Avant Godot

Avant Godot est un récit littéraire de Stéphane Lambert paru en 2016 aux éditions Arléa (réédité en format de poche en 2023 aux éditions Arléa) qui a obtenu en 2017 le prix Roland de Jouvenel à l’Académie Française.

Résumé

D’octobre 1936 à avril 1937, Samuel Beckett fait un « étonnant voyage »[1] en Allemagne pour se confronter à l’art à l’heure même où le régime nazi évacue des collections publiques les œuvres dites dégénérées. Le 14 février 1937 à Dresde, il note laconiquement dans un carnet sa prédilection pour un petit tableau de Caspar David Friedrich peint en 1819, Deux hommes contemplant la lune[2], dont il dira plus tard qu’il est la source d’inspiration d’En attendant Godot[3]. A partir de cet énigmatique et unique repère, Stéphane Lambert tente de comprendre ce qui a pu tant interpeller Beckett dans cette peinture au moment où l’écrivain irlandais traversait une crise profonde. Quelques années plus tôt, il suivait une psychothérapie à Londres[4]. Sa disposition à vivre trop dans l’intériorité générait angoisse et symptômes physiques dont il voulait venir à bout. Avant son départ pour l’Allemagne, il avait terminé l’écriture d’un roman (Murphy) autour du processus mortifère de repli sur soi-même. Mais Beckett peinait à lui trouver un éditeur[4]. En quête de sa propre voix littéraire, il devait s’émanciper de l’influence de Joyce. Depuis sa démission de son poste d’enseignant à Trinity College en 1932[5], son choix de s’orienter vers l’écriture était devenu une source de conflit permanent avec sa mère qui le pressait de trouver une situation stable. La traduction qu’il avait entreprise d’un philosophe flamand méconnu du 17e siècle, Arnold Geulincx, « pour qui l’homme est […] condamné à se débrouiller avec les moyens du bord »[6], avait commencé à le conforter dans la direction qu’il avait prise. Partant de tous ces éléments, Stéphane Lambert refait le voyage allemand à l’aune de sa propre fascination pour l’œuvre de Beckett et de Friedrich, et engage une « subtile réflexion »[3] sur la manière dont la peinture peut « ouvr[ir] la voie à l’écriture »[7].

Commentaire

  • Comment un créateur trouve sa voie à travers tout ce qui l’en détourne ? Comment une œuvre voit le jour ? « Par quel lent processus se cristallisent sensations, idées, solitudes, en une forme définie et partageable ? Quels en sont les déclencheurs, les accélérateurs ? »[5] Ce sont les questions qu’aborde le récit de Stéphane Lambert. « En posant ses pas dans ceux de Samuel Beckett, avant que Beckett ne devienne Beckett. »[8], il ouvre « une réflexion sur l’indiscernable travail d’ensemencement des œuvres »[9].
  • « Mêlant informations objectives et analyses plus personnelles, Lambert propose un livre passionnant »[1] qui offre « un émouvant portrait de Beckett à l’aube de la trentaine »[10]. « Beckett face aux deux compères nocturnes de Friedrich est avant tout un homme qui se sait appartenir, par nature, au monde de la limite »[6], « un homme qui trembl[e], solitaire “avec” les autres »[1]. En ouverture du livre, Stéphane Lambert « imagine » une rencontre de Beckett avec l’œuvre iconique de C.D. Friedrich, Voyageur contemplant une mer de nuages (1818), qui est comme le reflet de son propre « tourment »[5] : « le trouble d’être celui qui est là, posé dans ce monde »[11], et de pouvoir s’observer observant ce monde.
  • « Face aux deux personnages du tableau de Friedrich, l’un s’appuyant sur l’épaule de l’autre dans un paysage désolé dominé par un arbre déraciné le tout baignant dans une lumière cendrée, Beckett prend conscience de cet insaisissable qui lui permettra de donner une forme à sa propre détresse intérieure. […] En mettant le doigt sur ce détail, Stéphane Lambert fait surgir […] Vladimir et Estragon[12] sur leur route de campagne avec arbre. »[3] Les deux hommes du tableau, « qui rappellent les nombreux “couples” beckettiens »[1], enseignent la fraternité devant la catastrophe[5].
  • « Beckett cherche dans l’art un chemin pour trouver son écriture. »[13] « Face à la capacité de l’image à condenser le sens sans devoir l’énoncer, il aurait perçu le moyen » de dépasser les limites du langage[5]. Après ce séjour en Allemagne, Beckett s’installera à Paris et, en choisissant la langue française, inaugurera une nouvelle manière d’écrire d’où écloront des « textes prodigieux »[14] récompensés par le prix Nobel de littérature en 1969.

Références

  1. François Poirié, Art Press, mars 2016
  2. Michel Crépu, « Beckett au clair de lune », www.lanrf.fr, 3 décembre 2015
  3. Pierre Assouline, « Sur Godot, on n’attendait plus que Beckett », blog La République des livres, 5 décembre 2015
  4. Jacques Franck, « Beckett face au peintre Friedrich », La Libre Belgique, 18 janvier 2016
  5. Valérie Nidgélian, « La nuit en partage », Le Matricule des anges, février 2016
  6. Michel Crépu, « Beckett au clair de lune », www.lanrf.fr, 3 décembre 2015
  7. Valérie Nidgélian, « La nuit en partage », Le Matricule des anges, février 2016
  8. Valérie Nidgélian, « La nuit en partage », Le Matricule des anges, février 2016
  9. Claire Devarrieux, Libération, 10 janvier 2016
  10. Sophie Pujas, « L’œil de Beckett », Le Point, 3 mars 2016
  11. Avant Godot, Arléa, 2016, p.20
  12. personnages principaux de la pièce En attendant Godot
  13. François Poirié, Art Press, mars 2016
  14. Michel Crépu, « Beckett au clair de lune », www.lanrf.fr, 3 décembre 2015
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