Isaac Schneersohn

Isaac Schneersohn
Biographie
Naissance
Décès
Nom de naissance
Isaac Schneersohn
Nationalités
Activités
Père
Shneur Zalman Schneersohn (d)
Fratrie
Fishl Sheneʼurson (d)
Autres informations
Distinction

Isaac Schneersohn (Kamianets-Podilskyï, le ou 1881 - Paris 16e, le )[1], est un rabbin et industriel juif de Russie, arrivé en France après la Révolution russe. Il est surtout connu pour son travail d'archiviste, initié à Grenoble en 1943, c.-à-d. au cœur de la Seconde Guerre mondiale, afin de documenter les persécutions contre le peuple juif qui menacent d'en effacer jusque l'existence.

Son centre de documentation, relocalisé dans le quartier du Marais après la Libération, devient le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC). Il en conserve la direction jusqu'à sa mort, et sera le rédacteur en chef de sa Revue.

Biographie

Né à Kamenetz-Podolsk en 1879[2] ou en 1881[3], au sein de dynastie hassidique Habad-Loubavitch, Isaac Schneersohn devient rabbin à l'âge de seize ans et demi[4], et officie comme rabbin de la couronne (en) à Gorodnia puis à Chernigov.

Il s'éloigne progressivement du milieu hassidique pour embrasser les affaires et la politique, influencé par la Haskala, mouvement de modernisation intellectuelle juive. Dans une Russie tsariste marquée par les pogromes et le numerus clausus limitant l'accès des Juifs à l'université, il rejoint le parti constitutionnel démocratique, convaincu de pouvoir servir plus efficacement les droits civiques des Juifs. Il siège alors comme maire adjoint de Riazan et membre du conseil municipal[5],[6].

Fuyant les bouleversements de la révolution russe, Isaac Schneersohn s'installe en France en 1920[2],[6]. Naturalisé, il devient administrateur délégué de la Société anonyme de Travaux métalliques (SATM), sise 10 rue Marbeuf à Paris[7]. Parallèlement, il tient un salon, fréquenté par de nombreuses figures de la vie intellectuelle juive, dont Chaim Weizmann, Marc Chagall ou encore Vladimir Jabotinsky, affirmant son adhésion au sionisme révisionniste de ce dernier[6]. Il accueille aussi des cousins, dont Menachem Mendel Schneerson, futur Rebbe de Loubavitch dont la voie académique pourrait avoir été influencée par les fils d'Isaac, étudiant tous à l'École spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l'industrie.

Pendant la Seconde Guerre mondiale à laquelle ses trois fils prennent part en tant qu'officiers de l'armée française[Note 1], Isaac Schneersohn qui a été dessaisi de ses avoirs et fonctions en vertu des lois sur l'aryanisation, se réfugie avec sa famille à Bordeaux, puis à Mussidan (où il rencontre vraisemblablement le rabbin et historien David Feuerwerker), et, enfin, à Grenoble, en zone italienne.

Comprenant l'urgence de documenter les persécutions en temps réel et apprenant que des associations juives en faisaient de même isolément, il les réunit à son domicile pour « amasser des preuves et des archives, constituer des dossiers aisément accessibles, préparer le travail des historiens ». Participent à cette réunion Léon Poliakov, dont il a fera son secrétaire, le philosophe Jacob Gordin[8],[9] et une quarantaine de délégués d'organisations juives[10], pour la plupart originaires de l'ancien Empire russe, et familiers des méthodes d'archivage du YIVO dont Schneersohn entend s'inspirer. Cependant le centre connaît des commencements difficiles : beaucoup jugent prioritaire d'œuvrer pour la survie des Juifs, et l'invasion allemande de la zone italienne en , interrompt les travaux du comité[11].

Après la Libération en 1944, Schneersohn regagne Paris. Le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) est alors officiellement fondé, à Paris dans le Pletzl, au centre de la vie juive avant la guerre. Poliakov parvient à mettre la main sur les archives du Commissariat général aux questions juives, de l'ambassade d'Allemagne à Paris, de l'état-major et, surtout, du service antijuif de la Gestapo, ainsi que sur beaucoup de documents présentés au Tribunal international de Nuremberg[12],[13],[14].

Héritage

Dès 1945, le Centre de Documentation Juive Contemporaine (CDJC) publie plusieurs ouvrages fondamentaux sur la condition des Juifs en France sous l'Occupation, devenant une source majeure pour les historiens de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. En 1946, Isaac Schneersohn est nommé président du CDJC tandis que son fils Arnold en devient le trésorier à titre honorifique.

Le 25 mars de cette année, il sollicite le Ministère de l'Information pour autoriser légalement le Bulletin du CDJC, qui deviendra Le Monde juif. Il en assure la direction jusqu'à sa mort, en 1969[7].

