Gigafactory

Le nom de gigafactory provient du mot « giga », préfixe d'unité de mesure correspondant au milliard et qui signifie aussi géant ou milliard ; et du mot anglais factory, signifiant usine. Le mot gigafactory a été lancé par la société Tesla qui en 2014, pour faire des économies à grandes échelles, a décidé de construire une usine géante de batteries pour ses véhicules électriques[1]. Le nom et le concept gigafactory se sont ensuite élargis aux usines permettant de construire des équipements en grands volumes[2] (L'union européenne, et d'autres, parlent aussi de Gigafactories d'IA pour l'intelligence artificielle). Un pôle industriel en regroupant quatre est en cours de constitution dans les Hauts-de-France, en France ; il est surnommé « vallée de la batterie ». Avec le temps, ces installations tendent à un gigantisme croissant.

Histoire

La notion de gigafactory est récente. Popularisée par Tesla en 2014, elle désignait alors ses usines de très grande taille destinées à produire massivement des batteries pour véhicules électriques ou autres technologies liées à la transition énergétique). Cette nouvelle industrie manufacturière mondiale tend à un gigantisme croissant et une complexité inédites, reposant sur une forte intégration verticale. Ceci accroît ses coûts initiaux et sa complexité opérationnelle, avec des dépenses foncières et en approvisionnement en matières premières qui posent des questions de soutenabilité économique et environnementales. À la différence de l'industrie des derniers siècles, liées au charbon et au pétrole, les gigafactories se présentent comme plutôt adossée à la décarbonation, mais elles restent très consommatrices d'énergie.

Une gigafactory conserve cependant certaines caractéristiques de l'industrie lourde du passé (grandes usines chimiques, sidérurgiques ou métallurgiques des XIXe et XXe siècles). Parmi les points communs figurent les caractéristiques suivantes :

  • concentration géographique : comme les complexes métallurgiques autrefois concentrés par exemple dans la Ruhr, en Lorraine et dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais), les gigafactories regroupent sur un même site des ateliers de conception, production, assemblage, logistique et parfois recyclage[3] ;
  • investissements massifs : les coûts de construction et d’équipement (pouvant dépasser 3 milliards d’euros, mobilisable dans des contextes de spéculation financière et d'investissements publics), sont comparables aux investissements des grands complexes industriels du XXe siècle[4] ;
  • main-d’œuvre spécialisée : comme les grandes usines de la carbochimie et de la métallurgie, les gigafactories nécessitent une main-d’œuvre qualifiée, difficile à mobiliser rapidement, ce qui pose des défis similaires à ceux rencontrés lors des grandes phases de réindustrialisation[5] ;
  • risques techno-économiques : à l’instar des usines métallurgiques confrontées à l’évolution des procédés (ex. : passage du haut fourneau à l’arc électrique par exemple), les gigafactories sont exposées à l’obsolescence rapide en cas d’émergence de nouvelles technologies de batteries[6] ;
  • risque industriel et en santé environnementale ; les gigafactories de batteries concentrent plusieurs produits toxiques et/ou difficilement gérables en cas d'incendie.

Les gigafactories incarnent donc une nouvelle forme ou branche de l'industrie lourde et manufacturière :

  • elles mobilisent des ressources critiques (lithium, cobalt, nickel), comme l’industrie métallurgique mobilisait par exemple le fer, le plomb, le cuivre, le zinc... et le charbon puis le pétrole ;
  • tout en étant un élément important de la mondialisation et du capitalisme, les juridictions qui les accueillent espèrent les intégrer dans leurs stratégies de relocalisation stratégique, de souveraineté économique et énergétique, comme le montre le Plan France 2030 ou le Green Deal Industrial Plan européen tels qu'analysés par Tesla[7] ;
  • elles redessinent les territoires industriels, à l’image des « vallées de la batterie » en Hauts-de-France ou en Saxe.

Face à l'urgence climatique et à a crise de la biodiversité, la version majoritairement retenue (par les États et l'Industrie) de la transition écologique nécessite un développement rapide du véhicule électrique (VE), mais aussi de l'éolien et du solaire, ce qui implique moyens accrus de stocker l'électricité, notamment en Chine, aux États-Unis et dans l'Union européenne (qui a longtemps été en tête des investissements mondiaux dans les technologies propres, via des politiques climatiques telles que le paquet Fit for 55. En Europe, des dizaines de milliards d’euros ont été investis dans la production de véhicules électriques (VE), de batteries lithium-ion (LIB) et de leurs composants, conduisant à une production locale de plus de la moitié des batteries utilisées en Europe en 2022, et à la planification d’environ 50 gigafactories d’ici 2030.

