Fair-play
Le fair-play, ou le franc-jeu[1] en français québécois, est une conduite honnête au jeu, et par extension dans toutes circonstances. Utilisé couramment dans le monde du sport, où le terme esprit sportif[2] est synonyme, ce concept recouvre à la fois le respect de l’adversaire, des règles, des décisions de l’arbitre, du public et de l’esprit du jeu, mais aussi la loyauté, la maîtrise de soi et la dignité dans la victoire comme dans la défaite.
Formation
La locution anglaise fair play est composée de l'adjectif fair et du substantif play. Le terme fair est primitivement associé à la beauté physique, puis à celle de l'action et peut aussi désigner, à compter du XIVe siècle, une conduite exempte de biais, de fraude ou d'injustice, par opposition au terme foul[3],[4]. De son côté, play s'applique à un état d'activité ou plus particulièrement à un jeu[5].
Histoire
L'expression anglaise fair play est réputée avoir été forgée par William Shakespeare dans Le Roi Jean (1598)[6],[7]. Elle est toutefois attestée dès le XIVe siècle[8] où elle connote une forme de courtoisie associée aux valeurs de la chevalerie[9]. Au début du XVe siècle, le poète anglais John Lydgate, traduisant Les Eschéz d'Amours rend par « fair play notable of the chesse »[10] l'expression « beau jeu notable [...] des eschéz »[11] employée dans la dédicace aux joueurs d'échecs. Le choix de cette expression ne semble pas être encore associé à une appréciation sur la manière dont le jeu est joué[12]. Deux siècles plus tard, dans un guide de conversation de 1593, John Eliot donne « Jouez beau jeu compagnon » pour équivalent de « play faire play »[13],[14] et en 1685, Charles Cotton, dans sa traduction des Essais de Michel de Montaigne, rend « beau jeu » par « fair play »[15],[16]. Le lexicographe Abel Boyer écrit encore en 1699 qu'un beau joueur est « celui qui joue franchement et sans se fâcher (one that plays fair, and never frets at play) »[17].
Selon le linguiste Manfred Höfler (de), le terme est attesté pour la première fois en France en 1816, dans un ouvrage de Louis Simond au sens de « veiller à ce que tout se passe honorablement et en conscience »[18],[19]. Elle est employée dès 1856 par Charles de Montalembert de manière métaphorique à propos du débat politique, pour évoquer un « besoin d'entendre discuter toutes les faces de la question, d'accorder la parole à tous les intérêts, à tous les partis, et de respecter les franchises de cette parole avec une tolérance qui semble quelquefois dégénérer en complicité »[20],[21].
Le lexicographe Jean Tournier indique, en 1998, que l'emprunt s'emploie en français à la fois comme substantif et comme adjectif (ex. « il est fair-play, respectueux des règles » et reste invariable dans les deux cas[22]. Pour sa part, l'essayiste Alfred Gilder, dans son dictionnaire franglais-français publié en 1999, définit la collocation comme l'« acceptation loyale des règles du jeu (sport, affaires) » et en donne comme traduction « jeu loyal »[23].
L'expression est depuis entrée dans le langage courant dans de nombreuses langues et constitue une pièce essentielle des « valeurs du sport ». Le terme anglais pour désigner le fair play est sportsmanship (sportivité) tandis que l’expression fair play désigne avant tout au Royaume-Uni la conformité à la règle[24]. Tous les auteurs ne sont cependant pas de l'avis que le fair-play est une valeur inhérente au sport. George Orwell affirme ainsi que « le sport sérieux n'a rien à voir avec le fair-play. Il est empreint de haine, de jalousie, de vantardise, de mépris des règles et de plaisir sadique à assister à la violence : autrement dit, c'est la guerre sans les fusillades[25],[26]. »
Intraduisibilité
Plusieurs auteurs estiment que le terme fair-play est intraduisible en d'autres langues[27],[28]. L'auteur américain Trevanian, qui considère le fair-play comme « plus important que l'abstraction de la justice », va même jusqu'à estimer de manière « cinglante »[29] qu'il est « totalement étranger à la mentalité des Français ; un peuple qui a produit des générations d’aristocrates, mais pas un seul gentleman ; une culture où le droit remplace la justice ; une langue où l’unique mot pour désigner le fair-play est emprunté à l’anglais »[30].
Selon l'anthropologue américaine Margaret Mead, ce qui rend le terme particulièrement intraduisible n'est pas l'idée qu'il faille jouer selon les règles, mais une considération sur la force relative des joueurs destinée à protéger le plus faible[31]. En revanche, selon le sociologue Alain Caillé, la notion de fair-play est inhérente au jeu[32]. L'antonyme de « comportement fair-play » pourrait être, en anglais « foul play » et en français « comportement antisportif »[33].
Notes et références
- ↑ « franc-jeu », Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française. Consulté le 15 juin 2010.
- ↑ « esprit sportif », Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française. Consulté le 15 juin 2010.
- ↑ (en) « Fair : adjective and noun », sur Oxford English Dictionary.
- ↑ Duke-Evans 2022, p. 23-24.
- ↑ Duke-Evans 2022, p. 25.
- ↑ (en) Juliet Dusinberre, « Troilus and Cressida and the Definition of Beauty », Shakespeare Survey, vol. 36, (lire en ligne).
- ↑ (en) Gordon Williams, Shakespeare, Sex and the Print Revolution, Londres, Athlone Press, (lire en ligne), p. 115.
