Hélène Rytmann

Hélène Rytmann
Biographie
Naissance
Décès
Sépulture
Nom de naissance
Hélène Rytmann
Pseudonyme
Hélène Legotien
Nationalité
Activités
Conjoint
Louis Althusser (de à )
Autres informations
Parti politique
Conflit

Hélène Rytmann, dite Hélène Legotien ou Hélène Legotien Rytmann, née le à Paris 18e et morte étranglée par son mari Louis Althusser le à Paris 5e, est une résistante et sociologue française.

Elle est militante au Parti communiste français à partir de 1932 et participe pendant la Seconde Guerre mondiale à la résistance française contre le nazisme. Pendant la guerre, elle est exclue du PCF pour des raisons qui demeurent obscures. En 1950, elle est exclue du Mouvement de la paix après avoir été accusée de trotskysme et de participation à des exécutions sommaires d'anciens collaborateurs au moment de la Libération de Lyon.

Le meurtre d'Hélène Rytmann par son mari et le jugement de celui-ci font l'objet d'une large couverture médiatique qui s’intéresse essentiellement à la figure du meurtrier. L'abolition du discernement au moment des faits établie par les experts psychiatriques aboutissant à un non-lieu suscite une vive polémique, le réseau des amis et des anciens élèves du philosophe étant accusé d'avoir cherché à le soustraire à la justice.

Biographie

Jeunesse

Hélène Rytmann est née à Paris le 15 octobre 1910[1] dans une famille juive d'origine russe et lituanienne qui a fui les pogroms de l'Empire russe et s'est installée à Paris en 1907[2]. Ses parents sont Benjamin Rytmann et Rebecca Mlatkine.

Elle est la dernière née d'une fratrie de quatre : Anna née en 1900, Joseph né en 1903 et Moïse né à Paris en 1908[3].

L'un des frères d'Hélène, Joseph Rytmann, est propriétaire de plusieurs salles de cinéma dans le Quartier du Montparnasse à Paris ou à proximité, notamment Le Bretagne et le Mistral à partir de 1933[4].

Selon Louis Althusser, Hélène Rytmann, dans son enfance, a été agressée sexuellement par le médecin de famille. Alors qu'elle avait 13 ans, le médecin l'a forcée à administrer une dose mortelle de morphine à son père, qui souffrait d'un cancer en phase terminale, et l'année suivante, à administrer une autre dose mortelle à sa mère en phase terminale. Cette histoire a pu être inventée par Althusser, qui a admis avoir incorporé des « souvenirs imaginaires » dans sa « traumabiographie »[5],[6].

Hélène Rytmann rejoint le Parti communiste français dans les années 1930 et participe au tournage des films de Jean Renoir, La vie est à nous et La Marseillaise. Elle est l'amie de Eugène Hénaff, secrétaire général de l'Union des syndicats de la Seine à la Confédération générale du travail (CGT), et de Jean-Pierre Timbaud, secrétaire du syndicat des métallurgistes parisiens affilié à la CGT[7].

Activités au sein de la Résistance

Pendant l'occupation allemande de la France, Hélène Rytmann rejoint la résistance française[8]. En tant que militante, affiliée à la division « Périclès » , elle est une camarade de Jean Beaufret. Accusée d'avoir participé à des exécutions sommaires d'anciens collaborateurs nazis à Lyon, elle est exclue après guerre du Parti communiste français pour « déviation trotskyste » et « crimes ». En réalité, les raisons de son exclusion restent très obscures. Malgré son insistance et celle de Louis Althusser, personne parmi les membres du Parti communiste français, même au plus haut niveau, ne consentira à fournir des explications. Le livre de Yann Moulier Boutang, Louis Althusser. Une biographie, publié en 1992 consacre tout un chapitre à cette affaire et malgré une longue enquête, ne parvient pas à trouver la vraie raison de cette exclusion.

Après la guerre, Hélène Rytmann est plus connue sous le nom d'Hélène Legotien (son nom de couverture dans la Résistance lyonnaise) ou d'Hélène Legotien-Rytmann[9].

En mai 1950, elle est exclue du Mouvement de la paix car, dans le cadre de la Résistance lyonnaise, elle est accusée d'être à la fois liée à la collaboration et aux excès de l'épuration[7]. Althuser lui-même vote son exclusion[10].