Ce marché n'est cependant ni stable ni autoporteur : la domination croissante de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement des VE, combinée à l’Inflation Reduction Act des États-Unis (prévu pour mobiliser au moins 150 milliards USD dans la production nationale de batteries, composants et métaux), bouleverse l’équilibre mondial. Selon BloombergNEF, la part de l’Europe dans les investissements mondiaux dans les batteries lithium-ion est passée de 41 % en 2021 à seulement 2 % en 2022, tandis que les investissements chinois et américains ont continué à croître[8],[9].

Cependant, la domination industrielle de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement des batteries et des véhicules électriques, ainsi que l’Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis lancé en 2022, menacent de détourner les investissements vers l’Amérique du Nord. En quelques mois, les investissements dans les usines de batteries, les installations de traitement des métaux et les véhicules électriques ont explosé aux États-Unis, tandis que des entreprises comme Tesla, Northvolt ou Iberdrola annoncent privilégier la construction d’usines outre-Atlantique.

Face à cette concurrence, l’Europe a réagi avec le Plan industriel du Pacte vert (GDIP), des ajustements au cadre des aides d’État et la réorientation de mécanismes financiers existants comme REPowerEU et les fonds post-Covid. Toutefois, le GDIP reste moins ciblé que l’IRA américain, qui consacre plus de 150 milliards USD aux chaînes d’approvisionnement des batteries, alors que l’UE englobe un éventail plus large de technologies (biocarburants, captage et stockage du carbone, biogaz, etc.). Le manque de clarté sur les financements supplémentaires disponibles pour les projets européens soulève des inquiétudes quant à la compétitivité du secteur.

La part et le poids des subventions

Les investissement en jeu sont lourds (ex. : 2 à 7 milliards d’euros pour une gigafactory de batteries lithium-ion de grande capacité, soit 30 à 120 GWh/an). Ils suscitent donc des mouvements spéculatifs, et des espoirs d'importants retours sur investissement, y compris de la part de juridictions (États, régions...), qui pour des raisons économiques (emploi...) et de prestige, cherchent à attirer ces usines sur leur territoire, dont en aidant les porteurs de projets. Pour cela, les juridictions locales, nationales et supranationales proposent des aides humaines, juridiques, matérielles et financières supposées compenser les risques industriels pris par l'entreprise, dans sa phases de démarrage (où les taux de rebuts et les coûts d’installation sont importants) ; elle vise souvent à attirer les investissements nationaux ou étrangers dans des territoires en reconversion. Ces aides peuvent être très importantes ; elles soulèvent donc des questions sur la soutenabilité de des emplois, sur le respect de la concurrence et sur le retour sur investissement public (notamment quand on peut craindre une évolution technologique rapide ou une délocalisation de l'entreprise). Les aides publiques sont souvent présentées comme un soutien à la création d’emplois dans une gigafactory, et associées à des avantages fonciers, énergétiques et fiscaux, qui considérés dans leur ensemble peuvent représenter une part significative du coût salarial initial. Bien que les chiffres varient selon les pays et les projets, plusieurs cas documentés commencent à permettre d’estimer cette proportion. Ainsi :

