Antoine Favre (juge)

Antoine Favre

Antoine Favre à la CEDH, c. 1970
Fonctions
Juge à la Cour européenne des droits de l'homme
Successeur Denise Bindschedler-Robert
Juge au Tribunal fédéral suisse
Conseiller national
Circonscription Canton du Valais
Législature 32e à 34e
Commission CPE et CdG
Successeur René Jacquod
Député au Grand Conseil du Canton du Valais
Circonscription District de Sion
Biographie
Date de naissance
Lieu de naissance Sion
Date de décès (à 77 ans)
Lieu de décès Sion
Nationalité suisse
Parti politique Parti conservateur populaire
Enfants Edmée Buclin-Favre
Diplômé de Université Paris-Sorbonne, Université de Fribourg
Profession Juriste, Professeur de droit
Distinctions sénateur honoraire, Université de Fribourg

Antoine Favre, né le à Sion et mort le dans cette même ville, est un juge fédéral, professeur de droit et homme politique suisse. Il est notamment député du canton du Valais au Conseil national de à et juge à la Cour européenne des droits de l'homme de jusqu'à sa mort[1].

Biographie

Originaire du canton du Valais, de Chamoson et Sion, où il grandit, il est le fils de Camille Favre (1865-1928), vétérinaire cantonal, et d’Émilie-Philomène Dubuis (1867-1925)[2]. Troisième enfant d'une famille de onze, il est également le frère de l'écrivaine Claire Lucques[3]. En 1925, il épouse Jeanne-Marie Feigel (1900-1967), de Bulle. Ils ont six enfants, dont la féministe Edmée Buclin-Favre.

Après l'obtention d'une maturité classique au Collège de Sion, il entreprend des études d'histoire et de philosophie (licence ès lettres obtenue à l'Université Paris-Sorbonne en 1919), puis de droit (licence en droit obtenue à l'Université de Fribourg en 1922). À la suite d'un séjour à l'Université Humboldt de Berlin de 1923 à 1924, il obtient son doctorat en droit en 1926 à Fribourg sur « la cause des obligations »[2],[4],[5],[6].

Parcours professionnel

Au niveau national

Après l'obtention d'un brevet de notaire en 1922 et d'avocat en 1925, il ouvre une étude à Sion. En parallèle, il est rédacteur en chef du journal politique conservateur Le Valais (1925 - 1927), puis de son successeur La Patrie valaisanne (1927 - 1930)[2],[7], et ainsi rude adversaire du mouvement libéral-radical valaisan et de son organe, le journal Le Confédéré[8],[9]. Durant cette période, il occupe aussi la charge de juge-instructeur suppléant du district d'Hérens-Conthey (1929 - 1930)[10].

Après sa nomination comme professeur extraordinaire à l'Université de Fribourg en 1930 en droit pénal, puis en droit public et en droit international[4],[11], il s'oriente vers une carrière académique et accède au poste de professeur ordinaire le , fonction qu'il occupera jusqu'au [2]. N'abandonnant pas la pratique pour autant, il rouvre une étude à Sion en 1938[6]. Durant ces années à Fribourg, il eu notamment comme recteur de à , le professeur Gaston Castella, un cousin par alliance, et il a lui-même été doyen de la Faculté de droit de à [12].

À la suite du décès de Louis Couchepin, l'Assemblée fédérale l'élit à la fonction de juge fédéral le . Il quitte alors Sion pour s'établir à Pully, à proximité de Lausanne. En tant que membre et président de la chambre de droit public et administratif du Tribunal fédéral[13], il est appelé à donner de nombreux avis, soit au Conseil fédéral, soit aux gouvernements cantonaux[11],[14].

Durant ces années au Tribunal fédéral, il conserve la chaire de droit international à l'Université de Fribourg comme professeur honoraire et chargé de cours[15]. Ses qualités d'enseignant l'amènent aussi à enseigner à l'Université de Lausanne en . Il y remplace le professeur Marcel Bridel, appelé à Chypre comme conseiller juridique au sein de la commission mixte chargée de rédiger le projet de constitution de l'île[16]. À sa retraite, l'Université de Fribourg lui confère le titre de sénateur (en) honoraire le [17],[18] et il maintient sa collaboration avec cette université jusqu'en 1971[14].

