De l'équilibre des figures planes

De l'équilibre des figures planes

La première page du livre II d'une édition latine du Traité de l'équilibre des figures planes, tiré de Archimedes Opera Omnia, traduit et édité par Johan Ludvig Heiberg.

Auteur Archimède
Genre Physique, Mécanique et Géométrie
Version originale
Langue grec ancien

De l'équilibre des figures planes (grec ancien : Περὶ ἐπιπέδων ἱσορροπιῶν) est un traité d'Archimède en deux livres qui traite des problèmes de géométrie utiles à la mécanique. Son titre est parfois traduit par De l'équilibre des plans ou Traité sur l'équilibre des figures planes. Le premier livre contient une démonstration de la loi du levier et se termine par des propositions sur le centre de gravité du triangle et du trapèze. Le second livre, qui contient dix propositions, examine les centres de gravité de segments de paraboles.

C'est l'un des ouvrages qui ont fait qu'Archimède est considéré comme le père de la mécanique statique. Il a contribué à l'élaboration du concept de force, bien que ce terme n'y apparaisse pas explicitement.

Vue d'ensemble

Le levier et ses propriétés étaient déjà bien connus avant l'époque d'Archimède, et il n'était pas le premier à proposer une analyse de son principe[1]. Dans les Questions de Mécanique, ouvrage qui fut attribué à Aristote mais qui est probablement écrit par un de ses successeurs, on trouve une preuve sommaire de la loi du levier qui n'utilise pas le concept de centre de gravité. Il existe un autre fragment attribué à Euclide (bien que là encore cela soit considéré aujourd'hui comme erroné[2]) intitulé De la Balance qui contient aussi une preuve mathématique de la loi du levier, là encore sans recours au centre de gravité[3]. Par contraste, le concept de centre de gravité est crucial dans l’œuvre d'Archimède[4].

De l'équilibre des figures planes - livre I, comme d'autres ouvrages d'Archimède, se présente comme une série de demandes (c'est-à-dire de postulats) suivie d'une série de propositions (c'est-à-dire de théorèmes) accompagnées de leur preuve et parfois d'une figure. Avec ses sept postulats et quinze propositions, il utilise le centre de gravité pour des grandeurs commensurables et incommensurables[5] afin de justifier la loi du levier, bien que certains soutiennent qu'il ne le fait pas de manière satisfaisante[6], et prouve l'emplacement du centre de gravité de plusieurs figures géométriques.

De l'équilibre des figures planes - livre II partage le même sujet avec le premier livre mais a probablement été écrit a une date ultérieure. Il contient dix propositions et leurs preuves concernant exclusivement le centre de gravité de segments de paraboles, et examine ces segments en les remplaçant par des rectangles d'aire égale. Cet échange est rendu possible par les résultats obtenus dans La Quadrature de la parabole, un traité dont on pense qu'il a été écrit après le livre I[6],[7],[8].

Contenu

Livre I

La première partie du livre I traite des propriétés de base de la balance et de la loi du levier. Dans la proposition 4, Archimède prouve que le centre de gravité de deux masses égales est situé au milieu de la droite qui joint les deux centres des masses. Il utilise ce résultat pour prouver dans la proposition 5 que le centre de tout système de masse également distribué sur une droite sera situé au centre des deux masses les plus éloignées. Il utilise ensuite ces théorèmes pour prouver la loi du levier dans les propositions 6 (pour les cas commensurables) et 7 (pour les cas incommensurables). L'argument qui permet à Archimède d'établir la loi du levier et de situer le centre de gravité de nombreuses figures est la sixième proposition[9] : « Des grandeurs commensurables sont en équilibre, lorsqu'elles sont réciproquement proportionnelles aux longueurs, auxquelles ces grandeurs sont suspendues »[10].

La seconde partie, plus longue, se concentre sur le centre de gravité de figures de base de la géométrie plane. Archimède se sert des demandes et des propositions déjà démontrées pour situer le centre de gravité du parallélogramme et du triangle, et finit le livre avec une preuve du centre de gravité du trapèze.