  • en , le suédois Northvolt avait obtenu près de 150 millions d'euros de subventions de l'Allemagne pour sa troisième gigafactory à Heide, mais 18 mois plus tard, les subventions se montent à 700 millions d'euros plus 202 millions d'euros de garanties publiques. Cette hausse est due à la mise en concurrence du site allemand avec une implantation américaine qui bénéficiait de la loi sur la réduction de l'inflation de 2022 et qui a contraint l'Allemagne à revoir à la hausse son offre. De même, ACC a obtenu 1 300 millions d'euros de fonds publics (deux tiers apportés par la France et le reste par l'Allemagne) pour l'aider à financer les quelque cinq milliards d'investissements pour ses deux usines de Douvrin et Kaiserslautern. Et Verkor, à Dunkerque, a obtenu des subventions publiques à hauteur de 695 millions d'euros, uniquement pour la R&D, auxquels s'ajoutent aussi des garanties publiques. Ainsi, les aides publiques couvrent fréquemment 30 % de l'investissement total promis, sachant que d'autres secteurs stratégiques, comme la fabrication de composants électroniques, sont encore plus soutenus (40 à 50 % de l'investissement initial)[10] ;
  • le projet Giga Texas de Tesla a bénéficié d’un avantage fiscal d’environ 1 200 USD par emploi et par an pendant 10 ans, soit 12 000 USD par emploi sur la période[11] ;
  • la gigafactory Tesla de Berlin a obtenu environ environ 1 milliard de subventions européennes (sur un coût total annoncé de 6 milliards d’euros)[12] ;
  • en France, la gigafactory de Verkor à Dunkerque a reçu 650 millions d’euros de subventions publiques, pour un projet créant environ 1 200 emplois directs, soit plus de 540 000  de soutien public par emploi, si l’on considère uniquement les aides financières, et les emplois directs[13] ; et celle d'ACC Douvrin a reçu 1,3 milliard d’euros d’aides publiques (pour une capacité de 40 GWh) ;
  • en Allemagne, le projet Northvolt Three à Heide bénéficie de subventions européennes dans le cadre du Green Deal, bien que la part par emploi ne soit pas encore officiellement publiée[14] ;
  • la part des subventions et incitations fiscales peut représenter de 30 % à 70 % du coût total d’un emploi dans les premières années d’exploitation.

Au delà de la hauteur des aides financières, la réactivité des États compte aussi : selon ProLogium, par exemple, la loi américaine sur la réduction de l'inflation, en ne subventionnant que l'usine une fois construite, est moins intéressante que les promesses françaises, qui financent la phase d'investissement et de développement. Cette entreprise recevra ainsi 1,5 milliard d'euros de l'État et des collectivités locales d'ici 2032[10].

Gigafactories opérationnelles ou en projet

Les premières gigafactories sont dédiées à la production de batteries. Ce sont celles de l'entreprise Tesla :

Autres usines dédiées aux batteries

  • Projet Northvolt Ett - Skellefteå (Suède)[2] : l'usine démarre sa production le . Sa capacité atteindra 16 GWh en 2022, soit de quoi équiper 300 000 véhicules par an, et Northvolt vise 150 GWh en 2030[15].
  • Projet Northvolt Dwa - Gdańsk (Pologne)[2] : l'usine st achevée en et démarre sa production en à Gdańsk en Pologne[16]. Sa capacité est de 5 GWh, extensible à 12 GWh[17].
  • Projet Northvolt Drei - Hambourg (Allemagne) : le chantier est inauguré le . L'usine devrait produire ses premières cellules de batteries en 2026, avant de monter progressivement en cadence jusqu'en 2029[18]. Réalisée avec Volkswagen, l'usine devra permettre d'alimenter en batteries au moins 300 000 véhicules électriques[2].
  • Projet Northvolt Fem - Borlänge (Suède) : financée en , l'usine devrait produire des cathodes pour 100 GWh par an de batteries[19]. Avec Volvo comme partenaire principal, l'usine devra permettre d'équiper entre 500 000 et un million de véhicules[20].
  • Projet Northvolt Six - Saint-Basile-le-Grand-McMasterville (Québec) : le chantier, qui devait démarrer en , a été reporté à la suite des difficultés financières de Northvolt[21].
  • Projet ACC - Douvrin (France) : le projet est porté par Stellantis. Inaugurée le [22], l'usine devrait afficher une capacité totale de 24 GWh à l'horizon 2028-2030, voire 32 GWh si un quatrième bloc de 8 GWh est mis en service[23].
  • Projet Envision AESC - Douai (France) : le projet, décidé en 2021[24] est un partenariat entre Renault et le sino-japonais Envision AESC[25]. La production devrait démarrer en [26].
  • Projet Verkor - Dunkerque (France)[27],[28].
  • Projet CATL - Erfurt (Allemagne) : le projet, décidé en 2018[29] et inauguré en janvier 2023 devrait permettre d'équiper 350 000 véhicules par an[30].
  • Projet CATL - Debrecen (Hongrie) : le projet, décidé en 2022, a pour objectif de construire une usine à 100 GWh[31].
  • Projet SVOLT (Allemagne)[32].