Proche de David Feuerwerker, Schneersohn veille à associer chercheurs, survivants et autorités aux cérémonies annuelles du CDJC, contribuant à l’intégration de la mémoire juive dans le récit national. Le , il reçoit la Croix de Chevalier de la Légion d'honneur, remise par René Cassin [7]. De l’avis d’Éric de Rothschild, sans l’action d’Isaac Schneersohn,

« Bien des procès auraient été perdus, […] bien des livres n’auraient pas été écrits ou l’auraient été bien plus tard […], à une époque extrêmement difficile où le silence, la gêne étaient le lot des déportés survivants[15]. »

L’« archiviste de l'esprit contre la bureaucratie de la barbarie » meurt à Paris le , à l'âge de 88 ans[16],[17].

Publications

  • De Drancy à Auschwitz, avec Georges Wellers - (1946) Paris : Éditions du Centre. (OCLC 458932152)
  • Activités des organisations juives en France sous l'occupation - (1947) Paris : Ed. du Centre. (OCLC 313311271)
  • L'étoile jaune, avec Léon Poliakov, J. Godart - (1949) Paris : Éditions du Centre de documentation juive contemporaine (Impr. des Éditions polyglottes). (OCLC 459556534)
  • La persécution des juifs dans les pays de l'Est présentée à Nuremberg : recueil de documents, avec Henri Monneray; René Cassin et Telford Taylor - (1949) Nuremberg, Germany. Paris : Éditions du Centre. (OCLC 490644866)
  • Les juifs sous l'occupation italienne, avec Léon Poliakov, P. Hosiasson, J. Godart - (1955). CDJC; Paris : Ed́itions du Centre. (OCLC 490535438)
  • Dix ans après la chute de Hitler (1945-1955), avec René Cassin; J M Machover - (1957) Paris : Éditions du Centre de documentation juive contemporaine (Impr. des Éditions polyglottes), (OCLC 461240459)
  • Le Seder des 32 otages : l'histoire des otages en Russie pendant la première guerre mondiale et la lutte pour leur libération - (1966) Paris : Centre de Documentation Juive Contemporaine. (OCLC 13909240)
  • D'Auschwitz à Israël, vingt ans après la Libération - (1968) Paris, C.D.J.C.. (OCLC 1949208) (OCLC 313379406)
  • (yi) Lebn un kamf fun jidn in tzarišn Rusland, 1905-1917. (La vie et lutte des juifs en Russie tsariste) - (1968). (OCLC 164671895)

Distinctions

Références

  1. Base Léonore
  2. Benbassa et DeBevoise 2001, p. 181.
  3. Afoumado 2006, p. 14
  4. Wieviorka 1992, p. 414
  5. Wieviorka 1992, p. 415
  6. Heilman et Friedman 2010, p. 115.
  7. Afoumado 2006, p. 15.
  8. Cf. V. Kuperminc, 2001, pp. 3-7, & Léon Poliakov, témoignage du 28 avril 1997.
  9. La reconstruction de la bibliothèque de l'Alliance israélite universelle, 1945-1955. Jean-Claude Kuperminc. Les belles lettres, Archives juives, 2001, no 34, pp. 98-113. [PDF]
  10. Michel-Gasse, 1999, p. 28
  11. Jockusch 2015
  12. Isaac Schneersohn, fondateur durant la guerre du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC).
  13. Mémorial de la Shoah, Histoire du CDJC (en ligne)
  14. Poliakov, L'auberge des musiciens, où Poliakov raconte comment il mit la main sur ces archives et sur d'autres au procès de Nuremberg : « Muni de lettres de recommandation de Justin Godart, un ancien ministre de la IIIe République, je tentai ma chance au ministère de l’Intérieur... ».
  15. sous « Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, à l'inauguration du Mémorial de la Shoah, le 25 janvier 2005 ».
  16. « Recherche - Base de données Léonore », sur culture.gouv.fr (consulté le ).
  17. (en) « French Bury Isaac Schneersohn; Founded Memorial to Unknown Jewish Martyr in Paris », sur jta.org, JTA, (consulté le ) : « Isaac Schneersohn, who founded the Memorial to the Unknown Jewish Martyr and a memorial museum of the Nazi Holocaust here, was buried Friday at services attended by Government officials and others. Mr. Schneersohn died last Wednesday at the age of 90. »

Notes

  1. Arnold et Boris sont faits prisonniers. Interné dans un Oflag, Arnold y organise un noyau de résistance, ce qui lui vaudra d’être transféré dans un camp disciplinaire de Lübeck. Boris, libéré en , participera aux combats dans les maquis de Dordogne. Michel préparera une opération de libération des détenus de la prison de Bergerac avec Édouard Valéry, capturant Charles Platon dans sa maison de Pujols. Au terme d'un procès en cour martiale où Michel préside tandis que la défense est assurée par André Urbanovitch et l'accusation par Yves Péron, Platon est fusillé le 28 août 1944 dans les allées du domaine de la Querrerie à Valojoulx à 22 h 40

