Ennemi de l'intérieur
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L'ennemi intérieur est une théorie selon laquelle la société serait infestée par une puissance invisible qu'il faudrait traquer.
Technique
L'ennemi intérieur peut être traqué à l'intérieur de l'appareil d'État ou bien au sein des voisinages[1].
Histoire
Moyen-Âge
Selon Vincent Parello, on peut faire remonter la figure de l'ennemi intérieur à l'époque de la Reconquista, après laquelle les pouvoirs catholiques ont systématiquement perçu les Morisques comme des traîtres potentiels[2]. Selon Mathieu Rigouste, l'imaginaire de l'ennemi intérieur est aussi à retracer au colonialisme français[3].
Révolution française
En se développe à Paris la rumeur que les prisons de la capitale sont peuplées de traitres qui complotent contre la Patrie, en lien avec les Emigrés de Coblence[4].
Première Guerre mondiale
La Première Guerre mondiale est une période historique propice à l’invocation de la menace d’ennemis intérieurs[1].
Années 1920 et 1930
Les années 1920 est marquée par la peur des agents bolchéviques[1].
Selon Tom Michaëlis :
La désignation de l'ennemi intérieur varie en fonction des États. En se penchant sur les cas des régimes totalitaires de l'URSS de Staline et de l'Allemagne nazie d’Hitler, l'ennemi intérieur est clairement identifié mais il est radicalement différent : ennemi de classe pour l'URSS et ennemi de race pour l'Allemagne nazie. Même si dans les deux cas la lutte contre l’ennemi entraine de nombreux morts, chez les nazis celui-ci ne peut échapper à son sort car il est considéré ennemi par sa naissance alors que chez Staline il l’est car non soumis à l’idéologie telle qu’elle est définie par le « Chef »[5].
Seconde Guerre mondiale
Dans un ouvrage sur le régime de Vichy en Corrèze, Nathalie Roussarie-Sicard décrit comment les gens communistes, juifs et franc-maçons sont pourchassés et raflés en vertu de leur perception comme des ennemis de l'intérieur ou comme anti-France[6].
Guerre froide
Cette construction rhétorique a été fameusement utilisée dans le contexte de la guerre froide, notamment en désignant les communistes au sein du premier monde comme une « cinquième colonne »[7],[8],[9]. Dans le second monde aussi, les courants d'opposition anarchiste ont été présentés comme des ennemis de l'intérieur, amalgamés à cet égard avec les Russes blancs[10]. Quant au Brésil, il y a aussi une persécution par la droite et les forces de l'ordre de ceux qu'elle perçoit comme des ennemis intérieurs, comme les militants autochtones, afro-brésiliens ou communistes[11],[12].
XXIe siècle
Selon Mathieu Rigouste, dans les années 2000, le concept d'ennemi intérieur se développe en France pour justifier un « arsenal sécuritaire » contre l'islamisme, le terrorisme, l'immigration clandestine, les incivilités ou les violences urbaines[13].
Selon Olivier Cahn, la rhétorique de l'ennemi intérieur constitue la clé de voûte de la radicalisation de l'antiterrorisme en France, au sein duquel il identifie la présente plus ou moins avouée de la théorie du droit pénal de l'ennemi. Selon cette doctrine, les personnes désignées comme ennemies de la société doivent être traitées sans respecter les standards fondamentaux du droit pénal. La logique de la guerre est ainsi appliquée par l'État à des individus[14]. Dans le cas de la colonisation sioniste, Maurice Rajsfus analyse la désignation des Palestiniens par la société israélienne comme ennemis de l'intérieur, stigmatisés comme terroristes[15]. Concernant la France des années 2000, Caroline Guibet Lafaye pointe la transformation du registre policier et militaire de lutte contre l'islam comme reposant sur la figure rhétorique de l'ennemi intérieur, renforcée par un imaginaire dénigrant les jeunes hommes arabes et les quartiers qu'ils habitent[16].
Selon François Fecteau, la criminalisation du militantisme dans les États néolibéraux effectue une récupération de la rhétorique de l'ennemi intérieur[17]. Angela Davis a ainsi été constituée en ennemie intérieure par les pouvoirs américains[18].
Enfin, selon Ayse Ceyhan, l'imaginaire de l'ennemi intérieur est aujourd'hui reconfiguré en Californie pour présenter les personnes racisées issues de l'immigration comme mauvaises et dangereuses[19].