Livre II

Le principal objectif du second livre de De l'équilibre des figures planes est de déterminer le centre de gravité de tout segment de parabole, ce à quoi il parvient à la proposition 8 : « Le centre de gravité d'un segment compris par une droite et par une parabole partage le diamètre, de manière que la partie qui est vers le sommet est égale à trois fois la moitié de la partie qui est vers la base »[10].

Le livre commence par une preuve simple de la loi du levier dans la proposition 1, en faisant référence à un résultat prouvé dans La quadrature de la parabole. Archimède apporte alors la preuve de sept nouvelles propositions en combinant le concept de centre de gravité et les propriété de la parabole avec les résultats prouvés dans De l'équilibre des figures planes livre I, pour parvenir finalement à prouver la proposition 8 citée ci-dessus.

Les deux dernières propositions, 9 et 10, sont assez complexes et ont pour objet la détermination du centre de gravité d'une figure coupée d'un segment de parabole par deux droites parallèles[11].

Postérité

Antiquité et Moyen-Âge

Les ouvrages de mécanique d'Archimède, dont De l'équilibre des figures planes, étaient connus mais peu lus dans l'Antiquité. Aussi bien Héron que Pappus d'Alexandrie font référence à Archimède dans leurs œuvres de mécanique, principalement dans leurs discussions au sujet du centre de gravité et de l'avantage mécanique. Quelques auteurs romains comme Vitruve avaient apparemment aussi quelques connaissances des œuvres d'Archimède[9],[12]. Eutocius d'Ascalon a également écrit des commentaires de plusieurs ouvrages d'Archimède, dont De l'équilibre des figures planes[13], dans lesquels il tente d'éclaircir certaines démonstrations.

Une phrase attribuée à Archimède est souvent associée à cet ouvrage et a beaucoup compté dans l'établissement de la figure d'Archimède : « Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde ». Elle est peut-être apocryphe, mais se retrouve dans des ouvrages grecs et latins antiques. D'après Plutarque dans la Vie des hommes illustres[14] il aurait dit devant le roi Hiéron : « Donne-moi où je puisse me tenir ferme et j'ébranlerai le monde » (en grec ancien : δῶς μοι πᾶ στῶ καὶ τὰν γᾶν κινάσω), parfois librement traduit comme ci-dessus. Après quoi Plutarque décrit une démonstration réalisée par Archimède de ce principe, avec une machine à soulever des bateaux. La même phrase est reprise dans la Synagogè de Pappus d'Alexandrie[15].

Il est clair que cette phrase est logiquement liée au travail d'Archimède sur les leviers et à sa compréhension de l'avantage mécanique. Cependant même si on suppose que Plutarque n'invente pas son anecdote, il n'est pas établi que ce sont les travaux pour ces deux livres Sur l'équilibre des figures planes qui en fournissent le contexte[16]. Pappus mentionne[15] un autre ouvrage Sur les balances, aujourd'hui perdu, qui aurait contenu la description de la machine évoquée par Plutarque.

Au Moyen-Âge, quelques auteurs arabes étaient familiers des œuvres d'Archimède sur les balances et le centre de gravité ; cependant dans l'occident latin, ces idées étaient pratiquement inconnues sauf dans une poignée de cas limités[17],[18].

Renaissance tardive

C'est seulement vers la fin de la Renaissance que les résultats prouvés dans De l'équilibre des figures planes commencent à être largement connus du monde savant. L'approche mathématique de la physique qui était celle d'Archimède devient alors un modèle pour des scientifiques comme Guidobaldo del Monte, Bernardino Baldi, Simon Stevin, et Galileo Galilei[19],[20].

Le concept de centre de gravité atteint un haut degré de sophistication dans la première moitié du dix-septième siècle, en particulier dans les ouvrages d'Evangelista Torricelli et de Christiaan Huygens, et joue un rôle pivot dans le développement de la mécanique classique[21],[22].

Éloges et critiques modernes

C'est l'un des ouvrages qui ont fait qu'Archimède est considéré comme le père de la mécanique statique[23], ses autres ouvrages sur le sujet étant un traité perdu Sur les balances mentionné par Pappus[15] et le traité Des corps flottants. Ce texte marque également une étape importante de l'élaboration du concept de force, bien que ce terme n'y apparaisse pas explicitement contrairement à Des corps flottants.