Projets en cours

Risques spécifiques

La viabilité du modèle des gigafactories (de très grande taille, nécessitant généralement des investissements industriels colossaux et dédiées à un produit unique) repose su les principes d'économies d'échelle, de la production intégrée et d'une forte automatisation/robotisation, ce qui induit des risques structurels spécifiquement associés à ce type d'infrastructures massives, parmi lesquels figurent

  • L'obsolescence technologique (par exemple, l'émergence rapide de nouvelles générations de batteries (ex. : batteries solides, sodium-ion, lithium-soufre) plus performantes, moins polluantes et utilisant des matériaux abondants sur Terre, pourrait rendre une gigafactory obsolète avant même sa mise en service, d'autant que le contexte de concurrence n'incite pas à la construction d'une stratégie mondiale partageant les ressources et les bénéfices, même en Europe, ou le Royaume-Uni post-Brexit fait face aux projets de l'Allemagne, de la Hongrie et de la France ; selon un rapport récent de l'Institution Faraday, la capacité européenne de giga-usine devrait atteindre 1 350 GWh d'ici 2030, plaçant l'UE en position forte dans le contexte d'une demande croissante de transports plus décarbonés[35] ;
  • La « rigidité » des investissements : les coûts de construction, d'équipement et de formation du personnel qualifié sont tels qu'un changement de technologie ou de marché peut entraîner des pertes considérables, voire l'impossibilité d'adapter l'usine à un nouveau type de production et de produit[36] ;
  • Le risque géopolitique et d'approvisionnement : la dépendance à des matériaux critiques (lithium, cobalt, nickel dans les cas des batteries) expose les gigafactories aux fluctuations des marchés mondiaux et aux tensions géopolitiques. L'approvisionnement mondial en lithium pourrait ne pas répondre aux exigences futures de ces usines selon les producteurs de lithium, relayés par Reuters[37]. Les Gigafactories cherchent donc à s'installer dans des régions géopolitiquement stables et bien desservies en infrastructures énergétiques et de transport, dont en Europe (qui prévoit 50 usines géantes de batteries d'ici 2030, pour alimenter 18 millions de voitures électriques/an[38],[39];
  • La disponibilité de main-d'œuvre qualifiée : la mise en route rapide d'une gigafactory nécessite un personnel hautement qualifié, difficile à mobiliser localement dans certains territoires[40] ;
  • Risques d'accident industriel : par exemple, la production de batteries lithium-ion présente présente des risques liés à la nature et dangerosité des matériaux utilisés, à la complexité des procédés et liés à la taille exceptionnelle des gigafactories. Les étapes critiques comme le cell finishing ou la formation électrochimique sont particulièrement exposées au risque d'emballement thermique (thermal runaway) pouvant entraîner des incendies violents, explosions et émissions de gaz toxiques[41],[42]. Ce contexte implique des compartiments coupe-feu et des systèmes d’extraction de fumée adaptés, des détecteurs de gaz précurseurs d’emballement thermique, des systèmes d’extinction automatiques adaptés (eau, mousse, gaz), et en amont une conception architecturale utilisant la modélisation 3D et le BIM pour intégrer la gestion du risque et notamment faciliter l’évacuation et l’intervention des secours en cas d'accident, de feu, etc. A titre d'exemple, la gigafactory ACC en France a été équipée de 35 000 têtes de sprinklers, de systèmes de mousse et de réserves d’eau spécifiques pour faire face aux risques liés aux feux d'électrolytes[43]. La proxmité d'autres sites classés Seveso ou la densité de population autour des gigafactories soulèvent des préoccupations en cas d’accident majeur, et en France, lAutorité environnementale a critiqué le manque de transparence sur les études de danger et les scénarii de crise en cas d’incendie généralisé ; pour l'ONG Robin des bois, une gigafactory doit être considéré comme générant des méga-risques[44]

Au début des années 2020, des institutions comme la Faraday Institution, le Fraunhofer ISI et T&E ont publié des analyses soulignant que (jusqu'à 70 % des projets selon T&E) les gigafactories en Europe sont à risque de retard ou d'annulation, notamment en raison de l'évolution rapide des technologies et d'incertitudes économiques[8],[45].

Ainsi, la conception, la construction et la mise en service accélérées des gigafactories devrait s'accompagner d'un effort de flexibilité industrielle, d'une veille technologique constante, et d'une stratégie de reconversion potentielle pour limiter les risques d'obsolescence et de pertes économiques[8].

