Blanche ou l'Oubli

Blanche ou l'Oubli
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Blanche ou l'Oubli est un roman de Louis Aragon publié en 1967, dans lequel un narrateur, Geoffroy Gaiffier, à travers le personnage fictif de Marie Noire cherche à comprendre les raisons de sa rupture avec sa femme Blanche trente ans plus tôt. Le roman se présente comme une réminiscence de trente années, où s'enchevêtrent les plans temporels : passé, présent, mémoire, oubli, ainsi que le blanc et le noir, de même que les points de vue narratifs ou instances d'énonciation, l'autobiographie allégorique et l'histoire.

Blanche incarne la femme aimée par le passé à travers l'allégorie - de la page blanche et de l'oubli - d'un auteur en proie à sa solitude, qui se confronte à son écriture afin de retrouver, dans l'encre noire et grâce à la représentation du personnage dénommée Marie-Noire, l'essence du présent d'une mémoire qu'il semble s'obstiner à ne pas vouloir oublier.

Analyse

Références

Le livre combine des références les événements qui ont mené en Indonésie à près d'un million de morts de et aux autres événements de 1952 comme la manifestation contre le général Ridgway, faisant un rapprochement entre les deux[1]. En décembre 1951, Aragon avait visité Maurice Thorez en URSS puis vanté sa pensée, au retour, dans L'Humanité, pour expliquer qu'il s'opposait à l'ouvriérisme[1]. Selon les mémoires de Pierre Juquin publiées en 2014, aux aux Editions de l'Archipel, ce sont Auguste Lecoeur et Jacques Duclos qui avaient "lancé la manifestation contre le général Ridgway"[1] et Aragon avait annoncé en octobre 1952 le retour de Thorez en écrivant un poème que L'Humanité n'a pas publié[1].

Références à la conférence de Bandung

En toile de fond sont exposés les événements qui ont mené en Indonésie à l'accession au pouvoir du Président Soekarno après l'indépendance du pays et à la conférence de Bandung. " Au cours de la seconde moitié du chapitre « Tout l’orge de l’avenir », des interrogations douloureuses vont crescendo"[2]. Le narrateur égaré « au cœur de juillet 1966 comme d’une île déserte, après un naufrage », doute de pouvoir « reconstituer le navire perdu ». La phrase se brise qui tente de revenir à Sukarno en 1952, à la recherche du "maillon manquant dans le déroulement des faits qui a conduit à cette horreur"[2].

Références à Luna-Park

Dans ce roman, Louis Aragon fait de nombreuses références à Luna-Park, roman de sa compagne Elsa Triolet paru en 1959, dont il reprend le personnage de Blanche Hauteville.

Manifestation contre le général Ridgway

Selon l'historien Michel Pigenet, c'est "Blanche ou l'oubli" qui acheva de le convaincre de l'intérêt qu'il y avait à se pencher sur la manifestation contre le général Ridgway du 28 mai 1952[3]. Le soir même, le ministre de l'intérieur avait effectué une déclaration sur des "commandos armés" du PCF qui ont tenté un complot contre les institutions républicaines"[3], soutenu par le ministre de l'Information Raymond Marcellin, dénonçant des "coups de main" dont les auteurs seraient "des nord-africains, des étrangers et des jeunes gens"[3]. Michel Pigenet a en effet étonné de trouver dans les archives une très forte différence dans l'attitude des habitants parisiens des rues où se produisaient les événement, qui ont très peu soutenu les manifestants pourchassés, alors qu'ils avaient eu une attitude inverse en février 1934[3].

« Nous étions déjà les gens d'un autre temps, il faut le croire », écrit Louis Aragon au sujet des événements de mai 1952, par la voix du narrateur de Blanche ou l'Oubli, qui, évoquant la journée du 28 mai de 1952, rencontre des ouvriers en cortège « sur le quai, près de chez Renault »[4]. Dans ce texte, la manifestation contre le général Ridgway, un des événements de 1952, "se dissout sous l’effet corrosif" du "doute principiel": le personnage Gaiffier, dans les pages 419-420, se moque de sa crédulité de manifestant et de celle du “peuple” abusé, lorsqu'il y repense : “Où commence, où finit la première personne du plu¬ riel ? Eux, ils s’étaient mis à l’abri. Des communistes. Cela me faisait mal, et pourtant moi, de quel nous étais-je bien ? [...] J’avais mal, Blanche, j’avais mal, de sentir en moi, comme un froid, une sorte de doute en moi, j’avais mal à notre âme, tu comprends ?"[5]. Résultat, ces événements blasons de la foi et de la vie communistes voient leur sens se déliter", selon Julia Kristeva.

Être « devenus des étrangers, pour les gens », en si peu de temps, « sept ans après la Libération, si complètement séparés d’eux, des autres », rend patente la dissolution du nous et pourrait ébranler au plus profond les convictions, la certitude d’avoir raison envers et contre tout, a estimé en 2014 Réginald Lahanque[2]. Pour Aragon, la manifestation contre le général Ridgway devient ainsi "l’échec d’une fraction du peuple-classe (les communistes) à vouloir incarner le peuple-nation"[6],[7].

Au début de 1952, Louis Aragon avait au contraire exprimé une foi inébranlable de retour d'URSS, dans celui qu'il présentait comme «  un professeur d’énergie nationale », via l’article intitulé « Une visite à M. Thorez », publiée d’abord dans L'Humanité en février 1952[2]. Fin mai 1952 il avait écrit la première étape, par un simple article, de la brochure "Le Neveu de M. Duval", publiée ensuite en 1953 comportant aussi un écho du Congrès des Peuples, organisé à Vienne, en décembre 1952, où il décrit l'accueil chaleureux reçu par un Français qui venait de s'exprimer à la tribune[7], point qui alimentera "une autre séquence d’autocritique" d'Aragon, dès 1965, dans La Mise à mort, au chapitre « Murmure », sous la forme d’un aveu indirect sur le monstre stalinien et l’aveuglement de l’auteur face à lui[7].

Notes et références

  1. "De battre mon coeur n'a jamais cessé", par Pierre Juquin, aux Editions de l'Archipel en 2006[https://www.google.fr/books/edition/De_battre_mon_coeur_n_a_jamais_cess%C3%A9/lLjLDwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=%22andr%C3%A9+stil%22+juquin&pg=RA1-PT109&printsec=frontcover}
  2. Lahanque, Reynold. « Oublier Barrès, oublier l’Indonésie ». Recherches croisées Aragon - Elsa Triolet, n°15, édité par Corinne Grenouillet et al., Presses universitaires de Strasbourg, 2014, [1]
  3. "Au coeur de l'activisme communiste des années de Guerre froide. La manifestation Ridgway" par Michel Pigenet 1992 [2]
  4. "Renault Billancourt, 1950 – 1992. Le parti communiste et les ouvriers. Identités ouvrières et identité de parti" Thèse pour le doctorat d'histoire, par Alain VIGUIER, octobre 2017, sous la direction de Michel Pigenet [3]
  5. "Irène, Blanche et l'oubli", par Julia Kristeva, dans la revue Textuel en 1999 [4]
  6. Corinne Grenouillet, Patricia Principalli. Déterminations politiques de l’écriture du peuple chez Aragon. Recherches croisées Aragon / Elsa Triolet, 2007, 11 (”Aragon politique”), pp.193-206. [5]
  7. "Écriture(s) polémique(s) et guerre froide : du journal au roman", article de Maryse Vassevière, dans la Revue des sciences humaines en 2021 [6]
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