Cependant dès le début du dix-neuvième siècle et depuis lors, la qualité du raisonnement logique d'Archimède dans cet ouvrage a été remise en cause. Ainsi, la démonstration de la proposition 9 du livre II est jugée assez sévèrement par Lagrange et Delambre, qui relèvent que déjà Eutocius la trouvait obscure mais qu'il n'a pas rendu plus claire celle d'Archimède[24], alors qu'elle est facilement démontrée par l'algèbre comme le montre Peyrard dans ses commentaires[10].

Mais ce sont surtout les incohérences du livre I de De l'équilibre des figures planes qui ont été critiquées par plusieurs savants[1],[25],[26]. Ainsi, Berggren remet en question l'authenticité de presque la moitié du livre I, en relevant par exemple les redondances des propositions 1-3 et 11–12. Cependant, il suit Dijksterhuis[11] dans le rejet de la critique de la proposition 6 par Ernst Mach[26]. La proposition 7 en revanche demeure incomplète dans sa forme actuelle, de sorte qu'on ne peut pas affirmer rigoureusement qu'Archimède a démontré la loi du levier pour les grandeurs irrationnelles[8],[25]. Le livre II n'est pas affecté par ces défauts car, si on excepte la première proposition, il n'a pas pour objet le levier[11]. Il n'y a pas non plus de définition du centre de gravité dans l'ensemble des œuvres connues d'Archimède, ce qui conduit certains savants à affirmer qu'il est difficile de suivre ou de justifier la structure logique des arguments dans De l'équilibre des figures planes[1],[4].