Impacts environnementaux

Dans la plupart des pays, une légisation environnementale impose une étude d'impact, des contrôles et des mesures compensatoires et/ou restauratoires, réglementaires : des dispositifs comme le règlement européen sur les batteries (2023) imposent des obligations de traçabilité (passeport batterie), de déclaration d’empreinte carbone et de recyclage (15 % minimum d’ici 2030)[46]. En France, le principe éviter-réduire-compenser doit être appliqué, dans cet ordre.

Impacts des gigafactories de batteries

Les usines produisant des batteries lithium-ion font l’objet d’études d’impact environnemental renforcées, notamment en Europe, en raison de leur taille, de leur consommation de ressources et des risques industriels associés. Ces études portent notamment sur :

  • la (sur)consommation d’eau : certaines usines, comme la Gigafactory Tesla de Grünheide (Allemagne), ont été controversées en raison de leur implantation dans des zones à faible disponibilité en eau. Les études soulignent les risques de surexploitation des nappes phréatiques et les effets sur les écosystèmes aquatiques locaux[47] ;
  • la consommation foncière, l'artificialisation du territoire, la déforestation ou la destruction d'espèces : l’implantation de la Gigafactory Tesla en Allemagne a entraîné l’abattage de près de 500 000 arbres, soit une perte estimée à 13 000 tonnes de CO₂ absorbé annuellement[48] ;
  • Pollution et rejets industriels : des dépassements de seuils de rejets de substances polluantes ont été signalés dans les eaux usées de certaines gigafactories, et les rejets de composés toxiques en cas d'incendie font craindre pour la qualité de l’eau, de l'air et des sols, ainsi que pour la santé publique et environnementale[49] ;
  • Déchets de production : les taux de rebuts peuvent atteindre 20 à 30 % en phase de démarrage, générant des volumes importants de déchets industriels, dont certains sont toxiques ou difficiles à recycler[50].

Le cas particulier des gigafactories d'IA

La notion de gigafactory d’intelligence artificielle désigne une infrastructure industrielle de très grande envergure dédiée au développement, à l’entraînement et au déploiement de modèles d’intelligence artificielle (IA) à l’échelle continentale. Inspirée du concept de gigafactory dans l'industrie des batteries, cette approche vise à répondre aux besoins croissants en puissance de calcul, en souveraineté technologique et en compétitivité économique. Les gigafactories d'intelligence artificielle sont principalement des infrastructures de calcul à très grande échelle, équipées de centaines de milliers de processeurs (GPU) de dernière génération (jusqu'à plusieurs centaines de milliers de GPU par site, soit 4 fois plus que les centres IA des débuts des années 2020)[51]. br>Elles posent des problèmes spécifiques environnementaux, d'aménagement du territoire et de consommation énergétique (de l'ordre de plusieurs centaines de mégawatts) et de ressources minérales stratégiques (métaux précieux, terres rares) dans un marché où elles sont en concurrence avec les centres de minage de cryptomonnaies et les data centers existants ou à venir (la consommation des data centers a bondi « de 300-380 TWh en 2023 à 415 TWh en 2024, et pourrait avoisiner 945 TWh d'ici 2030 selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE) si rien n'est fait) » alors que les émissions d'équivalent CO2 de Microsoft et Google bondissaient respectivement « de +30% et +48% ces dernières années »[51]. Les gigafactories d'IA hébergement des modèles comptant des centaines de milliards de paramètres, hébergeant des supercalculateurs dédiés à l'IA, offrant une puissance de calcul massive, permettant un développement collaboratif de modèles complexes, offrant un accès, possiblement mutualisé, à des PME, labos de recherche, chercheurs ou startups. Ces centres sont spécifiquement conçus pour favoriser le développement collaboratif de modèles d'IA complexes et offrir aux petites entreprises un accès à une puissance de calcul à grande échelle où entraîner, développer et déployer des modèles d'IA avancés, comme les grands modèles de langage ou l'Intelligence artificielle générative. Ces Usines à IA géantes peuvent elle-même être de plus en plus conçues et co-pilotées par des systèmes d'intelligence artificielle.