Carrière en sociologie

Entrée à l'Organisation européenne de coopération économique comme varitypiste en 1950[11], Hélène Rytmann en ressort chargée d'études en 1954. En 1955, elle rejoint une équipe d'une cinquantaine d'enquêteurs qui, sous la direction d'Alain Touraine, réalise une enquête de grande ampleur sur « la conscience ouvrière ». Dans ce cadre, elle réalise une enquête par questionnaire auprès des mineurs de Montceau-les-Mines. Elle collabore ensuite à l'enquête que Pierre Naville consacre, entre 1957 et 1959, à l'automation et au travail humain. Seule femme envoyée sur le terrain, elle étudie les modifications de l'organisation du travail à l'Imprimerie nationale et co-rédige le chapitre 3 de la partie monographique du rapport d'enquête dirigé par Naville[12].

En 1959, Hélène Legotien est embauchée par la SÉDÉS (Société d'études pour le développement économique et social). Au sein de cette filiale privée de la Caisse des dépôts et consignations, elle effectue des tâches de documentation avant d'être chargée d'études et de rédiger plusieurs rapports de sociologie rurale d'inspiration marxiste[13],[14]. Elle y examine de manière critique les conséquences du développement de l'agriculture commerciale, en France comme dans les anciennes colonies françaises d'Afrique subsaharienne. Avec ses supérieurs et ses collègues économistes, elle plaide pour la conception d'opérations de développement rural plus légères et prenant davantage appui sur le savoir agraire des populations locales[15]. Sur le plan méthodologique, elle préconise également l'adoption de méthodes d'enquête légères et s'inspire de la démarche du sociologie d'intervention italien Danilo Dolci[16].

En , elle prend sa retraite et quitte la SÉDÉS. Cette retraite ne l'empêche pas de continuer de mener des enquêtes sociologiques. Au moment de sa mort, elle est impliquée dans une enquête collective sur la mémoire ouvrière et le changement social à Port-de-Bouc.

Meurtre

Le dimanche à 7h55, Hélène Rytmann Althusser est retrouvée morte[17],[18] dans l'appartement de service de l'École normale supérieure qu'elle occupe avec son mari Louis Althusser. Il s'accuse du meurtre par strangulation avant d'entrer dans un état de prostration et être hospitalisé par le médecin de l'ENS dans le service du professeur Pierre Deniker, à l'hôpital Sainte-Anne à Paris. Le décès par strangulation est confirmé par l'autopsie, le premier examen n'ayant pas décelé les lésions ayant causé la mort[19].

Une information judiciaire est ouverte par le juge d'instruction à Paris qui se rend à l'hôpital pour notifier l'inculpation d'homicide volontaire à Althusser. Il doit cependant y renoncer en raison de l'état de santé de celui-ci et délivre un mandat d'amener[20]. Le rapport d'expertise psychiatrique conclut que le meurtrier se trouvait en état de démence au moment des faits, amenant le juge à prononcer le 23 janvier 1981 une ordonnance de non-lieu en application de l'article 64 du code pénal selon lequel « il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l'action. »[21].

Hélène Rytmann est enterrée dans la section juive du cimetière parisien de Bagneux[22].

Le meurtre, qui suscite une grande attention des médias, ne fera jamais l'objet d'une enquête approfondie. Dès le lendemain, il fait la une des journaux, du Monde à France Soir. Les médias s’intéressent aux circonstances du crime et essentiellement à la figure du meurtrier, auquel ils consacrent de longs portraits. Les avis sont contrastés. À gauche, on met en avant la souffrance de Louis Althusser par le fait que la victime, Hélène Rytmann, aurait été suicidaire, les chroniqueurs de droite considérant qu'il aurait bénéficié d'une protection de l’ENS et des milieux intellectuels marxistes dans le traitement de l'affaire[23].

L'expertise d'abolition du discernement ayant entraîné un non-lieu fait l'objet d'une vive polémique, le réseau des amis et des anciens élèves du philosophe sont accusés d'avoir cherché à le soustraire à la justice, l'internement pyschiatrique lui ayant évité l'arrestation, les menottes, l'interrogatoire policier et une probable condamnation[24].

La procédure d'hospitalisation d'Althusser pour état mental incompatible avec un interrogatoire de première comparution et la détention en milieu pénitentiaire, donne lieu à la publication d'un communiqué du procureur de la République pour démentir les propos selon lesquels Althusser aurait, immédiatement après le crime, bénéficié d'un « traitement de faveur »[21].

Louis Althusser reste hospitalisé à Sainte-Anne quelques mois puis est transféré dans un établissement de soins à Soisy-sur-Seine jusqu'en 1983, date à laquelle il s'établit jusqu'à sa mort en 1990 dans l'appartement du vingtième arrondissement de Paris acheté par Hélène en prévision de la retraite[25].

Postérité

Dans Femmes publié en 1983, Philippe Sollers met en scène l'enterrement de Legotien (qu'il renomme « Anne » dans son roman à clefs)[4].