Notes et références

  1. (en) George Goe, « Archimedes' theory of the lever and Mach's critique », Studies in History and Philosophy of Science Part A, vol. 2, no 4,‎ , p. 329–345 (ISSN 0039-3681, DOI 10.1016/0039-3681(72)90002-7, lire en ligne, consulté le )
  2. Euclide (auteur), Bernard Vitrac (traducteur) et Maurice Caveing (traducteur), Les éléments: trad. du texte de Heiberg géométrie plane, Presses universitaires de France, coll. « Bibliothèque d'histoire des sciences », (ISBN 978-2-13-043240-1), p. 27-28
  3. (en) Jürgen Renn, Peter Damerow, Peter McLaughlin et José Luis Montesinos Sirera (éditeur), Symposium Arquímedes Fundación Canaria Orotava de Historia de la Ciencia, , 86 p. (lire en ligne), « Aristotle, Archimedes, Euclid, and the Origin of Mechanics: The Perspective of Historical Epistemology », p. 43-59
  4. C P Magnaghi et A K T Assis, « Calculation of the centre of gravity of the cone utilizing the method of Archimedes », European Journal of Physics, vol. 33, no 3,‎ , p. 637–646 (ISSN 0143-0807 et 1361-6404, DOI 10.1088/0143-0807/33/3/637, lire en ligne)
  5. C'est-à-dire, en termes modernes, rationnelles et irrationnelles. Ce vocabulaire propre aux textes antiques sera utilisé dans ce sens dans le reste de l'article. Il est expliqué notamment dans : Árpád Szabó (de) (trad. de l'allemand par Michel Federspiel), L'aube des mathématiques grecques [« Entfaltung der grieschischen Mathematik »], Vrin, (1re éd. 1993), 367 p. (ISBN 2-7116-1279-1, lire en ligne), partie III, « L'irrationalité mathématique ».
  6. (en) J. L. Berggren, « Spurious theorems in Archimedes' equilibrium of planes: Book I », Archive for History of Exact Sciences, vol. 16, no 2,‎ , p. 87–103 (ISSN 1432-0657, DOI 10.1007/BF00349632, lire en ligne, consulté le )
  7. Bernard Vitrac, « À propos de la chronologie des œuvres d'Archimède », dans Jean-Yves Guillaumin (dir.), Mathématiques dans l'Antiquité, Université de Saint-Étienne, Centre Jean Palerne, coll. « Mémoires » (no XI), , p. 62
  8. (en) Archimède (auteur) et T. L. Heath (traducteur et éditeur), The Works Of Archimedes, Cambridge, Cambridge University Press, (lire en ligne)
  9. (en) André Koch Torres Assis, Archimedes, the Center of Gravity, and the First Law of Mechanics: 2nd edition - The Law of the Lever, Montréal, Apeiron, (ISBN 978-0-9864926-4-8, lire en ligne)
  10. Archimède (auteur) et François Peyrard (traducteur), De l'équilibre des figures planes, Paris, François Buisson (libraire-éditeur), (lire en ligne)
  11. (en) Eduard Jan Dijksterhuis, Archimedes, Princeton U. Press, 1987 (copyright 1938), (ISBN 0-691-08421-1 et 0-691-02400-6)
  12. (en) A. G. Drachmann, « Archimedes and the Science of Physics », Centaurus, vol. 12, no 1,‎ , p. 1–11 (ISSN 1600-0498, DOI 10.1111/j.1600-0498.1968.tb00074.x, lire en ligne, consulté le )
  13. Decorps-Foulquier dans Eutocius, Decorps-Foulquier et Federspiel 2014, p. IX.
  14. Plutarque (auteur) et Alexis Pierron (traducteur), Vie des hommes illustres, Vie de Marcellus, Paris, Charpentier, (lire en ligne), chap. XIX
  15. Pappus d'Alexandrie (auteur) et Paul Ver Eecke (traducteur), La Collection Mathématique, Paris - Bruges, Desclée de Brouwer, , 1110 p. (lire en ligne), p. 836-837
  16. S. Berryman, « How Archimedes Proposed to Move the Earth », Isis, vol. 111, no 3,‎ , p. 562–567 (ISSN 0021-1753, DOI 10.1086/710317, S2CID 224841008, lire en ligne)
  17. Marshall Clagett, « The Impact of Archimedes on Medieval Science », Isis, vol. 50, no 4,‎ , p. 419–429 (ISSN 0021-1753, DOI 10.1086/348797, lire en ligne, consulté le )
  18. (en) Jens Høyrup, « (Article I.16.) Archimedes – Knowledge and Lore from Latin Antiquity to the Outgoing European Renaissance », dans Selected Essays on Pre- and Early Modern Mathematical Practice, Springer International Publishing, (ISBN 978-3-030-19258-7, DOI 10.1007/978-3-030-19258-7_17, lire en ligne), p. 459–477
  19. (en) Paolo Palmieri, « Breaking the circle: the emergence of Archimedean mechanics in the late Renaissance », Archive for History of Exact Sciences, vol. 62, no 3,‎ , p. 301–346 (ISSN 1432-0657, DOI 10.1007/s00407-007-0012-8, lire en ligne, consulté le )
  20. (en) D. Meli, Mary Domski (éditeur) et Michael Dickson (éditeur), Discourse on a New Method: Reinvigorating the Marriage of History and Philosophy of Science, Open Court Publishing, (ISBN 978-0-8126-9662-2), « The axiomatic tradition in seventeenth-century mechanics », p. 23-41
  21. Raffaele Pisano et Paolo Bussotti, « Notes on mechanics and mathematics in Torricelli as physics-mathematics relationships in the history of science », Problems of Education in the 21st Century, vol. 61,‎ (ISSN 1822-7864, DOI 10.33225/pec/14.61.88, lire en ligne, consulté le )
  22. (en) M. Van Dyck, Encyclopedia of early modern philosophy and the sciences, Springer, coll. « Springer Nature Living Reference History », (ISBN 978-3-319-20791-9), « Mechanical philosophy : science of mechanics », p. 1-11
  23. Jacques Bouveresse, Jean Itard et Émile Salé, Histoire des mathématiques, Larousse, coll. « Encyclopédie Larousse », , p. 148
  24. Joseph Louis Lagrange et Jean-Baptiste Joseph Delambre, « Rapport fait à L'Institut National, Classe des Sciences Physiques et Mathématiques, par MM. Lagrange et Delambre, sur la traduction des Œuvres d'Archimède. » [PDF], (consulté le )
  25. (en) J. L. Berggren, « Spurious theorems in Archimedes' equilibrium of planes: Book I », Archive for History of Exact Sciences, vol. 16, no 2,‎ , p. 87–103 (ISSN 1432-0657, DOI 10.1007/BF00349632, lire en ligne, consulté le )
  26. (en) Ernst Mach, The science of mechanics, a critical and historical account of its development;, Chicago, Open Court, (lire en ligne)

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