En Suisse, parallèlement à ses fonctions de magistrat et de professeur, Antoine Favre est aussi membre du comité central de la Société suisse de radiodiffusion, où il fut président de sa commission juridique et membre du Conseil de Fondation de la caisse de pension de son personnel[19]. À la fin des années 1960, il est également chargé d'étudier le projet du premier article constitutionnel sur la radiodiffusion et la télévision avec le professeur Hans Huber, avant de rejoindre une commission d'experts pour poursuivre son élaboration en [20],[21].

Au niveau international

Le , il est élu par l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe, sur proposition du Conseil fédéral, pour devenir juge à la Cour européenne des droits de l'homme[15],[22], juridiction assurant le respect de la Convention européenne des droits de l'homme. Il y eut notamment comme président, René Cassin, l'un des principaux rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Réélu le , Antoine Favre occupe cette fonction à Strasbourg jusqu'à sa mort en [23].

Publications

Auteur de très nombreuses publications, il a laissé une somme de droit constitutionnel et de droit administratif, ainsi qu'un traité intitulé « Principe du droit des gens » en 1974 qui fit autorité[6],[7],[24].

Parcours militaire

Officier de l'armée suisse dès 1922, il est incorporé durant plus de 20 ans au sein de la Brigade de montagne 3, puis de la Brigade de montagne 10. En 1930, il est promu capitaine et reçoit le commandement de la Compagnie de mitrailleurs de montagne IV-12[5] au sein du Régiment d'infanterie de montagne 6 (corps de troupe ayant notamment été appelé pour rétablir le calme après la tragique fusillade du 9 novembre 1932 à Genève[25]).

En 1936, avec le grade de major, il reprend le commandement du Bataillon de fusiliers de montagne 6, qu'il dirigera ensuite durant les premières années de la Seconde Guerre mondiale[5], souvent sous la dénomination de sous-groupe du Six-Blanc, au sein du même Régiment d'infanterie de montagne 6. Dans ce régiment, engagé la plupart du temps à cette époque sous la dénomination de Groupement des Dranses, servait aussi l'écrivain Maurice Zermatten[7],[26]. Il avait pour mission de tenir la position « Champex - Six-Blanc - Mont Rogneux - Mauvoisin » dans le pilier Sud-Ouest du Réduit national (axe du Grand-Saint-Bernard)[27],[28].

Comme commandant de corps de troupe, il participe au Rapport du Grütli du général Henri Guisan le . Durant la guerre, il eut lui-même comme commandant de régiment, le colonel Edmond Giroud[26], son cousin vigneron, puis le colonel Louis Couchepin[28], son prédécesseur au Tribunal fédéral. Fin 1942, il est encore promu lieutenant-colonel à la tête de son bataillon. L’année suivante, il remet son commandement, mais reste à la disposition du Conseil fédéral[5],[11].

Parcours politique et diplomatique

Au niveau cantonal

Sur le plan cantonal, il est député du district de Sion au Grand Conseil du Canton du Valais du au [29],[30]. Au long de ces années, il a rédigé diverses lois cantonales, dont celles sur le notariat et l'application du Code pénal, et collabora étroitement à l'élaboration de nombreuses autres[4],[31]. En 1951, il prend également la direction du Parti conservateur chrétien-social valaisan[11]. Cependant, il sut dépasser ce cantonalisme pour être profondément suisse, de l'avis même de ses adversaires politiques[9].

Au niveau national

Membre du Parti conservateur populaire, il est élu au Conseil national le , où il siège du au (son successeur, René Jacquod, est nommé le ). Il y fut perçu comme la « conscience du Parlement », défendant les principes de la doctrine politique chrétienne avec autorité, mais aussi mesure, profondément inspiré par ses convictions religieuses et politiques. Bien qu'ardent défenseur des libertés individuelles, il admettait que la sauvegarde de celles-ci nécessitait un État fort[9],[32].