Le roman de 2002 de John Banville, Shroud, est en partie inspiré par le scandale du meurtre d'Hélène Rytmann[26].

En 2005, Antoine Rault crée Le Caïman, une pièce de théâtre qui met en scène la dernière nuit de "Juliette", militante communiste qui meurt étranglée par "Henri", son mari philosophe marxiste. Ce drame est directement inspiré par le meurtre de Legotien par Althusser[27].

Le journal américain The Forward cite Hélène Rytmann comme exemple de femme juive qui a « changé la France » et suggère qu'il est « grand temps que l'on se souvienne d'Hélène Rytmann avec dignité en tant qu'individu » pour son rôle dans la Résistance française[28].

Réflexions rétrospectives sur le féminicide

Dans Le Monde du 14 mars 1985, Claude Sarraute met en perspective la libération conditionnelle pour démence dont a bénéficié le cannibale japonais Issei Sagawa, qui avait tué et mangé une jeune Japonaise, avec le traitement judiciaire et médiatique de Louis Althusser après le meurtre d'Hélène. Elle pointe le déséquilibre du traitement dans les médias qui apporte l'essentiel de sa couverture au meurtrier dès lors qu'il est une figure connue : « Nous, dans les médias, dès qu'on voit un nom prestigieux mêlé à un procès juteux, Althusser, Thibault d'Orléans, on en fait tout un plat. La victime ? Elle ne mérite pas trois lignes. La vedette, c'est le coupable. On tartine sur sa famille, sur son passé de pauvre petit garçon trop riche ou trop intelligent. On explique son geste. On lui trouve toutes sortes de bonnes raisons. Et comme les jurés lisent les journaux... »[29].

Dans un article scientifique paru en [6], Francis Dupuis-Déri écrit que « tout de suite s’impose dans l’espace public la thèse de la folie pour expliquer ce cas. Toute analyse sociologique ou politique, pour ne pas dire féministe, est évacuée ». Les arguments psychologiques permettent à Louis Althusser de se disculper dès l’instruction - il n’est d’ailleurs pas placé en garde à vue - et dans les médias. « Althusser a déployé beaucoup d’énergie pour se présenter comme fou, et donc irresponsable du meurtre, alors qu’il était reconnu comme un érudit rationnel » ajoute Francis Dupuis-Déri, précisant que « dans les minutes et les heures qui ont suivi le meurtre, Althusser a bénéficié de l’appui indéfectible de la direction de l’École normale supérieure, de ses thérapeutes, de ses amis et de ses disciples, qui ont constitué une ligne de défense avant que les autorités judiciaires ne se saisissent de l’affaire ». Francis Dupuis-Déri observe enfin que le meurtre d’Hélène Rytmann présente les caractéristiques d’un féminicide, même si cette notion n’existait pas en tant que telle à cette époque.

En décembre 2023[4], en reprenant le travail de Francis Dupuis-Déri[30] et en interrogeant les personnes ayant côtoyé Hélène Rytmann les dernières semaines de sa vie, Libération conclut aussi à un féminicide typique, avec tous ses marqueurs : contrôle de son emploi du temps, souffrances gratuites infligées en la trompant, à sa vue, dans la mer avec une invitée, et réaction quand Hélène Rytmann annonce à son mari vouloir le quitter. Althusser écrit « Je ne sais quel régime de vie j’imposai à Hélène (et je sais que j’ai pu être réellement capable du pire), mais elle déclara avec une résolution qui me terrifia qu’elle ne pouvait plus vivre avec moi, que j’étais pour elle un “monstre” et qu’elle voulait me quitter à jamais. [...] Elle prit alors des dispositions pratiques qui me furent insoutenables : elle m’abandonnait en ma propre présence, dans notre propre appartement. […] Cet abandon me paraissait plus insupportable que tout »[31].

Hélène Rytmann a dit elle-même, quelques jours avant son retour à Paris et son meurtre « Il est mal, il est violent, j’appréhende le retour »[4].

Hommage et contre-hommage

Le , des étudiants de l'École normale supérieure de Paris décident de renommer la salle Raymond Aron « salle Hélène-Legotien-Rytmann » pour lui rendre hommage. Le directeur de l'école, Frédéric Worms, dit avoir redécouvert le sujet grâce à cette initiative, mais s'oppose au renommage de la salle Aron. Il promet de trouver une salle dédiée en 2024. Quelques jours plus tard, le foyer est saccagé et recouvert de tags mentionnant « À bas les féministes »[4]. Le 25 novembre 2024, la direction de l'ENS organise un hommage à Hélène Legotien-Rytmann : une plaque est dévoilée à cette occasion[32].

