiques disponibles sur l’Internet[16].
Histoire de l’œuvre
Léonore, ou l’Amour conjugal fut créé au Théâtre Feydeau le 19 février 1798. Angélique Scio chantait le rôle-titre et Gaveaux interprétait Florestan. L’œuvre connut un certain succès, si on en juge par le nombre de représentations qui ont suivi la première : 47 au théâtre Feydeau en 1798-1799, puis des reprises en 1802 et 1803[17]. Les comptes rendus louangeurs de l’époque insistent autant sur le savoir-faire de Bouilly que sur le talent de Mme Scio[18]. L’œuvre connut également un certain retentissement international, car peu après sa création, Ferdinand Paër mit en musique le même livret, librement traduit en italien. La première représentation de cette version intitulée Leonora, ossia L’amore coniugale eut lieu en 1804 à Dresde, la première à Vienne, dans une traduction allemande, en 1809[19]. Une autre Leonora italienne fut composée par Johann Simon Mayr et créée en 1805 à Padoue sous le titre L'amor conjugale[20]. Enfin, le texte de Bouilly fut traduit en allemand et adapté par Joseph Sonnleithner et proposé à Beethoven, qui composa sur ce texte la première version de son unique opéra Fidelio, sous le titre de Leonore (1805).
La première américaine de l’œuvre fut donnée à Washington et New York en 2017 par la compagnie Opera Lafayette[21].
Notes et références
- ↑ Jean-Claude Yon, « Aux Origines de Fidelio : la Léonore de Bouilly et Gaveaux au Théâtre Feydeau », Le Fidelio de Beethoven, Transferts, circulation, appropriation (1798-xxie siècle), Villeneuve-d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2024, p. 34.
- ↑ « Fait historique en deux actes et en prose mêlée de chants » (page titre de l’édition du livret publié chez Barba de 1799), et « Fait historique espagnol en deux actes » (page titre de l’édition orchestrale, publiée chez les Frères Gaveaux, s.d.)
- ↑ Ténor comique ainsi nommé par référence à Antoine Trial ; voir Arthur Pougin, Dictionnaire historique et pittoresque du théâtre et des arts qui s'y rattachent, Paris, 1885, p. 328 [Gallica].
- ↑ Jean-Nicolas Bouilly, Mes Récapitulations, Paris, 1836-1837, 3 volumes, vol. 2, Deuxième Époque, p. 81.
- ↑ Ernst Pasqué (1821-1892) était un bariton allemand qui étudia à Paris entre 1839 et 1844 environ et qui de retour en Allemagne, devint un écrivain prolifique (voir « Pasqué, Ernst », K. J. Kutsch et Leo Riemens, Großes Sängerlexikon, quatrième édition augmentée et mise à jour, vol. 5, Menni-Rappold, K-G.Saur, Munich, 2003, p. 3548-3549).
- ↑ « Das Urbild des Fidelio, Erzählung von Ernst Pasqué », Die Gartenlaube, Illustrirtes Familienblatt, 1884, no 47, p. 765-767, 781-784, 797-803, 826-828 ; voir Louis Forget, The Leonore Story, or, the Power of Imagination p. 9-13 et Annexe I (voir également cette source pour l'ensemble de cette section) ; depuis 2022, le texte original de Pasqué est disponible sur Wikisource.
- ↑ Julie-Angélique Scio (1768-1807) était une soprano célèbre qui avait triomphé dans le rôle-titre de Médée de Cherubini en 1797 au Théâtre Feydeau. En février 1798, elle interpréta le rôle de Léonore lors de la création de Léonore ou l'Amour conjugal (Partick Taïeb, « Madame Scio (1770-1807) », Hervé Lacombe (sous la dir. de), Histoire de l’opéra français—Du Roi-Soleil à la Révolution, Fayard, 2021, p. 1060.
- ↑ A. Brockmann jr, « Ludwig van Beethovens Leonore », Zeitschrift für Musik, 88, 1921, p. 60-61.
- ↑ Forget, supra, note 8, p. 14.
- ↑ Voir par exemple, Opéra de Tours, 2010 (« Monter l’œuvre en terre tourangelle revêt un caractère spécial : l’héroïne a réellement existé : elle fut originaire de Tours, osant délivrer son époux des geôles de la Terreur. De son vrai nom, Blanche de Semblançay réussit effectivement à obtenir la liberté pour celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. » ; Opera North 2020, Fidelio in an Nutshell « Fidelio is inspired by a true story from the French Revolution. »
- ↑ Voir par exemple, Winton Dean, « Beethoven and Opera », Paul Robinson, éd., Ludwig van Beethoven, Fidelio, Cambridge University Press, 1996, p. 29 ; Attila Csampsai, Sarastros stille Liebe: Ein Opern-Lesebuch, Salzburg, Jung und Jung, 2001, p. 19.
- ↑ Helmut C. Jacobs, « Jean-Nicolas Bouilly (1763-1842) und die Genese des Leonorenstoffes. Léonore, ou L’Amour conjugal als Fait historique der Revolutionszeit », Archiv für Musikwissenschaft, 48e année (1991).
- ↑ L’expression « fait historique », très répandue à cette époque ne signifiait pas nécessairement que l’œuvre était basée sur un fait réel, mais plutôt que l’intrigue pouvait être présentée comme telle, afin d’en tirer des leçons morales (voir Helmut C. Jacobs, supra, note 14, p. 207-208, qui renvoie à S[uzanne] J. Bérard, « Une curiosité du théâtre à l’époque de la Révolution, les ‘Faits historiques et patriotiques,’ », Cahiers d’histoire des Littératures Romanes, III, 1979, p. 250 : « … la qualification [de fait historique] est particulièrement ambiguë : dans la pratique, chacun cherchant à attirer un public très sensible à cette sorte d'inscription dans le réel, on qualifie de fait historique à peu près n'importe quoi, pourvu que le fait se soit réellement passé, ou que l'auteur l'affirme » (p. 251).
- ↑ David Galliver, « Léonore, ou L'Amour conjugal, a celebrated offspring of the Revolution », Music and the French Revolution, édité par Malcolm Boyd (Cambridge, 1992), p. 157-168.
- ↑ Forget, supra, note 8, p. 9-13.
- ↑ Ibid., p. 15.
- ↑ Jean-Claude Yon, op. cit, note 1, p. 34.
- ↑ Ibid, p. 35-36.
- ↑ Willy Hess, Das Fidelio-Buch, Beethovens Oper Fidelio ihre Geschichte und ihre drei Fassungen, Zürich, Atlantis, [1953], p. 40.
- ↑ Ibid.
- ↑ Cette production a fait l’objet d’un DVD publié par Naxos : https://www.naxos.com/CatalogueDetail/?id=2.110591.
Liens externes
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