Références
- Gaël Brustier, « «L’ennemi de l’intérieur», un refrain connu en politique », Slate, (lire en ligne, consulté le )
 - ↑ Vincent Parello, « Pedro de Valencia et la construction de l’ennemi intérieur », e-Spania. Revue interdisciplinaire d’études hispaniques médiévales et modernes, no 39, (ISSN 1951-6169, DOI 10.4000/e-spania.40018, lire en ligne, consulté le )
 - ↑ Mathieu Rigouste, L'ennemi intérieur: La généalogie coloniale et militaire de l'ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, (ISBN 978-2-7071-8176-3)
 - ↑ Gaël Brustier, « «L’ennemi de l’intérieur», un refrain connu en politique », sur Slate.fr, (consulté le )
 - ↑ https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03675484/document
 - ↑ Nathalie Roussarie-Sicard, Les ennemis de l'intérieur: communistes, juifs et francs-maçons en Corrèze (1934-1944), Pulim, coll. « Collection "Rencontre des historiens du Limousin" », (ISBN 978-2-84287-679-1, présentation en ligne)
 - ↑ Nicolas Texier, « « L’ennemi intérieur » : l’armée et le Parti communiste français de la Libération aux débuts de la guerre froide », Revue historique des armées, no 269, , p. 46–62 (ISSN 0035-3299, lire en ligne, consulté le )
 - ↑ Olivier Büttner et Annie Martin, « Imaginaires de guerre : l’ennemi intérieur en Guerre froide. France années 1950 », dans La Guerre froide vue d'en bas, CNRS Editions, , p. 21 (lire en ligne)
 - ↑ Gabriel Périès, « Du corps au cancer : la construction métaphorique de l'ennemi intérieur dans le discours militaire pendant la Guerre Froide. Partie 1 », Cultures & Conflits, no 43, (ISSN 1157-996X, DOI 10.4000/conflits.864, lire en ligne, consulté le )
 - ↑ Roland Lew, « L'ennemi intérieur et la violence extrême : l'URSS stalinienne et la Chine maoïste », Cultures & Conflits, no 43, (ISSN 1157-996X, DOI 10.4000/conflits.868, lire en ligne, consulté le )
 - ↑ Maud Chirio, « Lutter contre l’ennemi interne : la longue histoire d’une obsession de la droite brésilienne », Nuevo Mundo Mundos Nuevos. Nouveaux mondes mondes nouveaux - Novo Mundo Mundos Novos - New world New worlds, (ISSN 1626-0252, DOI 10.4000/nuevomundo.68827, lire en ligne, consulté le )
 - ↑ Rodrigo Nabuco de Araujo, « Chapitre 1. Figures de l’ennemi intérieur au Brésil. Des classes dangereuses au péril subversif », dans Mauvais sujets dans les Amériques, Presses universitaires du Midi, coll. « Méridiennes », , 35–45 p. (ISBN 978-2-8107-0937-3, lire en ligne)
 - ↑ Mathieu Rigouste, L'ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l'ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, (ISBN 978-2-7071-6915-0, lire en ligne)
 - ↑ Olivier Cahn, « « Cet ennemi intérieur, nous devons le combattre ». Le dispositif antiterroriste français, une manifestation du droit pénal de l’ennemi », Archives de politique criminelle, vol. 38, no 1, , p. 89–121 (ISSN 0242-5637, DOI 10.3917/apc.038.0089, lire en ligne, consulté le )
 - ↑ Maurice Rajsfus, L'ennemi intérieur: Israël-Palestine, Editions de l'Atelier, (ISBN 978-2-85139-087-5)
 - ↑ Caroline Guibet Lafaye, « Radicalisation : de l'adversaire à l'ennemi », Regards Sociologiques, nos 53-54, , p. 169 (lire en ligne, consulté le )
 - ↑ François Fecteau, « Criminalité militante. Vers la construction d’un nouvel ennemi intérieur ? », La Revue Nouvelle, vol. 4, no 4, , p. 40–46 (ISSN 0035-3809, DOI 10.3917/rn.222.0040, lire en ligne, consulté le )
 - ↑ Laure Gillot-Assayag, « « The Most Wanted Fugitive » : Angela Davis et la reconfiguration de l’ennemi intérieur (1969-1972) », IdeAs. Idées d'Amériques, no 20, (ISSN 1950-5701, DOI 10.4000/ideas.13860, lire en ligne, consulté le )
 - ↑ Ayse Ceyhan, « La fin de l'en-dehors : les nouvelles constructions discursives de l'ennemi intérieur en Californie », Cultures & Conflits, no 43, (ISSN 1157-996X, DOI 10.4000/conflits.569, lire en ligne, consulté le )
 
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