- ↑ (en) Titus and Vespasian or the destruction of Jerusalem in rhymed couplets, Londres, (lire en ligne), p. 97.
- ↑ (en) Lipoński Wojciech, Landmarks in British history and culture : A monograph of selected issues, Poznań, Adam Mickiewicz University Press, , p. 326.
- ↑ (en) John Lydgate, Lydgate's Reson and sensuallyte, t. 1, Londres, Early English text Society, , p. 190.
- ↑ (en) Gregory Heyworth, Daniel E. O’Sullivan et Frank Coulson, Les Eschéz d’Amours : A Critical Edition of the Poem and its Latin Glosses, Leiden, Brill, , p. 14.
- ↑ Duke-Evans 2022, p. 26.
- ↑ (en) John Eliot, Orthoepia Gallica : Eliot's Fruits for the French, (lire en ligne), p. 56.
- ↑ Duke-Evans 2022, p. 30.
- ↑ (en) Michel de Montaigne (trad. Charles Cotton), Essays…new rendered into English by Charles Cotton, , p. 193.
- ↑ Duke-Evans 2022, p. 35.
- ↑ Abel Boyer, Dictionnaire royal françois-anglois et anglois-françois tiré des meilleurs auteurs qui ont écrit dans ces deux langues, t. 1, Wetstein, (1re éd. 1699) (lire en ligne), p. 79.
- ↑ Louis Simond, Voyage d'un Français en Angleterre pendant les années 1810 et 1811, t. 1, Paris, Treuttel et Würtz (lire en ligne), p. 169.
- ↑ Manfred Höfler, Dictionnaire des anglicismes, Paris, Larousse, , p. 93.
- ↑ Jouer loyalement
- ↑ Archives du Parisien.
- ↑ Jean Tournier, Les mots anglais du français, Belin, , p. 27 (rubrique fair-play).
- ↑ Alfred Gilder, En vrai français dans le texte : dictionnaire franglais-français, Le Cherche-Midi-Agence de la francophonie, coll. « Documents », , p. 109-110.
- ↑ Oxford Dictionnaries
- ↑ (en) George Orwell, « The Sporting Spirit », Tribune, (lire en ligne) — « Serious sport has nothing to do with fair play. It is bound up with hatred, jealousy, boastfulness, disregard of all rules and sadistic pleasure in witnessing violence: in other words it is war minus the shooting. ».
- ↑ (en) Steven Connor, A Philosophy of Sport, Reaktion Books, (lire en ligne), p. 5.
- ↑ Jean Humbert, Le français en éventail, Les Éditions du Panorama, , p. 57
- ↑ Marie-France Waxin et Christoph Barmeyer, Gestion des ressources humaines internationales, Wolters Kluwer France, (lire en ligne), p. 270
- ↑ (en) Justin Postlethwaite, « Le Fair-Play, a French Trait? », France Today, (lire en ligne).
- ↑ Trevanian (trad. Anne Damour), Shibumi, Gallmeister, (1re éd. 1981), p. 315, 243.
- ↑ (en) Margaret Mead, And Keep Your Powder Dry: An Anthropologist Looks at America, Berghahn Books, (lire en ligne), p. 91
- ↑ Alain Caillé, « Brèves remarques sur l’idée de fair-play », dans Don, intérêt et désintéressement, La Découverte, (lire en ligne).
- ↑ (pl) Jolanta E. Kowalska, « Fair play i faul play w świadomości uczniów Greig City Academy w Londynie », Journal of Education, Health and Sport, vol. 5, no 8, (lire en ligne [PDF]).
Bibliographie
- Bernard Andrieu, « La fin du fair-play ? Du « self-goverment » à la justice sportive », sur Revue du Mauss permanente, .
- Romain Bouniol, « Le fair-play, comportement loyal du sportif », dans Olivier Blin et Didier Guignard, Acteurs et valeurs du sport, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse Capitole, (DOI 10.4000/books.putc.17062).
- (en) Robert Butcher et Angela Schneider, « Fair Play as Respect for the Game », Journal of the Philosophy of Sport, vol. 25, no 1, (DOI 10.1080/00948705.1998.9714565).
- (en) Jonathan Duke-Evans, An English Tradition? : The History and Significance of Fair Play, Oxford, Oxford University Press, .
- (en) Sigmund Loland, « Fair-Play », dans Mike J. McNamee et William John Morgan, Routledge Handbook of the Philosophy of Sport, Londres, Routledge, .
- (en) Roland Renson, « Fair play : Its Origins and Meanings in Sport and Society », Kinesiology, vol. 41, no 1, .
- (en) John Simmons, « The Principle of Fair Play », Philosophy & Public Affairs, vol. 8, no 4, (JSTOR 2265067).
- (en) J. Serrano-Durá, P. Molina et A. Martínez-Baena, A, « Systematic review of research on fair play and sporting competition », Sport, Education and Society, vol. 26, no 6, (DOI 10.1080/13573322.2020.1786364).
- Laurent Thirouin, « Beau joueur, bon joueur : morales du jeu à l’âge classique », dans À quoi joue-t-on ? Pratiques et usages des jeux et des jouets à travers les âges, Montbrison, Festival d’Histoire de Montbrison, , p. 201-218.
- Georges Vigarello, Du jeu ancien au show sportif : La naissance d'un mythe, Paris, Seuil, .
Articles connexes
Liens externes
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