Annexes

Bibliographie

  • Diane Afoumado, « Soixante ans dans l'histoire d'une Revue », Revue d'histoire de la Shoah Le Monde juif, Paris, Mémorial de la Shoah,‎ (ISSN 1281-1505, lire en ligne) [PDF]
  • (en) Laura Jockusch, Collect and Record! : Jewish Holocaust Documentation in Early Postwar Europe, United Kingdom, Oxford University Press, .
  • Florent Brayard, Le génocide des juifs : entre procès et histoire, 1943-2000, Centre Marc Bloch (Berlin), Éditions Complexe, 2000. (ISBN 2-87027-857-8). p. 116.
  • Schlomo Brodowicz. L'âme d'Israël. Les origines, la vie et l'œuvre de Menahem M. Schneerson, Rabbi de Loubavitch. Préface d'Élie Wiesel. Éditions du Rocher, 2011. (ISBN 978-2-268-07198-5) (La première édition est de 1998)
  • Esther Benbassa, Histoire des Juifs de France, Paris, Seuil, coll. « Points histoire », , 373 p. (ISBN 978-2-02-029504-8, OCLC 36309256)
  • Jean-Yves Boursier, Musées de guerre et mémoriaux : politiques de la mémoire, Éditions MSH, 2005. (ISBN 2-7351-1079-6). p. 53.
  • André Kaspi, Les Juifs pendant l'Occupation, Paris, Éditions du Seuil, 1991. (ISBN 2-02-013509-4)
  • Michel-Gasse, Dictionnaire-guide de la généalogie, Paris, J.-P. Gisserot, coll. « Collection Bien connaître », , 127 p. (ISBN 978-2877474139, OCLC 42022489, lire en ligne)
  • Nieszawer et Princ, Histoires des artistes Juifs de l'École de Paris, 1905-1939, (Denoël, 2000 - Somogy, 2015) Les étoiles éditions, 2020, p.362-363.
  • Léon Poliakov, L'auberge des musiciens : Mémoires, Paris, Mazarine, , chapitre “Les premiers pas d'un chercheur”.
  • Isaac Pougatch. Figures juives de Théodore Herzl à Ida Nudel. Ramsay: Paris, 1984 (cf. Renée Poznanski. La création du centre de documentation juive contemporaine en France (avril 1943). Vingtième Siècle, Revue d'histoire, 1999, Volume 63, pp. 51-63, voir page 56 note 2.).
  • Patrice Rolli, « Isaac Schneersohn ou l'archiviste de l'esprit contre la bureaucratie de la barbarie » : aux origines de la création du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC)" (sur sa présence à Mussidan).Le Périgord dans la Seconde Guerre mondiale, Chronique des années noires du Mussidanais et de l'Ouest de la Dordogne, Éditions l'Histoire en Partage, 2012
  • Annette Wieviorka, Déportation et génocide : Entre la mémoire et l’oubli, Plon, , 506 p. (ISBN 978-2-259-02461-7, OCLC 406883216)
  • Annette Wieviorka, : L'ère du témoin, Paris, Plon, 1998, réédité comme L'Ère du témoin, Hachette, « Pluriel », Paris, 2002. (ISBN 2-01-279046-1)
  • (en) Esther Benbassa et M. B. DeBevoise, The Jews of France : A History from Antiquity to the Present, Princeton University Press, (ISBN 0-691-09014-9)
  • (en) Samuel C. Heilman & Menachem M. Friedman. The Rebbe. The Life and Afterlife of Menachem Mendel Schneerson. Princeton University Press: Princeton and Oxford. 2010. (ISBN 978-0-691-13888-6)
  • (en) Julian Jackson, France: The Dark Years, 1940-1944, Oxford University Press, 2003. (ISBN 0-19-925457-5). p. 14.
  • (en) Lisa Moses Leff. The Archive Thief: The Man Who Salvaged French Jewish History in the Wake of the Holocaust. Oxford University Press, 2015. (ISBN 978-0-19-938095-4).
  • (en) Tzvi M. Rabinowicz. Encyclopedia Of Hassidism. Jason Aronson: Northvale, New Jersey, London, 1996. (ISBN 1-56821-123-6)
  • (en) Alvin Hirsch Rosenfeld, Thinking about the Holocaust after half a century, Indiana University Press, 1997. (ISBN 0-253-33331-8). p. 281.
  • (en) David B. Ruderman & Shmuel Feiner, Schwerpunkt: Early Modern Culture and Haskala, Vandenhoeck & Ruprecht, 2007. (ISBN 3-525-36933-6). p. 448.
  • (en) David S. Wyman & Charles H. Rosenzveig, The world reacts to the Holocaust, Baltimore & London, The Johns Hopkins University Press, 1996, p. 21.

Articles connexes

Liens externes

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