En Europe

En , la Commission européenne, dans le cadre de sa stratégie de souveraineté numérique du continent (face aux géants américains et chinois du numérique) veut réduire les risques liés à la dépendance des européens aux infrastructures cloud étrangères, tout en soutenant l'innovation dans le domaine de l'IA. Pour cela, elle annonce un appel d'offres dans l'année, visant à mobiliser des fonds pour la construction de gigafactories dédiées à l'IA (initiative InvestAI, visant 200 milliards d'euros d'investissements, dont 20 milliards spécifiquement alloués à la création de quatre à cinq gigafactories d'IA. Selon la commissaire européenne à la technologie, Henna Virkkunen, la grande majorité des réponses à l'appel à manifestation d'intérêt lancé par la Commission viennent d'acteurs européens, bien que les partenariats public-privé restent ouverts aux investisseurs internationaux. 76 projets ont été proposés dans 16 États membres. Ces gigafactories seront intégrées au réseau EuroHPC (Entreprise commune pour le calcul à haute performance européen, une initiative conjointe de l'Union européenne, de plusieurs États membres et de partenaires privés, basée au Luxembourg, visant à développer une infrastructure de supercalcul de classe mondiale en Europe, garantissant aussi l'interopérabilité et le partage de ressources). En 2025, sont disponibles le supercalculateurs LUMI (Finlande), Leonardo (Italie), MareNostrum 5 (Espagne) ou Jupiter (Allemagne), et divers centres de compétences nationaux accompagnent les PME, chercheurs et administrations dans l'usage du calcul intensif (ou HPC pour High Performance Computing).

L'EuroHPC JU est une initiative conjointe de l’Union européenne, des États membres et de partenaires privés, créée en 2018, devenue autonome en 2020, visant à développer un « écosystème européen de supercalcul de classe mondiale » (calcul intensif exascale et petascale). En 2025, EuroHPC finance et coordonne 13 AI Factories, 10 ordinateurs quantiques et 57 projets de recherche et innovation[52] ; Selon EuroHPC, les gigafactories d'IA devraient être conçues pour :

  • Héberger plus de 100 000 processeurs spécialisés (GPU ou accélérateurs IA) pour entraîner des modèles d'IA comptant des dizaines à centaines de milliards de paramètres[53] ;
  • Offrir une capacité énergétique sécurisée ou autonome, avec des systèmes de refroidissement avancés et une efficacité énergétique renforcée ;
  • Intégrer des centres de données souverains, des plateformes logicielles ouvertes et des environnements collaboratifs pour chercheurs, startups et industriels ;
  • Soutenir des secteurs stratégiques : santé, climat, mobilité, défense, finance, cybersécurité, etc.
  • Renforcer la 'souveraineté technologique' de l’Europe en matière de calcul, d’intelligence artificielle et de traitement quantique
  • Faciliter l’accès aux ressources de calcul pour les chercheurs, les industriels et les PME.

Ces usines à IA doivent notamment servir à la modélisation climatique et météorologique, la recherche médicale et la découverte de médicaments, la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité, l'innovation industrielle et la simulation numérique[54].

L’Union européenne a lancé en 2025 le programme InvestAI, doté de 20 milliards d’euros, pour financer jusqu’à 5 gigafactories IA en Europe[55]. Ce programme repose sur un modèle de financement mixte : 35 % de subventions publiques, 65 % de financements privés ; une coordination via le réseau EuroHPC et le Green Deal Industrial Plan et des appels à manifestation d’intérêt ouverts aux consortiums publics-privés européens. Invest pourrait par exemple soutenir le consortium Æther, porté par l’entreprise française 2CRSi, prévoit une gigafactory à Saint-Avold (Moselle), avec 200 000 GPU NVIDIA H100, une autonomie énergétique et 1 500 emplois annoncés[56] ;

Notes et références

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  2. « Northvolt : la gigafactory européenne de la production de batteries pour voitures électriques », sur Siècle Digital, (consulté le ).
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  5. (en) « Understanding gigafactories: EV Battery production explained », sur equans.com (consulté le ).
  6. (en) « Batteries included: Building and operating sustainable gigafactories », sur mckinsey.com (consulté le ).
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  8. How not to lose it all ; Two-thirds of Europe’s battery gigafactories at risk without further action (mars 2023) T&E – Battery Risk Report
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  11. Isaac Engelberg (2020) How Tesla Was Lured to Austin ; Travis County offered the electric car giant a package of tax incentives worth about $1200 a year for each of the five thousand jobs it promises to create at its new factory |https://www.texasmonthly.com/news-politics/tesla-giga-factory-austin/ Texas Monthly ; 29 juillet 2020
  12. « Les Gigafactory en Europe - Batteries and Véhicules Electriques » (consulté le ).
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Voir aussi

Articles connexes

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