Notes et références

  1. Archives de Paris, « État-civil, registre des naissances du 18e arrondissement, du 12 au 27 octobre 1910, vue 9/31, 18N 365 » , sur www.archives.paris.fr (consulté le )
  2. Nathalie Simon, « Joseph Rytmann, l’« Empereur de Montparnasse » », Le Figaro,‎ (lire en ligne ).
  3. Axel Huyghe et Arnaud Chapuy, Rytmann: l'aventure d'un exploitant de cinémas à Montparnasse, l'Harmattan, coll. « Salles de cinéma », (ISBN 978-2-343-21809-0)
  4. Luyssen 2023.
  5. (en) « The Paris Strangler », sur London Review of Books (consulté le ).
  6. Dupuis-Déri 2015.
  7. Yann Moulier Boutang, Louis Althusser: une biographie, B. Grasset, (ISBN 978-2-246-38071-9) p. 427.
  8. Lucie Rondeau du Noyer, «  Sur le parcours d'Hélène Legotien Rytmann », L’Archicube no 37 bis, numéro spécial, février 2025
  9. (en) Elisabeth Roudinesco, Philosophy in Turbulent Times: Canguilhem, Sartre, Foucault, Althusser, Deleuze, Derrida, New York City, Columbia University Press, (ISBN 0231143001), p. 116.
  10. Dupuis-Deri 2015, p. 84.
  11. Yann Moulier Boutang, Louis Althusser : une biographie, B. Grasset, , p. 391 (ISBN 2-246-38071-5).
  12. Pierre Naville (avec la collaboration de Christiane Barrier, Catherine Cordier, William. Grossin, Dominique Lahalle, Hélène Legotien, Bertrand Moisy, Jacques Palierne, Gabriel Wackermann), L'automation et le travail humain. Rapport 'enquête (France 1957-1959), Paris, Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, , 743 p..
  13. Emile Rouch, « « A propos de la note d’Hélène Legotien sur les CUMA : pour aller plus loin » », Nouvelles campagnes,‎ , p. 10-13
  14. Michel Griffon, « Les pays en développement et l’économie internationale dans la revue Économie rurale de 1949 à 1999 », Économie rurale, nos 255-256,‎ , p. 169-184
  15. Ancian, Gilbert, Hélène Legotien, Bernard Manlhiot, « Propositions pour une réorganisation des actions de développement rural », Développement et civilisations, no 38,‎ , p. 24 - 38
  16. Hélène Legotien, « Note de méthode sur une activité sociologique à la SÉDÉS ». Paris, Secteur Recherche de la SÉDÉS, février 1964, 25 pages ronéotypées.
  17. Archives de Paris, « État-civil du 5e arrondissement, registre des décès du 4 septembre au 21 novembre 1980, vue 29/31, 5D 319 » , sur www.archives.paris.fr (consulté le )
  18. Johanna Luyssen, « Louis Althusser et Hélène Rytmann : le philosophe assassin et le féminicide occulté », sur Libération (consulté le ).
  19. « L'autopsie conclut à un décès par strangulation », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  20. « Le magistrat instructeur n'a pas pu notifier son inculpation d'homicide à M. Louis Althusser Meurtre et psychopathologie », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  21. « MEURTRIER DE SA FEMME M. Louis Althusser bénéficie d'un non-lieu et demeure interné », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  22. (en) « Louis Althusser (1918–1990) », sur Pegasos (consulté le ).
  23. « Le crime par son auteur, Louis Althusser : épisode 1/2 du podcast Féminicide à l’École normale supérieure », sur France Culture, (consulté le ).
  24. « Le coup de folie du philosophe », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  25. « La passion d'Althusser », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  26. (en) « Shroud », sur The Sydney Morning Herald (consulté le ).
  27. Jérôme Garcin, « Le Chemin de croix de Louis Althusser » in Antoine Rault, Le Caïman, L'Avant-scène théâtre, n° 1193, 15 novembre 2005
  28. (en) « The 110 Jewish Women Who Changed France », sur The Forward (consulté le ).
  29. Claude Sarraute, « Petite faim », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  30. Dupuis-Déri 2023.
  31. Patricia Mercader, « Le crime d'Althusser : angoisse de perte, angoisse d'intrusion », Bulletin de psychologie, t. 55, no 461,‎ , p. 486 (DOI 10.3406/bupsy.2002.15161).
  32. Association des élèves, anciens élèves et amis de l'École normale supérieure, « Minute de silence et rencontre autour d'Hélène Legotien Rytmann à l'ENS » (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

Médias

Articles connexes

Liens externes

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