Durant ces années, il s'est surtout occupé de questions de droit international (Organisation internationale du travail, Accord de Washington (de)[a], adhésion à la Cour internationale de justice[b]) et de législation (régime financier, protection de la famille, Code pénal, assurance-maladie et accidents, etc.). En particulier, au sortir de la guerre en 1945, il fut membre de la Commission consultative suisse pour l'examen de la Charte des Nations Unies[33]. Au sein du Conseil national, il a également été membre de la Commission des affaires étrangères et président de la Commission de gestion[6],[14],[18].

Au niveau international

Fin 1954, fort déjà de son expérience juridique et politique, il est chargé par le Conseil fédéral de présider la délégation helvétique aux Conférences diplomatiques de Genève () et de New York () sur la réduction des cas d'apatridie[6],[18],[34], qui ont débouché sur l'adoption de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie le par les Nations unies[35].

Enfin, au début de cette même année, sous la conduite de Msgr. Silvio Luioni (en), il est encore membre de la délégation du Saint-Siège à la « Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés », conférence s'étant tenue à Genève de à et ayant conduit à l'élaboration, puis à l'adoption le , du Protocole I aux Conventions de Genève[36],[37].

Notes

  1. Accord signé en 1946 entre la Suisse et les Alliés concernant la liquidation des avoirs allemands placés en Suisse.
  2. La Suisse adhéra aux statuts de la Cour internationale de justice en 1948.

