Desperado (échecs)

Aux échecs, une pièce desperado est, dans un premier sens, une pièce qui se sacrifie de manière qu’il y aura pat si elle est prise[1] (aux échecs, contrairement aux dames, il n’est généralement pas obligatoire de capturer une pièce adverse). Dans ce premier cas, une pièce desperado est généralement une dame ou une tour ; ce type de pièce est parfois aussi appelé « enragée » ou « folle » (par exemple tour folle).

Dans un second sens, il s’agit d’une pièce qui est en prise (dans une position où elle peut être capturée) mais qui est utilisée pour prendre du matériel adverse avant d’être elle-même prise[2].

Premier sens de pièce desperado : exemples

Evans-Reshevsky, 1963

Evans - Reshevsky
abcdefgh
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44
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22
11
abcdefgh
Position avant 47. h4!
Evans - Reshevsky
abcdefgh
8
8
77
66
55
44
33
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abcdefgh
Position après 50. Txg7+! – La Tour éternelle

L’un des exemples les plus connus est « l'arnaque du siècle »[3] entre Larry Evans avec les Blancs et Samuel Reshevsky[4]. Evans a sacrifié sa dame au 49ᵉ coup et a offert sa tour au 50ᵉ. La tour blanche a été surnommée la « tour éternelle ». La capturer mène à une partie nulle par pat, mais sinon, elle reste sur la septième rangée et inflige un échec perpétuel aux Noirs[5].

47. h4! Te2+ 48. Rh1 Dxg3?? (après 48...Dg6! 49. Tf8 De6! 50. Th8+ Rg6 les Noirs restent avec une pièce de plus après 51. Dxe6 Cxe6 ou matent après 51. gxf4 Te1+ et 52...Da2+)[6]

49. Dg8+! Rxg8 50. Txg7+ ½-½.

Henley-Bonin, 1983

Henley-Bonin
abcdefgh
8
8
77
66
55
44
33
22
11
abcdefgh
Partie nulle (trait aux Noirs)

Le cas suivant correspond à un sauvetage par un compétiteur accusant un grand handicap en termes de Classement Elo :

Ron Henley (grand maître international, 2525)-Jay Bonin (en) (maître FIDE, 2330), New York, 1983[7],[8]

44...Tf3+ 45. Txf3
45...Tb5+ 46. Re6
46...Te5+ 47. Rf7 (47. Rxe5?? Pat)
47...Te7+ 48. Rg8
48...Tg7+! 49. Rh8
49...Tg8+!! 50. Rh7
50...Tg7+ 51. fxg7 ½-½

Hegde-Palatnik, 1988

Hegde - Palatnik
abcdefgh
8
8
77
66
55
44
33
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abcdefgh
Les Noirs au trait ont la possibilité d'annuler par 59...Fg7!

Le cas exposé dans le diagramme ci-contre est rare : plutôt qu'une dame ou une tour, la pièce desperado y est « mineure ».

Cette position provient d'une partie jouée à Kozhikode en 1988 entre Ravi Gopal Hegde avec les Blancs et Semion Palatnik[9]. La position est apparue dans la section des finales du n°45 de Chess Informant. Les Noirs ont abandonné dans cette position, mais ils disposaient d’un moyen accessible pour obtenir le match nul : 59...Fg7! 60. Th4 Fd4! (menaçant 61...Fxa7)[10].

Prendre le fou conduit au pat, autoriser 61...Fxa7 permet la nulle, et 61. Th7 Fg7 entraîne une répétition de position.

Second sens

Tal - Keres, 1962
abcdefgh
8
8
77
66
55
44
33
22
11
abcdefgh
Ici, Keres a joué 18...Cd3!

Dans le second sens du terme, la pièce desperado, susceptible d'être capturée, s'empare d'une pièce adverse avant d’être elle-même prise. Un exemple est la partie Mikhaïl TalPaul Keres, tournoi des candidats, Curaçao, 1962[11] (voir le diagramme ci-contre).

Voyant que le cavalier blanc en d4 est sans protection, Keres proposa une simplification de la position par 18... Cd3!, car après 19. Fxd3 Fxd4 20. Tb1?, il disposerait de 20... Df6! attaquant simultanément les pions blancs b et f.

Fidèle à son style de jeu, Tal préféra les complications avec 19. Cc6? Cxf2! (desperado), où, aussi bien après 20. Rxf2 Db6+ qu'après 20. Cxd8 Cxd1 21. Cxf7 Cxb2 22. Cxd6 Cc4! 23. Cxc4 Fxa1, les Noirs auraient un avantage matériel.

Tal tenta :

20. Df3? Cxh3+! 21. Rh2

Si les Blancs prennent le cavalier, alors 21...Dxb6+ regagne la pièce et laisse les Noirs avec une position gagnante.

21...Fe5+! 22. Cxe5 dxe5 23. Tad1

Si 23. gxh3, alors 23...Dxd2.

23...Cf4!

Maintenant, sur 24. Fxf4 il suit 24...Dh4+. Les Noirs gagnèrent[2].

Notes et références

  1. (en) David Hooper et Kenneth Whyld, The Oxford Companion to Chess, Oxford University Press, , 2e éd., 486 p. (ISBN 978-0-19280-049-7).
  2. (en) Andrew Soltis, The Art of Defense in Chess, David McKay, (ISBN 0-679-130-438), p. 246-248.
  3. (en) Larry Evans, Modern Chess Brilliancies, Fireside, (ISBN 0-671-224-204), p. 15.
  4. Partie commentée sous Chessgames.com.
  5. Comme pour tout échec perpétuel, une nulle est conclue par accord mutuel ou est réclamée pour triple répétition de la position.
  6. (en) Hans Kmoch, Chess Review de Mars 1964, p.  76-79.
  7. Claude Santoy, Échecs: les finales, Éd. Marabout, 1984, (ISBN 978-250-1004-978), p. 107.
  8. Les 21 derniers demi-coups de cette partie figurent sur la base de données Chessbase.
  9. Partie commentée sous Chessgames.com.
  10. (en) Mark Dvoretski, Dvoretsky's Endgame Manual, 2e éd., Russell Enterprises, (ISBN 1-888-690-283), p. 237.
  11. Partie commentée sous Chessgames.com.
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