Références

  1. « Me Antoine Favre enlevé brutalement à l'affection des siens et du canton tout entier », Nouvelliste, vol. 7, no 260,‎ (lire en ligne).
  2. « Les Favre (Chamoson) », Aveg-WVFF, vol. 19,‎ 1989-2009 (lire en ligne).
  3. Claire Lucques, Chronique d'une famille valaisanne, Troyes, Cahiers bleus-Libraire bleue, , 373 p.
  4. (de) « Briefe der Katholisch-konservative Fraktion der Bundesversammlung an die Mitglieder des National- und des Ständerates » (23 septembre 1952). Fonds : Rosenberg Martin (1908-1976) (de); Dossier : Kandidatur von Antoine Favre für die Bundesrichter Ersatzwahl; Cote : J1.258#1997/222#107*. Archives fédérales suisses (lire en ligne ).
  5. « M. Antoine Favre est élu juge au Tribunal fédéral », Nouvelliste valaisan, vol. 49, no 224,‎ (lire en ligne).
  6. Augustin Macheret, « Un nouveau livre du professeur Antoine Favre », Nouvelliste, vol. 7, no 140,‎ (lire en ligne).
  7. « Antoine Favre aurait 100 ans: Un éminent juriste qui a marqué sa génération », Nouvelliste, vol. 30, no 105,‎ (lire en ligne).
  8. « Le ring électoral et Merle rouge », Le Confédéré, vol. 65, no 123,‎ (lire en ligne).
  9. « Un grand professeur », Le Confédéré, vol. 130, no 81,‎ (lire en ligne).
  10. Jean-Marc Biner, Autorités valaisannes, 1848-1977/79, Vallesia: bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie, , 239 p. (lire en ligne).
  11. « Agé de 70 ans, le juge fédéral Antoine Favre prend sa retraite », Nouvelliste du Rhône, vol. 7, no 276,‎ (lire en ligne).
  12. « Antoine Favre ». Fonds : archives. Fribourg : Archives de l'Université de Fribourg.
  13. « Mutations auprès du Tribunal fédéral: M. Antoine Favre également président de la cour de droit public et administratif », Nouvelliste du Rhône, vol. 7, no 2,‎ (lire en ligne).
  14. Jean Darbellay, « Hommage à Antoine Favre, professeur et juge fédéral », Nouvelliste, vol. 7, no 261,‎ (lire en ligne).
  15. (en) Aidan Robertson, Yearbook of the European Convention on Human Rights, : Springer Netherlands, , 400 p. (ISBN 978-94-015-3425-3, lire en ligne ), p. 58.
  16. Rapport annuel 1958-1959 (rapport), Lausanne, Université de Lausanne, , 56 p. (lire en ligne).
  17. (de) Dies academicus, dans Tagesschau, SRF, 15 novembre 1967 [présentation en ligne].
  18. « Le "Dies Academicus" de l'université de Fribourg: M. Antoine Favre élu sénateur honoraire », Nouvelliste du Rhône, vol. 7, no 266,‎ (lire en ligne).
  19. Annuaire 1968: 37e rapport (rapport), Société suisse de radiodiffusion et télévision, , 56 p. (lire en ligne).
  20. « Comment donner une base juridique à la radio et à la TV helvétiques : On remet sur le métier un projet refusé en 1957 », Tribune de Lausanne - Le Matin, no 85,‎ , p. 2 (lire en ligne).
  21. Pierre-Henri Zoller, « La télévision dans le carcan de la Constitution », 24 Heures, no 220,‎ , p. 39 (lire en ligne).
  22. « Le juge fédéral Antoine Favre membre de la Cour européenne des droits de l'homme », Nouvelliste du Rhône, vol. 3, no 217,‎ (lire en ligne).
  23. « Me Antoine Favre réélu à la Cour européenne des droits de l'homme », Nouvelliste, vol. 6, no 20,‎ (lire en ligne).
  24. Antoine Favre, Principes du droit des gens, Paris; Fribourg, Librairie de droit et de jurisprudence; Éditions universitaires, , 779 p.
  25. « Les troubles de Genève », Le Rhône, vol. 4, no 91,‎ (lire en ligne).
  26. Edmond Giroud et al., Garde ton pays : Aux soldats du Groupement des Dranses. Mobilisation de guerre 1939-1940, Saint-Maurice, Imprimerie de l'Œuvre St-Augustin, , 69 p. (présentation en ligne)
  27. Les Dranses : Le Roc du Cornet, Association St-Maurice d’Études Militaires, , 42 p. (lire en ligne).
  28. (de) Oswald Schwitter, Die Festungswerke am Grossen St. Bernhard : Die Abwehranlagen zwischen Martigny und der Passhöhe, Wettingen, Schweizerische Gesellschaft für Militärhistorische Studienreisen, , 43 p.
  29. Jean-Marc Biner, « Autorités valaisannes, 1848-1977/79: Canton et Confédération », dans Vallesia: bulletin annuel de la Bibliothèque et des Archives cantonales du Valais, des Musées de Valère et de la Majorie, (lire en ligne).
  30. Suisse, Valais. « Arrêté du 4 octobre 1952 concernant l'élection de deux députés au Grand Conseil » [lire en ligne].
  31. Bulletin des séances du Grand Conseil du Canton du Valais : Session de novembre 1952, , 270 p. (lire en ligne).
  32. « Le 40e anniversaire de l'encyclique "Rerum Novarum" », La Patrie valaisanne, vol. 4, no 65,‎ (lire en ligne).
  33. « Commission consultative suisse pour l'examen de la Charte des Nations Unies », dans la base de données Dodis des Documents diplomatiques suisses.
  34. (en) Conference on Elimination or Reduction of Future Statelessness, Geneva, 1959, and New York, 1961: volume 1 (rapport), New York, United Nations, , 587 p. (lire en ligne).
  35. (en) United Nations, Multilateral. « Convention on the Reduction of Statelessness ». (version en vigueur : 30 août 1961) [lire en ligne].
  36. Multilateral. « Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) ». (version en vigueur : 8 juin 1977) [lire en ligne].
  37. (en) Official records of the Diplomatic conference on the reaffirmation and development of international humanitarian law applicable in armed conflicts (rapport), Bern, Federal Political Department, , 697 p. (lire en ligne).

Sources

Voir aussi

Bibliographie

Liens externes

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